Passé de la clarinette à la production musicale, l’Argentin reprend ce 1er juillet la direction du Nouvel Opéra de la cité des Zähringen
Regard franc et intense, visage impassible: on pourrait le prendre pour l’acteur Jean Reno. Sous cette force tranquille se cache un passionné. Un parcours en cinq langues – espagnol, allemand, français, anglais, italien – qui traverse les continents et à travers lequel on saisit le moteur de cet homme: l’apprentissage et les rencontres. A 43 ans, Leandro Suarez prend ce 1er juillet la direction exécutive du Nouvel Opéra de Fribourg (NOF). Signe amusant, sa grand-mère lui avait légué une pile de programmes des opéras du Teatro Colon, à Buenos Aires, vestige familial d’un abonnement appartenant à son arrière-grand-père. «Mes liens avec l’opéra datent de bien avant ma naissance», s’amuse-t-il.
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Né à Llavallol, non loin de la capitale argentine, Leandro Suarez commence l’apprentissage de la musique par la flûte à bec, encouragé par ses parents, dont un père «guitariste amateur avec une très belle voix». Quelques années plus tard viendra le coup de foudre avec la clarinette. A 19 ans, il s’investit en tant que bénévole pour la première édition du Festival internacional de musica de Buenos Aires organisé par l’Orchestre philharmonique. Une expérience qu’il réitère l’année suivante, cette fois dans l’équipe de production. Le passage à l’an 2000 insuffle du changement. «Si tu veux vraiment jouer avec une bonne technique, il faut que tu partes en Europe ou aux Etats-Unis», lui conseille son professeur. Le musicien se renseigne et découvre que le clarinettiste François Benda, dont la réputation n’a pas de frontières, dirige une classe au Conservatoire de Bâle.
«Je suis arrivé en janvier 2002 à l’aéroport de Bâle sous la neige, un dimanche à 17h… Le choc était grand, admet Leandro Suarez. Je connaissais un peu l’Italie, car j’ai de la famille à Turin, mais c’était la première fois que je partais à l’aventure.» A la fin de ses études, il devient clarinettiste dans l’orchestre Musique des Lumières de Delémont, dirigé par le chef Facundo Agudin. La rencontre se fait lors d’un Requiem de Mozart donné à Porrentruy, où les deux hommes découvrent qu’ils sont originaires de villes proches en Argentine. En 2010, pour la première édition de la biennale jurassienne Stand’été, Musique des Lumières perd un partenaire. «As-tu déjà fait une production d’opéra?» demande Facundo Agudin à Leandro Suarez. Ni une ni deux, ce dernier imagine le contenu vidéo pour un Cosi fan tutte.
«C’est ainsi que j’ai participé à ma première production d’opéra», sourit-il. Les quatre représentations sont un succès. Pablo Ramos, directeur de l’Opéra de Chambre de Navarra, est un soir dans la salle et l’invite au débotté à intégrer son équipe artistique. S’ensuivent cinq années d’effervescence: «Je faisais les allers-retours en Espagne, je continuais à produire le festival Stand’été et je participais aux productions de Lyrica à Neuchâtel en collaboration avec le chanteur Rubén Amoretti!»

Progressivement, le musicien lâche la clarinette pour basculer dans l’administration et la production. Il devient administrateur de Musique des Lumières, poste qu’il occupera jusqu’en 2017. «Cette année-là, je me suis dit que c’était le moment de valider mes compétences par un diplôme.» Sur le point de devenir père, il entame un cursus en gestion culturelle à l’EPFL. «Et comme tout arrive en même temps, c’est également cette même année que j’ai obtenu le poste de directeur administratif au Nouveau Monde à Fribourg.» Installé dans l’Ancienne gare, ce lieu pluridisciplinaire connu pour sa programmation éclectique est une source d’inspiration: «J’ai commencé en même temps que le directeur artistique Flavien Droux. L’univers des musiques actuelles est très différent de celui du classique, mais l’objectif est le même: donner du plaisir aux auditeurs en étant dans une exigence de qualité.»
Pendant trois ans, Leandro Suarez s’épanouit dans ce nouvel environnement: «Je passais des soirées à écouter les concerts et à tirer des bières en tant que bénévole. Si cet élargissement musical m’a été bénéfique, je savais au fond de moi que je reviendrai tôt ou tard au classique et à l’opéra.» En septembre 2020, en pleine pandémie, il est nommé directeur exécutif de l’Ensemble vocal de Lausanne (EVL): «La stratégie de développement de ce chœur historique m’excitait. Et on pensait à cette époque que l’activité reprendrait.» Le mois suivant, l’annonce du nouveau confinement est une déflagration dans le monde culturel, l’activité du chœur sera suspendue jusqu’en mai 2021.
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Fidèle à son esprit positif, Leandro Suarez investit une énergie colossale pour nouer des relations avec les institutions et les partenaires culturels afin d’assurer un soutien financier à l’EVL. «Comme au Nouveau Monde, notre politique a été d’honorer 100% de chaque contrat.» A la veille d’endosser sa nouvelle fonction au NOF, il fourmille d’idées avec une envie débordante de tisser des partenariats avec les autres institutions dans la région pour faire exister l’institution au-delà du territoire fribourgeois: «J’ai la conviction absolue qu’on aime tous l’opéra, il faut juste en avoir la révélation.»
1978 Le 31 août, naissance à Lomas de Zamora, Buenos Aires, Argentine.
2002 Arrivée à Bâle pour des études de clarinette.
2010 Producteur visuel au festival jurassien Stand’été.
2017 Naissance de sa fille Lucie.
2022 Depuis le 1er juillet, directeur exécutif du Nouvel Opéra de Fribourg.
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