Publié le 03/09/2022 à 08h00
Marie Guibal
Leur optimisme fluctue telle la courbe d’un grand huit : tantôt up, tantôt down ; tantôt remontés, tantôt résignés ; tantôt motivés, tantôt fatigués. La Rep’ a rencontré le nouveau binôme à la tête des urgences du CHR d’Orléans, depuis le 1er juillet.
Deux jeunes médecins (lire plus bas) qui vont, modestement et avec conviction, s’atteler à une tâche immense : sauver du naufrage leur service, en souffrance depuis des années (particulièrement depuis le printemps et la mise en arrêt maladie de tous les paramédicaux, suivie de la grève illimitée lancée par les médecins), et plus largement l’hôpital.
Rencontre avec les Dr Nesrine Nabli, cheffe des urgences, et Christophe Devin, chef adjoint.
 
Vous prenez vos nouvelles fonctions en pleine crise inédite des urgences : qu’est-ce qui vous a décidé à dire oui (ndlr : ils ne sont pas payés plus pour occuper ce poste) ?
Dr Nesrine Nabli : “Ma famille et ma vie sont ici. La situation est grave alors soit on reste, soit on part. J’ai dit : je tente, je me lance. J’ai demandé à Christophe (Devin) d’être mon adjoint pour ne pas être seule. Je voulais bien reprendre avec une équipe motivée car on ne peut pas tout porter à deux. Nos décisions seront collégiales : on a un groupe Whatsapp entre médecins et on consulte aussi les paramédicaux pour réajuster des choses, temporiser, réorganiser.”
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Dr Christophe Devin : “Je suis plutôt optimiste et, si on arrive à travailler ensemble, on peut se serrer les coudes.”
Où se faire soigner alors que les urgences d’Orléans sont en crise ? Tout dépend de votre problème
Comment qualifiez-vous la situation actuelle aux urgences d’Orléans ?  
Dr Christophe Devin : “Elle est toujours catastrophique. Avant l’été, déjà, beaucoup venaient travailler la boule au ventre. Mais on restait pour l’équipe. Or, là, le personnel fuit, notamment les infirmières chevronnées. Et les médecins se posent des questions. Au 1er novembre, on sera 10,15 ETP aux urgences contre 15 avant l’été. Et il faudrait qu’on soit 21 ETP. Ce qu’on faisait avant aux urgences, on ne peut plus le faire.”
L’été a été très compliqué aux urgences. Et la reprise de l’activité en cette rentrée ne va pas arranger les choses.
Dr Nesrine Nabli : “On ne fait plus notre métier. C’est devenu une course contre la montre pour voir un maximum de patients, sans faire d’erreurs. Je conçois que ce soit aussi difficile dans les étages car il n’y a pas assez de personnels mais on manque de tout, partout. Ce sont des négociations constantes pour trouver des lits. J’ai insisté pour faire monter une dame en fin de vie parce que je trouvais inhumain de mourir dans un box sans fenêtre, sans ses proches. C’est une question de dignité. Je n’ai jamais vu ça.”
Que pouvez-vous faire à votre échelle et quelles mesures pouvez-vous prendre pour améliorer les choses ?  
Dr Nesrine Nabli :
“Il faut restructurer complètement l’hôpital car ce ne sont pas les urgences qui ont un problème. On pallie juste tous les dysfonctionnements du système de santé.”
“On peut donc juste limiter l’accès aux seules urgences grâce à la régulation par le Samu, prendre en charge correctement les patients et tenter de leur trouver des lits ou des solutions alternatives.”
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Dr Christophe Devin : “Il faut retravailler tout le parcours des patients et mettre en place une cellule de gestion des lits. On n’a toujours pas de reflet exact du nombre de lits disponibles en temps réel. On fait du bricolage.
Il faut un changement profond de l’hôpital. Il faut une volonté des médecins de changer de façon de faire car cette façon ne marche plus. Certains médecins dans les étages sont pour révolutionner, refaire les fondations de l’hôpital pour se recentrer sur les malades et non pas sur les spécialités.
“On demande des lits de médecine polyvalente car nos patients sont de plus en plus souvent polypathologiques. Or, chacun se rejette la balle en disant : “Ce n’est pas ma spécialité” et ils refusent le patient, qui stagne donc aux urgences.”
Ces deux jeunes praticiens réclament des lits de médecine polyvalente, ce qui impliquerait une réorganisation totale des soins et de l’hôpital.
 
“Il faut aussi plus de communication entre les services. Chaque spécialité est dans sa bulle. Or, on a tous les mêmes problèmes et il faut prendre en compte la situation globale de l’hôpital.”
Comment réagit la direction du CHRO ?
Dr Christophe Devin : “Elle écoute, elle est ouverte à toutes les propositions mais elle est dépassée et ne peut rien imposer car elle dit souvent que ça relève du médical. Comme obliger à accepter des patients dans un service, par exemple.”
Dr Nesrine Nabli : “Tout repart en cette rentrée et il faut accélérer le mouvement. On se laisse un an pour voir ce qui se passe.”
“Mais si une solution ne vient pas de plus haut, de l’État, je ne vois pas comment on peut s’en sortir.”

Dr Nesrine Nabli. À 37 ans, elle a pris ses nouvelles fonctions de cheffe des urgences le 1er juillet. Après avoir fait ses études en Tunisie, patrie de son papa, elle débute la fac de médecine à Tours. Elle fait son internat majoritairement au CHR d’Orléans, dans différents services, avant d’être embauchée en 2014 aux urgences. “J’ai décidé de venir ici parce que j’ai été très bien accueillie. L’équipe m’a plu. Je ne me vois pas exercer ailleurs.”
Dr Christophe Devin. Son adjoint de 31 ans est, lui aussi, issu de la filière tourangelle. Il a fait ses stages d’internat à l’hôpital d’Orléans, qui ne manque pas de qualités : “Il y a un plateau technique conséquent, de bons rapports entre médecins et il y a moins de tensions. Ce n’est pas comme dans un CHU, il n’y a pas de rapports hiérarchiques.”
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Propos recueillis par Marie Guibal
6 commentaires
I’ll be back a posté le 05 septembre 2022 à 09h51
si je comprends bien le sujet principal réside dans le fait que chaque service coopère plus efficacement, sans tout cloisonner. le problème de l’hopital c’est donc quand même surtout la pratique médicale elle-même. il y a donc un grand espoir, car tous les hopitaux qui ont changé leurs pratiques fonctionnent bien mieux. par ailleurs, il faut que ceux qui sont face aux patients soient valorisés.
robert vultaggio a répondu le 05 septembre 2022 à 15h19 Quels sont les hôpitaux qui ont changé de “pratique” (de quelle pratique, d’ailleurs?) et qui fonctionnent mieux? Le problème n’est pas “la pratique médicale” mais les décisions politico-économiques avec toutes ces différentes lois pondues depuis des décennies pour que l’hôpital public fonctionne comme une entreprise. L’hôpital-entreprise est une sacrée idée importée du Canada par Mr Jean De Kervasdoué qui a sévi au ministère de la Santé dans les années 80. Le Pr Matteï disait lors d’un entretien sur France Inter en Avril 2004 que la Santé ne pouvait pas être “produite” comme une voiture …
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Martine Leconte a posté le 03 septembre 2022 à 19h49
Pas de réactions de nos politiques à la situation des Urgences du CHRO : ni de M. Grouard, Maire d’Orléans L.R. (et toujours Président de l’ Etablissement), ni de nos sémillantes députées LREM ou plutôt Renaissance( mais pas de “renaissance” pour Orléans, le Loiret, et ses déserts médicaux !), ni de l’ ARS ou la Préfecture de Région, après, c’est un euphémisme , une période d’été considérée par tous comme très compliquée et une rentrée encore plus problématique( cf: le 2 septembre le nombre de patients en attente (dans le Service)…de lits ou d’être examinés!). Scandaleux!
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Pierre Damak a posté le 03 septembre 2022 à 14h39
Actuellement, rien ne viendra sauver les Urgences et l’hôpital en général. Tout est à bout de souffle et aucune volonté politique. Une solution existe pourtant mais elle est difficile à appliquer et un peu utopiste: ne plus avoir de malades, d’accidents …………….. devenir immortel en bonne santé.
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robert vultaggio a posté le 03 septembre 2022 à 11h45
Bien qu’en général et en particulier au CHRO et ce malgré “des coups de poing sur la table”, la situation de l’accès aux soins ne soit pas des plus “drôle”, la jeune cheffe de service s’est adjoint un Dr Devin qui porte le prénom de Saint Christophe … Bon courage à vous. Mais, par pitié, ne faites pas du “flash” pour “restructurer” un CHR car est-ce seulement la “méthode” qui est en cause dans ce “naufrage”? Et, il n’y aurait pas de gestion des lits au CHRO? Ah, bien sûr, pour gérer des lits d’hospitalisation, il ne faut pas les avoir supprimés comme le rappelle @gros léon.
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gros léon a posté le 03 septembre 2022 à 10h33
Tiens, encore un changement à la tête des urgences. “On demande des lits de médecine polyvalente car nos patients sont de plus en plus souvent polypathologiques” LaRep pas plus que l’ARS en semblent se questionner sur la fermeture en 2019 je crois (j’étais parti en retraite à cette date) de 35 lits de gériatrie aigue dédiés à l’accueil de ces patients, faute, semble t il , de docteurs qui quittaient l’hopital. Et pourtant… ils auraient à raconter sur la “gouvernance hospitalière”, je crois…
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