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Nichée dans le quartier de la Californie, ce petit paradis d’inspiration italienne a été construit pour le peintre Jean-Gabriel Domergue et son épouse, en 1934. Il appartient aujourd’hui à la Ville de Cannes.
Rien ne semble en mesure de troubler la quiétude du lieu. Certes, il se trouve à une poignée de minutes du centre-ville cannois. Mais en gagnant l’impasse Fiesole, dans le bas du quartier de la Californie, on a l’impression de glisser dans une enclave où le temps est suspendu.
De nos jours, cachées derrière de hauts portails, nombreuses sont les bâtisses massives appartenant à de grosses fortunes en quête de soleil trois cents jours par an. Au milieu des années 1920, quand Jean-Gabriel Domergue et sa compagne, Odette Maugendre-Villers, débarquent dans le secteur, le tableau est bien différent. Dans un reportage de l’ORTF datant de juillet 1960, Madame raconte: “Nous avons eu un terrain absolument à pic. Nous avons construit toutes les routes, toutes les terrasses. Il n’y avait absolument rien ici, c’était la brousse. Nous étions seuls au milieu d’une forêt de mimosas. Vraiment, c’était l’âge heureux. Aujourd’hui, on est un peu envahis par les maisons.”
Avant l’arrivée de voisins jugés encombrants, les artistes ont bien pu profiter de leur havre de paix. Le projet débute en 1926. Jean-Gabriel dessine les plans de la maison, Odette imagine les jardins. Tous deux sont sous influence italienne. Sur trois niveaux, la résidence – construite par les architectes Émile Molinié et Charles Nicod – est achevée en 1934. Érigée avec des pierres issues du décaissement du terrain, elle évoque les palais florentins de la Renaissance. L’intérieur Art Déco, aux notes provençales, est composé de volumes assez déroutants. En milieu d’après-midi, le salon laisse entrer une chaude lumière par des baies vitrées.
Agréable, mais pas somptuaire. Un peu plus bas, la salle à manger a été dotée de proportions encore plus modestes. Le dernier étage, abritant la chambre du couple et deux autres pièces réservées aux amis, s’avère tout aussi “modeste”.
“Par rapport à la superficie totale de la propriété, la maison est complètement sous-dimensionnée”, acquiesce David Viard, régisseur des sites de prestige à la Ville de Cannes.
L’atelier de Domergue, orienté vers le nord afin de lui garantir une lumière constante, paraît plus vaste. Avec son haut plafond (à environ une dizaine de mètres du sol), il a des faux airs de chapelle dédiée au culte de son occupant, lauréat du prix de Rome de peinture en 1911 et petit-cousin de Toulouse-Lautrec.
“Pourtant, il ne fait que 83 mètres carrés”, tempère notre guide, qui ajoute: “L’atelier était vu comme un espace utilitaire. Sa femme avait aussi le sien, en contrebas. Mais l’intérieur n’était pas leur priorité. Ils étaient là pour vivre dehors, pour recevoir.
 
De ce côté-là, le Bordelais voyait les choses en grand. Sur un hectare et demi, un fabuleux jardin aménagé en restanques se dévoile. De gigantesques cyprès taillés au cordeau, des pins et d’autres espèces endémiques de la Côte d’Azur s’y épanouissent.
Ses cascades et bassins sont inspirés par la Villa d’Este, joyau de la région de Rome. Au détour d’une terrasse, on découvre des statues empreintes de mysticisme réalisées par Odette. Ou encore d’imposantes vasques étrusques rapportées par les époux. Un escalier aussi monumental que piégeux offre une impressionnante perspective.
Des hauteurs de la villa Fiesole (le nom initial de la demeure, inscrite au titre des monuments historiques et détentrice du label Patrimoine du XXe siècle), il dévalait jusqu’à une sorte de miroir d’eau, supprimé depuis, où les convives les plus fantaisistes pouvaient tremper leurs mollets, combattant ainsi les effets de la chaleur et des vapeurs d’alcool.
Face à eux, le Suquet, la Méditerranée et le massif de l’Estérel. Un décor sublime dont les propriétaires jouissent la moitié de l’année, par tranches de trois mois à chaque fois. Leurs réceptions mondaines deviennent le point de ralliement d’une foule de noceurs. Des notables, des esprits créatifs, des aristocrates déchus, des courtisanes venues chasser le bon parti.
En 1962, la fête prend fin, Domergue meurt à 73 ans. À la disparition de sa femme, onze ans plus tard, la villa est léguée à la Ville de Cannes.
“Domergue ne voulait pas qu’un particulier ou un promoteur mette la main sur son œuvre. Plusieurs conditions ont été posées. Il fallait que les lieux conservent une vocation culturelle, mais aussi festive. La commune a hérité d’un trésor, c’est vrai. Même s’il est très coûteux de l’entretenir. C’est pour cela que le site n’est pas visitable toute l’année [lire par ailleurs] et que seule une petite partie des jardins est autorisée au public“, expose David Viard.
Jean-Gabriel et Odette (#5) avaient émis une autre condition pour valider la donation. Ils souhaitaient que leurs corps reposent pour l’éternité dans leur paradis terrestre. La loi française le permet, à titre exceptionnel cette dernière volonté sera accomplie en 2000.
Inhumées au cimetière du Jas, les dépouilles furent transférées dans un mausolée, situé dans un recoin de la villa Domergue. Placée sous une sorte de grotte artificielle à trois arches, la sculpture funéraire de style étrusque, conçue par Odette, est surplombée d’une statue du couple enlacé
Domergue aimait dire que “l’enfer était en bas, avec le Festival surtout”. Il était pourtant lié directement avec la grand-messe du cinéma. En 1939, il réalise l’affiche de la première édition, finalement annulée à cause de la guerre. Ironie du sort : à partir des années 1990 et jusqu’en 2018, le jury se réunissait dans son ancien atelier pour établir son palmarès.
Le peintre qui aimait croquer les belles femmes aurait en revanche été ravi d’apprendre que Sharon Stone, membre du jury en 2002, avait souhaité dormir dans sa chambre.
Séduite par “les ondes positives” de la résidence, elle avait obtenu ce passe-droit. Personne n’a eu ce privilège depuis. Sans même imaginer y coucher, accéder à la villa Domergue reste un moment particulier.
Les nouveaux résidents cannois y sont rassemblés une fois par an par le maire, David Lisnard. Après le cocktail de bienvenue, on leur présente les différents loisirs et services proposés dans la ville.
D’autres viennent y écouter les notes bleues du festival Jazz à Domergue, en août. Ou encore y visiter l’exposition annuelle d’été, mettant en “confrontation” les œuvres de Domergue avec celles d’autres artistes. Cette fois, ce sera Niki de Saint Phalle.
De manière plus rare, le domaine est investi pour des tournages. Depuis 2016, pendant le Festival, une édition de “On n’est pas couché”, l’émission présentée par Laurent Ruquier, y est réalisée.
En 2016 également, Jean-Benoît Dunckel, du groupe Air, est venu ici “ shooter” un clip à 360 degrés pour sa chanson Hyper soleils.
Aujourd’hui, le nom de Jean-Gabriel Domergue ne dit plus forcément grand-chose au commun des mortels. Pourtant, à son époque, ce portraitiste avait fait fortune en popularisant le mythe de “la Parisienne”. Une femme chic, désinvolte, forcément mince. Dénudée ou pas, mais toujours dessinée avec un cou exagérément long.
Il s’autoproclame “inventeur de la pin-up”. Grandes bourgeoises, actrices, danseuses, prostituées : toutes accourent afin d’être magnifiées par le maître. Joséphine Baker ou encore Nadine Lhopitalier, future baronne de Rothschild, feront partie du lot. Très prolifique, il a réalisé plus de 3.000 œuvres durant sa carrière.
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