Henry Russell naît en 1834 à Toulouse d’un père irlandais et d’une mère gersoise et, peut-être, ce premier mélange des horizons a éveillé sa curiosité du monde. En grandissant entre le piémont pyrénéen et Dublin, avec un passage par la Charente-Maritime de 1844 à 1847, il découvre que cette curiosité peut être assouvie à travers le voyage. Il remarque aussi que la société se délecte des récits d’aventure. Au XIXe, le siècle de Jules Verne, les jeunes fortunés n’ont-ils pas l’appétit des contrées lointaines ?
« Tout le personnage qu’il s’est construit dans les Pyrénées lui permettait d’intégrer une société qui ne…
« Tout le personnage qu’il s’est construit dans les Pyrénées lui permettait d’intégrer une société qui ne l’aurait pas intégré », résume ainsi Jacques Labarère, historien du pyrénéisme et auteur d’une biographie de Russell en deux volumes. Et si le « Seigneur du Vignemale » avait parfaitement compris l’importance de cultiver son image ?
Après des études supérieures en Irlande, Henry Russell entre pour la première fois dans l’aventure à l’âge de 22 ans, en mai 1856, et il y réussit pour le reste de sa vie. Il s’engage dans la marine marchande à bord du « Brave Lourmel » comme pilotin, en direction de l’Amérique du Sud. Mais ses espoirs sont rapidement douchés : à bord, l’ambiance est détestable et il met une croix sur sa carrière de marin à Lima.
À son retour en France, le jeune homme n’a qu’une envie : repartir. En 1858, il fait une expédition en Amérique du Nord, avant d’entamer un tour du monde par l’est en traversant la Russie et la Sibérie, puis la Chine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Inde.
« La vraie aventure, c’est ce voyage qu’il a entrepris tout seul pendant trois ans alors que les moyens de déplacement n’étaient pas comparables à ceux d’aujourd’hui, raconte Jacques Labarère. Il a traversé le désert de Gobie, a réalisé un grand périple à pied en Australie, a voyagé en Chine lors de la révolte Taiping… Il n’est jamais revenu en France pendant ces trois ans. Il a travaillé comme journaliste en Inde pour financer ses pérégrinations. C’était une sorte de voyage hippie à travers le monde ! »
Ce qui le distingue des autres aventuriers de son époque ? L’écriture. « Seize mille lieues à travers l’Asie et l’Océanie », publié en 1864, qui retrace son tour du monde, aurait même inspiré un certain… Jules Verne. « Dans ‘‘Michel Strogoff’’, Jules Verne reprend la description de la ville de Tomsk en Sibérie qui est celle de Henry Russell dans son livre. D’ailleurs, ils se connaissaient puisque tous les deux faisaient partie de la Société française de géographie », précise Monique Dollin du Fresnel, arrière-petite-nièce de Henry Russell et ancienne conservatrice et directrice des bibliothèques de Sciences Po Bordeaux (1).
En 1861, Henry Russell revient et décide d’explorer les Pyrénées. Elles ne lui sont pas inconnues puisque dès les années 1840, la famille s’est installée pour la première fois dans le piémont pyrénéen, dont Pau est l’un des camps de base.
Cette fois-ci, il arpente la chaîne dans tous les sens, de la Rhune au Canigou, pendant dix ans. D’ailleurs, il signe une trentaine de premières. Entre 1865 et 1871, il écrit cinq ouvrages à destination des touristes dont « Les Pyrénées, les Ascensions et la Philosophie de l’exercice » et « Les Grandes Ascensions des Pyrénées ». La période est prolifique.
« À un moment donné, il estime que c’est bien de visiter la montagne, mais que c’est encore mieux d’y habiter, explique Monique Dollin du Fresnel. Il rencontre le général de Nansouty qui a fondé l’observatoire du Pic du Midi et y passe une nuit l’hiver dans une chambre chauffée, avec la lumière et un bon repas. Il se dit qu’on peut habiter très haut dans les montagnes. »
Le point culminant des Pyrénées étant le pic d’Aneto, en Espagne, il va cherche l’équivalent français : le Vignemale. « Il veut y habiter, mais il ne souhaite pas construire un bâtiment parce qu’il trouve ça très laid. Il décide de faire une habitation naturelle, c’est-à-dire une grotte », poursuit sa parente.
En 1882, une première grotte sur le col de Cerbillona est creusée. Henry Russell fait même monter une forge pour pouvoir réparer les outils qui cassent à cause de la dureté de la pierre. Les années suivantes, six autres grottes sont ouvertes. L’une d’elles est située à quelques mètres du sommet de la Pique Longue, à 3 280 mètres, le point le plus élevé du Vignemale. Il l’aménage et la nomme la grotte du Paradis. Le sous-préfet des Hautes-Pyrénées lui accorde en 1888 la propriété du haut du massif : son entreprise est couronnée de succès.
Faut-il y lire le désir d’un ermite ? Au contraire ! « C’est un épicurien qui aime la bonne chère, décrit Monique Dollin du Fresnel. Il reçoit ses amis dans les grottes et passe ses hivers à Pau. C’est un homme à part, qui ne se plie pas toujours aux normes de l’époque lorsqu’il considère qu’elles ne sont pas bonnes. »
« Il joignait l’utile à l’agréable. Il écrivait bien, il s’est construit un personnage d’excentrique et il le cultivait, poursuit Jacques Labarère. Il a aussi été le premier à faire des ascensions par des voies acrobatiques, où il faut mettre les mains, les pieds, les cordes… Cette façon d’accéder à la montagne n’était pas dans l’esprit de l’époque, il a été précurseur. »
Henry Russell, aussi libre qu’inclassable, a de toute évidence marqué l’histoire des Pyrénées qu’il n’a cessé de raconter. En 1907, il se lance dans la rédaction de la deuxième édition de « Souvenirs d’un montagnard ». Il meurt deux ans plus tard à Biarritz. Le récit de ses ascensions fait toujours référence aujourd’hui.
(1) Auteure d’une biographie, « Henry Russell, une vie pour les Pyrénées », parue aux éditions « Sud Ouest ».

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