Le sculpteur de Champagnole dans le Jura parcourt le monde avec ses œuvres pour sensibiliser les peuples aux dramatiques changements de notre planète. Conscient des problématiques et des tensions qui existent autour de la sauvegarde du lynx, Pascal Bejeannin s’est lancé dans la réalisation d’une œuvre en acier représentant le félin emblématique du massif du Jura. Il ira ensuite échanger avec chacun des acteurs dans un documentaire.
Présent en très grande majorité seulement dans le massif du Jura, le lynx boréal, le plus grand félin d’Europe, reste un animal menacé. On estime à environ 150 individus, sa population en France. La situation reste préoccupante pour sa survie, et un plan national de sauvegarde et de conservation vient d’être mis en place par le ministère de la transition écologique. Régulièrement victime de collisions routières, le félin est aussi braconné par des chasseurs qui voient d’un mauvais œil la concurrence du prédateur. Après avoir façonné un ours blanc, une tortue luth et un gorille, Pascal Bejeannin crée dans le feu et les étincelles un animal tout aussi beau. Lui donner forme, était devenu une évidence pour le sculpteur franc-comtois. 

Comme pour chacune de ses œuvres, Pascal Bejeannin façonne l’animal à l’arc à souder. Il sculpte au milieu des étincelles son lynx grandeur nature. Même s’il est moins grand que Mekhan Mui, le gorille ou Atsunaï Kammak l’ours blanc, ce félin qui n’a pas encore de nom, en impose déjà. Quarante-cinq kilos d’acier que l’artiste ne trouve malheureusement plus en récupération, et qu’il est maintenant obligé d’acheter.

90 cm de long et 55 cm au garrot. Le lynx de Pascal Bejeannin semble totalement réaliste. À chaque fois que la mèche de l’arc à souder touche le métal, c’est une gerbe de feu et d’étincelles qui donne naissance à l’œuvre. “Il me reste encore beaucoup de travail. Même si je sais que le lynx vit au-dessus de ma maison, je ne l’ai encore jamais croisé lors de mes balades en forêt. Alors j’avance petit à petit, je fais et je défais. Je vais affiner la tête, dégrossir la patte avant gauche et puis un jour, je vais me dire qu’il est fini. Je me laisse jusqu’au cœur de l’automne” nous explique le sculpteur.

Le lynx est beau et fascinant, mais en commençant son travail artistique, l’artiste ne s’attendait pas à faire face à autant de polémiques. “J’avoue en toute modestie que je ne connaissais pas grand-chose sur le lynx. Je connaissais son apparence, mais, malgré le fait d’être jurassien, j’ai réalisé que j’avais beaucoup à apprendre lorsque j’ai ouvert la porte de mon atelier. Là, chaque passant s’arrêtait et venait me parler de son lynx, celui qu’il avait vu, celui qu’il avait entendu. Tout le monde à quelque chose à raconter sur ce félin qui déchaîne les passions et cela m’a beaucoup surpris” confie Pascal. 

En travaillant sur sa nouvelle œuvre, Pascal découvre avec stupeur qu’il touche à un sujet sensible et totalement clivant. Pour l’artiste, “il y a les amoureux du lynx et ceux qui le rejettent. Ce sont généralement des chasseurs qui voient en lui un concurrent dans sa prédation des chevreuils et des chamois. J’ai le sentiment que tout le monde est ancré dans sa position et nous n’arrivons pas à changer les idées de chacun. Mon lynx servira à ouvrir le débat entre les partisans et les opposants”.

En effet, si la majorité des lynx retrouvés morts sont victimes de collisions routières toujours trop nombreuses, il existe au sein de la fédération de chasseurs du Jura notamment des membres qui voient d’un mauvais œil ce concurrent. Même si c’est pour se nourrir et non pour un loisir, ils estiment qu’en prélevant un chevreuil par semaine, l’animal s’en prend à leur cheptel. Cette appropriation de la nature par certains entraine parfois des actes de braconnage qui, s’ils sont condamnés unanimement sont rarement condamnables juridiquement faute de témoins et de preuves. 

Pascal Bejeannin ne comprend pas cette opposition envers le lynx de la part de certains chasseurs. D’après lui, l’homme et l’animal peuvent vivre ensemble en parfaite harmonie dans la nature malgré leurs différences. “Tirer sur un animal comme le lynx est impardonnable, au-delà du fait que cela soit interdit. Il est tellement beau, tellement mystérieux. Je serais chasseur, je serais flatté et ce serait un défi pour moi d’avoir un concurrent tel que lui dans nos forêts. On est très loin d’une problématique comme le sanglier, alors il faut en être fier” estime le sculpteur. 
 
Les œuvres de Pascal Bejeannin ne sont pas simplement qu’une représentation du beau. Elles sont là aussi pour faire réfléchir et ouvrir le débat. La sculpture du lynx sera un moyen pour l’artiste d’aller à la rencontre de chacun des protagonistes avec une caméra grâce à l’association ArtSitu. 

Objectif : éveiller les consciences et témoigner de l’impact de l’homme sur la planète, de l’homme sur l’homme. L’œuvre devient alors un art de sociabilité où l’on regarde, on échange et on avance. 
Une fois l’œuvre terminée, le sculpteur tient à ce que le lynx soit placé en immersion dans la nature. “Notre territoire et nos forêts sont absolument magnifiques. Je tiens à ce que le lynx soit placé dans son élément pour des séances photographiques. L’automne approche et les couleurs seront d’une grande beauté, elles rappelleront son pelage roux, même si le mien est fait d’acier. Et puis, je veux le voir dans la neige de l’hiver. Je réfléchis à un moyen de le poser dans la nature en laissant le lieu immaculé et sans traces” ajoute le sculpteur.

Une fois les séances photographiques terminées, Pascal aimerait avoir l’aide du département du Jura et d’une commune pour l’installer dans un lieu où il serait mis en valeur. L’artiste commence à sortir l’animal de son atelier afin de prendre du recul et avoir un autre regard sur son lynx et mieux appréhender ce qui peut être corrigé.


Je trouve que le belvédère des quatre Lacs à la Chaux-du-Dombief est particulièrement approprié et l’endroit à flanc de falaise attire les touristes, car la vue est magnifique et nous sommes sur son territoire. Si jamais, il venait à être dégradé cela prouverait que le lynx reste un problème pour certains malgré le plan de sauvegarde mis en place par le gouvernement

La rencontre avec Pascal Bejeannin fut également l’occasion d’évoquer son voyage en Afrique Equatoriale avec son gorille. De Libreville à Franceville où la sculpture va rester un an, l’œuvre a pu parcourir le pays. Avec le concours de Save Gabon Primate, il a même été déposé dans la forêt équatoriale auprès de ses congénères. Des traces du primate ont été relevées au petit matin, mais la rencontre n’a pas pu être immortalisée par la caméra pour le documentaire tourné par la société de production Mise En Boite. 

Cette sculpture d’un gorille a permis à toute l’équipe du documentaire en tournage de pénétrer dans ce que l’artiste appelle les coulisses de l’Afrique. “Ce qui m’a marqué, c’est de voir la joie que le gorille apportait là où l’on passait. Les gens venaient nous voir et voulaient tous leur photo de Mekhan Mui. Comme pour l’ours blanc, l’œuvre n’était encore une fois que le prétexte à la rencontre. C’était formidable” nous décrit l’artiste. 

Pascal Bejeannin espère ensuite pouvoir emmener sa tortue luth dans les îles Galapagos pour évoquer la pollution des océans. Mais la pandémie de Covid qui se poursuit, et la crise économique risquent de retarder ce beau voyage.

source

Catégorisé: