Il est 5 heures. Le marché aux bestiaux s’éveille. Gilles Lemaire, éleveur et négociant dans le Nord du Lot-et-Garonne, est présent, depuis le début des années 1980, chaque mercredi sous cette grande halle soumise aux quatre vents, où les bovins prennent place dans de grands box. « Les bovins ? Quels bovins ? Il n’y en a quasiment plus », ironise-t-il.
Au marché aux bestiaux de Boé, l’un des rares à survivre dans le grand Sud-Ouest, cela fait quinze ans que l’on regarde, impuissant, l’élevage laitier dégringoler. La filière viande, elle, saigne…
Au marché aux bestiaux de Boé, l’un des rares à survivre dans le grand Sud-Ouest, cela fait quinze ans que l’on regarde, impuissant, l’élevage laitier dégringoler. La filière viande, elle, saigne depuis trois ou quatre ans. Et ce malgré une embellie des prix depuis presque un an. « Cette hausse est significative sur les vaches de réforme. Beaucoup moins sur les bonnes bêtes de qualité bouchère. Aujourd’hui, l’industrie a besoin de viandes transformées… », détaille Joël Labat, régisseur du marché. Gilles Lemaire, beaucoup moins modéré, tranche : « On préfère nous faire manger de la merde. »
L’éleveur de blondes d’Aquitaine, installé à Soumensac, est en colère. Il porte la voix de nombreux professionnels du secteur du marché aux bestiaux d’Agen, où la grogne monte de façon exponentielle. L’affaire des 780 taurillons abattus puis incinérés à cause d’un imbroglio administratif n’y est pas étrangère. Elle remue un couteau déjà bien enfoncé dans la plaie. « Je n’en ai pas dormi de la nuit. C’est une honte », s’emporte encore Gilles Lemaire. « Les services administratifs et vétérinaires sont en train de tuer notre profession. Ils poussent les gens à bout. Le principe de précaution, notamment, nuit gravement à notre métier. »
Dans ces rangs agenais, les cheveux sont grisonnants. Voire blanc comme neige. « Plus personne ne veut être éleveur. Aujourd’hui, les bovins sont encore plus contrôlés que les humains. » Gilles Lemaire en fait d’ailleurs les frais : deux de ses bêtes vont être abattues, en raison de la présence du virus HBC. « Elles sont asymptomatiques… C’est ridicule. Le principe de précaution est ubuesque et coûte cher au contribuable… Je n’en peux plus. Je vais solliciter un rendez-vous l’Élysée, et emmener mes bêtes jusqu’au président. Le chef de l’État ne peut pas se fier à la seule voix des bureaucrates, à la seule voix des services vétérinaires qui anéantissent notre savoir-faire. Il doit écouter les gens de terrain qui souffrent, et qui sont au bord du gouffre. » Ces contraintes sanitaires, couplées à l’inflation vont avoir, selon l’agriculteur, la peau de la profession. « L’administration est aveugle, les politiques sont sur un nuage. »
En Lot-et-Garonne, la moyenne d’âge des éleveurs reste très élevée. « La plupart ont entre 55 et 58 ans et vont arrêter dans les cinq ans qui viennent, sans qu’il y ait une relève. Soit 30 à 40 % du potentiel de l’élevage dans le département », détaille Joël Labat. « On constate que beaucoup s’orientent vers la filière ovine, plus rémunératrice. » « Si la production de bovins en campagne n’y est pas, cela aura forcément un impact sur le marché. Il n’existera plus », soupire Gilles Lemaire. « Et nous ne voulons pas d’un marché à la criée, comme celui récemment instauré à Rabastens (81).»
Chez les négociants aussi, le ciel s’assombrit. « Il y a vingt ans, on comptait une vingtaine de commerçants en Lot-et-Garonne. Aujourd’hui, il n’y en a plus que cinq. » Sur le marché, ils viennent chaque semaine du Pays basque, de Corrèze, du Cantal, etc. Agen reste très prisé de ces « maquignons » qui parlent et marchandent encore en francs. « C’est un outil facilitateur, et un patrimoine qui ne doit pas disparaître », assurent de concert Gilles Puybouffat et Lucien Harinordoquy, deux négociants fidèles au rendez-vous agenais. « Cela reste un beau marché, avec 80 marchands présents. »
Le marché d’Agen s’est construit sur les filières italienne et espagnole. « S’il n’y a plus d’exportateurs, qui va passer la frontière avec les bêtes ? Les négociants regrettent les contraintes sanitaires imposées d’un pays à l’autre. On manque d’harmonie entre les pays membres de l’Union eurpéenne. Et cela change tout le temps : certains exigent une prise de sang, pas de vaccin. D’autres imposent ce vaccin. Et cela peut varier très rapidement », souligne Joël Labat.
Au-delà de l’aspect sanitaire, les coûts de production constituent aussi un véritable frein pour tout le secteur agricole confondu. « Le prix des aliments, l’essence, l’électricité, le gaz… Tout augmente », détaille Joël Labat. Pour la filière viande et lait, se rajoutent les frais vétérinaires. « Vous savez combien coûte une césarienne ? 640 euros », pose Gilles Lemaire. Et celle-ci n’est pas remboursée par la sécurité sociale…

source

Catégorisé: