« Et les photos, elles font un effet vintage ? » Heureusement pour lui, Max n’a pas compris la question de cette jeune fille. Il ne parle pas bien français. Sur son stand qui ne désemplit pas, plein de jolis appareils photos argentiques, à soufflet, de vieux Kodak électroniques des années 1980 que les plus de 30 ans ont tous connus en vacances, certains datent de 1910. Le vintage, oui, c’est tendance. Une révolution s’opère, les images sur pellicule sont en passe de démoder un filtre sur Instagram.
Ce samedi 19 février, la place du Commandant…
Ce samedi 19 février, la place du Commandant-de-la-Motte-Rouge à La Rochelle est baignée de soleil et, de nouveau, pleine des stands de ses brocanteurs. Ils sont une trentaine à s’y installer trois fois par semaine, les mardis, jeudis et samedis, toute l’année, et ce depuis plusieurs décennies.
Hélène, bientôt 80 printemps, elle en sait quelque chose. Ici, c’est la doyenne. « J’ai 49 ans de trottoir », lance-t-elle en riant. La septuagénaire a commencé lorsque la brocante était rue Saint-Nicolas, « une sacrée ambiance, se souvient-elle. On achetait à manger, on mangeait tous ensemble. Maintenant, c’est un peu qui va manger l’autre… »
Les affaires ne sont pas plus bonnes chez elle que chez ses voisins. La crise sanitaire, les confinements, l’augmentation des charges, la baisse du pouvoir d’achat, bref il ne reste plus grand-chose pour les brocanteurs. « Les meubles, ça ne vaut plus un sou. On trouve beaucoup moins de marchandises. Les gens vendent par eux-mêmes sur Leboncoin ou dans les vide-greniers. Je plains vraiment les jeunes qui se lancent dans le métier. » Elle, elle raccroche. Cet été, lorsqu’elle fêtera ses 80 ans, Hélène aura déjà laissé sa place à un autre.
Ça fera un heureux. « Cinq ou six brocanteurs sont sur liste d’attente, affirme Christian. Il faut attendre que l’un parte pour s’installer. » Lui et sa femme Patricia sont restés trois ans près des poubelles avant de prendre une place plus engageante. La brocante de la Motte-Rouge est une institution. Elle a ses habitués, ses clients fidèles, des touristes, des plaisanciers, qui ramènent toujours un petit quelque chose de La Rochelle l’été. « Les bijoux anciens marchent bien, explique Patricia. En ce moment, le rotin est très à la mode. Par contre, ça négocie à fond. Il n’est pas rare qu’on fasse zéro euro. »
Sébastien vend des objets qu’il aimerait acheter lui-même. « Je ne pourrais pas les vendre sinon. Vous savez, tout se vend, mais à quel prix ? Ce qu’on achète 15 euros ne vaut pas plus de 2 euros. L’inverse est vrai aussi. Tout ce qui vient des années 1950, tout le monde en veut. »
Malgré la morosité, pas question de lâcher les affaires pour autant. Les brocanteurs de la Motte-Rouge sont des passionnés, des irréductibles. Quand il y a quelques années la Ville a émis l’idée de supprimer ce rendez-vous, ils se sont tous révoltés. On ne touche pas au folklore.
Au milieu des stands de carafes en cristal, de vêtements vintage, d’objets en étain, il y a et il y aura toujours le bouquiniste. Ils sont trois sur la place de la Motte-Rouge. Sylvie est installée là depuis « quatre-cinq ans ». On pourrait se demander qui, en 2022, achète encore des livres, de seconde main qui plus est ? Mais la vendeuse dément. « Les amateurs de livres anciens, les collectionneurs, les jeunes, de plus en plus qui reviennent vers le papier. » Les auteurs subissent aussi la mode. « Céline est très recherché en ce moment, « Madame Bovary » en relié et Vian. » À côté des encyclopédies et de La Pléiade, des petits livres aux couvertures romantiques donnent envie. Un livre, c’est aussi un objet de déco.
Sur la place, le prix au mètre n’est pas prohibitif, bien moins cher que sur les brocantes estivales. « Nous, on a 6 m² et on paye 30 euros par mois », confient Christian et Patricia. Ça permet, sur l’année, de rentrer dans ses frais. Max est venu poser son stand d’appareils photos il y a deux ans. Lui, il vend des souvenirs, des histoires. « Ce sont des objets de mémoire. Cet appareil photo de 1910 par exemple, il fait des photos en 3D », montre-t-il. On s’extasie en regardant dans la machine, dirigée vers le soleil. Devant lui, un collectionneur de Nikon vient de faire une offre à 50 euros pour un argentique. Max cède. Pourquoi lutter. « À Paris, dans un magasin branché, cet appareil-là serait vendu 800 euros, montre-t-il. Moi je le fais à 250, et il ne part même pas. »
La brocante, c’est plus qu’une passion, c’est un art de vivre. Hélène, quand elle prendra sa retraite officiellement dans sa maison de Vendée, ne sera pas dépaysée. « Ah oui, chez moi, il n’y a que de l’ancien. »

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