Ça ressemble à un âge d’or. De ces périodes aussi éphémères que bénies. Nous sommes à Paris au milieu des années 1990. Dans un bureau de Gaumont animation, deux amis font sécher leurs peintures au sèche-cheveux. Dans le « salon de coiffure », Jean-Yves Raimbaud et Hugues Mahoas créent des dessins-animés qui berceront une génération Minikeums : les cultissimes « Zinzins de l’espace », « La famille Pirate » et « Oggy et les cafards ». 
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Quand Hugues Mahoas frappe à la porte de Gaumont animation, le studio produit « Highlander », qu’il trouve ringard. Mais il faut bien manger. Après avoir jeté un œil à son travail, la direction l’envoie directement dans le bureau de Jean-Yves Raimbaud, « payé pour développer des projets ». C’est justement avec cet objectif qu’Hugues Mahoas a refusé de partir pour Disney alors que la moitié de ses camarades s’envolaient pour les studios américains. En France, le paysage de l’animation est alors presque uniquement accaparé par « Ulysse 31 » et « Il était une fois ». « Il y avait un truc énorme à creuser, j’allais être plus créatif. » La voie est libre et Jean-Yves Raimbaud et Hugues Mahoas ont des idées. Ensemble, ils s’apprêtent à révolutionner les goûters cathodiques de millions d’enfants. Jean-Yves Raimbaud n’aura pas le temps de le savoir : il meurt en 1998 alors que « Les Zinzins de l’espace » commencent seulement à être diffusés. Hugues Mahoas « se barre ». Il retourne au Bono. Désormais, il enverra ses cartons de dessin par La Poste, en espérant qu’ils ne se perdent pas en chemin.
Le Bono : c’est là qu’Hugues Mahoas, 47 ans, a poussé, jusqu’au collège et au départ de la famille pour la capitale. « On passait tout l’été à se baigner dans le port : c’était une piscine. » L’eau verte de l’océan Pacifique, « La famille Pirate » la doit au port du Bono. Une entorse au bleu turquoise rêvé par le producteur. Hugues Mahoas aime les fauvistes, les cieux violets et, donc, l’eau verte. Le réalisme, très peu pour lui : il y a l’appareil photo pour cela. Petit, il rêvait devant les paysages et les décors de Peter Pan et d’Alice au Pays des merveilles, signés Mary Blair. Des troncs d’arbres roses et un ciel jaune. Devenu chef décorateur sur les dessins-animés, Hugues Mahoas penche les portes, empile les maisons et peint les frigos en roses. « Grâce à cela on peut aller dans sa tête, dans ses rêves. » 
On passait tout l’été à se baigner dans le port du Bono : c’était une piscine
Enfant, il dessine déjà. Des trois-mâts, des chevaux et des Vierges à l’enfant. Dans la salle du conseil de la mairie du Bono où son grand-père est secrétaire, il est fasciné par une fresque monumentale. En 2005, quand la municipalité lui demande de signer la sienne dans la salle polyvalente voisine, il la dédie « A mon grand-père ». Celui-là même qui, à Quiberon, faisait passer la musique des bouées au large pour des meuglements de vaches nageuses -il faudra quelques années à Hugues Mahoas pour s’apercevoir du subterfuge. Il y repensera en 1994 quand, avant de vivre de son pinceau, le dessinateur part faire son service militaire en Corse. Il est sémaphoriste. Une nuit, une violente tempête balaie l’île. Au matin, Hugues Mahoas est saisi par un tableau tragique : les vaches, fuyant l’orage, se sont jetées à l’eau et ont échoué sur la plage. « La vache, le chat et l’océan » naît alors dans son esprit : l’histoire d’une vache qui fuit son destin de steak haché en allant voir la mer. Le dessin-animé mettra dix ans à éclore sur le petit écran, en 2006.
Les œuvres d’Hugues Mahoas sont le fruit d’un parcours dessiné entre le Morbihan, la banlieue parisienne et la capitale, avec ses « fils d’artistes », qu’il côtoie à l’école Duperré, où il parvient à entrer après sa troisième. Il y « refait (sa) culture » et enchaîne sur Les Gobelins, section animation, « pas du tout à la mode à l’époque ». De toute façon, la mode, ce n’est pas son truc. Ou l’air du temps du moins. Aujourd’hui encore, il est en décalage. Plutôt rebelle que réac’, il râle contre les écoles devenues payantes, contre la multiplication des décideurs, contre le numérique qui oblige les dessinateurs à utiliser Photoshop et les autorise donc à « être moins bon ». Niet : lui c’est l’aquarelle, l’encre et l’huile. Et puis, « à force de se plier à des directeurs artistiques, on perd son âme ». « Tu peux écrire que j’en ai marre de mon métier. » Hugues Mahoas aimerait « changer de vie ».
Tu peux écrire que j’en ai marre de mon métier
Ce dont il a vraiment soif, c’est de peinture. De l’abstrait. Des nus. Des femmes à la Gauguin ou à la Kirchner, plus dodues que celles d’Egon Schiele. Il cite les trois. Il aime aussi les perspectives vides de Giorgio De Chirico. Ou plutôt, Hugues Mahoas n’aime pas la perspective, il lui préfère les escaliers tordus façon Burton, tous les spectateurs des Zinzins de l’espace le savent. Il pense arrêter d’illustrer la série « Ar Bed All, Le club de l’Au-delà  », écrite par son ami Yann Tatibouët et dont le treizième tome sortira à la rentrée. En revanche, il projette des albums jeunesse et des livres pour adultes, parmi lesquels, peut-être, un recueil de poèmes érotiques illustré par ses soins. À son rythme. En plaisantant, Hugues Mahoas dit : « Je ne bosse pas parce que je suis trop exigeant, comme disent ceux qui ne bossent pas. » Mais on a envie de le croire quand il raconte qu’il a brûlé beaucoup de ses tableaux, pas à son goût.
Sur le chemin qui mène de la mairie au port du Bono, il est interrompu une demi-douzaine de fois. « Tiens, t’es revenu ? » « Non, non, je suis avec des journalistes là. Ça va toi ? » Il y a une semaine, Hugues Mahoas a vendu sa maison au Bono pour un coin de paradis dans le sud-Finistère. En vidant les cartons, il est retombé sur « des vieux trucs » qu’il n’avait pas brûlés et qui lui donnent des idées. Il a aussi emporté son kayak de mer. Celui avec lequel il allait planter sa tente à Belle- Île ou à Houat. Celui depuis lequel il a observé les algues des fonds marins, qui ont donné naissance au « Phare de l’enfant algue » et à « Gélatine l’algue amoureuse », deux albums jeunesse poétiques. « J’adore vivre dans la nature, au bord de la mer. » Cela fait un moment qu’Hugues Mahoas a arrêté de regarder les dessins-animés. En ce moment, il boulotte les documentaires animaliers, option hyènes et hérissons. Pour un jour les repeindre en bleu ?

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