Un livre. Parce qu’Arnaud le lui a demandé. Arnaud Tousch de RTL. Il lui avait téléphoné, le soir de l’attentat, pour lui parler d’Arnaud, son petit prince, son fils. Ce vendredi 23 mars 2018, tous les journalistes tentaient désespérément de joindre Nicolle Beltrame, la mère du héros. Ils voulaient recueillir les premières déclarations des proches de celui qui s’était offert en otage au terroriste à la place de la caissière du Super U de Trèbes. Les chasseurs d’images n’arriveront que le lendemain à Trédion, devant sa petite maison de granit, dans le Morbihan. Nicolle Beltrame sera déjà partie.
Lorsqu’elle a décroché, ce soir-là, il y avait sur son répondeur plus de 75 messages en souffrance. Elle savait son fils hospitalisé à Carcassonne dans un état grave et se préparait à le rejoindre en voiture. Assise dans le silence de son jardin d’hiver, Nicolle s’est livrée au journaliste sans retenue. « Cela ne m’étonne pas de mon fils ! m’a-t-elle dit immédiatement », se souvient ce dernier.
Damien, le benjamin des trois frères Beltrame, qui vit à Paris, avait été embarqué dans l’avion avec Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur. Le cadet, Cédric, suivait les événements depuis Singapour où il vit. Entre le jeune journaliste et Nicolle, un lien de confiance s’est noué. Et lorsque des mois plus tard, il lui a proposé d’écrire un livre ensemble, elle a dit oui.
Quelques heures avant ce coup de fil, au, moment de l’attaque du supermarché, Nicolle faisait des courses à Vannes. Le matin, une amie lui avait parlé de la prise d’otage. Elle n’y avait guère prêté attention. C’est dans l’après-midi, sur le parking du Leroy Merlin qu’elle a eu un mauvais pressentiment en entendant à la radio qu’un gendarme avait été grièvement blessé, Ce geste héroïque… C’est Arnaud. Elle le sait.
Nicolle attend Maurice, son compagnon, qui termine ses achats dans le magasin de bricolage. Dans l’intervalle, elle appelle Damien son plus jeune fils pour lui faire part de ses craintes. Il tente de la rassurer. Le blessé doit être un membre du GIGN. Il n’y a aucune raison qu’Arnaud soit impliqué dans cet attentat djihadiste ! Nicolle s’entête. Depuis l’enfance, elle « sent » les choses.
Avec Maurice, elle file chez une belle-sœur, à Vannes. Dans les Pages jaunes, elle cherche le numéro de la gendarmerie de son fils, à Carcassonne (Aude). Son appel est accueilli par un long silence. Une voix féminine lui répond par des questions. « Vous êtes seule ? Vous avez besoin que l’on vous accompagne ? » Sa vie vient de basculer une nouvelle fois. Elle se prépare pour un long voyage.
Avant de partir pour Carcassonne, la mère d’Arnaud glissera une robe et un manteau noir dans sa valise. Celui qu’elle porte en quittant la Bretagne est rouge. Ne jamais devancer le malheur. Mais s’y préparer et l’affronter lorsqu’il est là. Avec Maurice, ils prennent la route vers 1 heure du matin. Il est 5 heures, le couple approche de Bordeaux lorsque la femme qui avait répondu quelques heures plus tôt, Stéphanie, rappelle. « On a préféré que vous l’appreniez par nous… »
Un an après, Nicolle s’apprête à reprendre le même chemin pour aller pour la première fois sur la tombe d’Arnaud, enterré dans le Sud comme le souhaitait Marielle, son épouse. Avant, elle va assurer la promotion du livre. Elle veut faire connaître son fils, expliquer son geste de bravoure par son histoire, celle « d’un homme d’honneur ».
Le destin de la famille Beltrame a été « cabossé » par la vie. « Et pourtant, on peut s’en sortir, vous voyez ! » insiste Nicolle. « Arnaud ne s’est pas sacrifié, il n’était pas exalté, mû par sa foi comme on a pu l’écrire, corrige-t-elle fermement. Il était croyant et il allait se marier religieusement au mois de juin. Mais Arnaud avait le goût de la vie. Quelque temps auparavant, il avait participé à un entraînement de simulation d’une attaque dans un supermarché. S’il est entré dans ce magasin, c’est parce qu’il pensait réussir à maîtriser l’assaillant et non pour mourir. Il avait une telle force de conviction… »
Dans son livre, Nicolle s’interroge sur les neuf longues minutes écoulées entre le moment où son fils, enfermé avec le terroriste, appelle à l’assaut, et l’intervention effective du GIGN. « Lors des cérémonies, je respecte une minute de silence, je pense à lui et je me rends compte à quel point c’est long neuf minutes », poursuit-elle. Trop long ? « Je ne fais pas l’enquête, biaise-t-elle, notre pays est menacé et affaibli, nos forces de l’ordre n’ont pas besoin de polémique. Je laisse la justice travailler. »
Un principe. Comme celui qui lui interdit de prononcer le nom de l’assassin de son fils. « Je ne comprends pas qu’on parle de lui, assène fermement Nicolle, cette personne a déposé sa sœur de 5 ans à l’école avant de tuer de sang-froid plusieurs personnes. Quelle cause peut-il défendre ? Qu’y a-t-il d’intéressant à dire de lui ? » Avant d’être abattu par le GIGN, il a fait 5 morts et 15 blessés.
Dans son jean noir enduit assorti d’un pull crème, elle n’a ni la posture ni la tenue de la mère éplorée. « C’est ce qui nous a frappés le soir de l’hommage national, trois jours après la mort d’Arnaud, raconte le lieutenant-colonel Édouard Le Jariel des Chatelets. Il y avait quelque chose de lumineux dans son visage qui nous a tous impressionnés. Nous étions une cinquantaine de Coëtquidan (NDLR : où est basée l’école militaire interarmes où Arnaud a fait ses classes) à avoir fait le voyage. »
Avec un sourire de fierté et le regard clair et direct de son fils, elle désigne un an plus tard la malle aux trésors qui trône dans son salon. Celle-ci recèle des courriers que lui adressent, chaque jour depuis ce 24 mars 2018, les admirateurs d’Arnaud. Le 25 mars, elle avait découvert avec étonnement dans sa boîte aux lettres des condoléances en provenance de Washington. « Dans le monde entier, c’est un héros, soupire Nicolle. Mais moi, j’ai perdu un fils. »
Elle classe consciencieusement les envois par catégorie : officiels, enfants, dessins, poèmes, connaissances, militaires… Nicolle en reçoit encore quatre à cinq quotidiennement, notamment de maires qui souhaitent baptiser un square ou une rue du nom d’Arnaud. Il y en a déjà près de 200 dans toute la France. Les lettres polémiques ou malsaines finissent en fumée dans l’insert.
Nicolle est née en 1949 et a grandi non loin de son actuel domicile, dans la ferme de ses parents, agriculteurs. Il y avait peu d’argent. « Comme j’aimais la vie et m’amuser, les voisins me traitaient de fainéante », se souvient-elle. « Cela m’était égal car je savais, moi, que c’était faux, poursuit-elle. Lorsque je rentrais de danser le dimanche matin, j’allais directement travailler sur l’exploitation sans dormir quand mes amies partaient se coucher. »
Les cancans de voisinage lui ont donné le goût de la discrétion. Aujourd’hui encore, elle garde ses distances. On la croise dans les rues de Trédion car elle va fréquemment se recueillir devant le monument en l’honneur de son fils érigé devant le château. Elle salue poliment. Mais ne s’arrête pas et ne s’épanche jamais.
À peine sortie de l’adolescence, elle était partie à Vannes pour devenir infirmière psychiatrique et gagner en liberté. L’enseignement avait l’avantage d’être gratuit et les élèves rémunérés. Pendant ses études, elle rencontre Jean-François, le père de ses trois enfants. Né à Beyrouth, dans une famille de militaire, il quittera l’armée au bout de cinq ans pour une compagnie d’assurances.
Au début des années 1970, le jeune couple s’installe à Estampes en région parisienne. Jean-François change une nouvelle fois de voie pour devenir infirmier, comme son épouse. La famille grandit. À 30 ans, Nicolle intègre l’école des cadres infirmiers. Un ménage de la classe moyenne dans la France prospère des années 1970.
La mythologie familiale puise son inspiration dans la lande bretonne et le souvenir des guerres coloniales. Arnaud Beltrame, le héros de Trèbes, est élevé avec les récits de son grand-père paternel, Papy Jo, Georges dont il porte le prénom, blessé à la jambe pendant la guerre d’Indochine. Le garçonnet joue avec ses petites figurines, des fantassins de grandes valeurs dont il prend soin.
Georges avait souffert de voir son fils abandonner la carrière militaire. Son petit-fils a repris le flambeau. « L’inconscient familial a resurgi chez Arnaud, c’est une évidence pour moi, écrit Nicolle dans son livre, j’ai l’impression qu’il respirait à travers l’armée. Jean-François avait rompu sa chaîne. Avec Arnaud, elle a repris trois fois plus fort. »
La famille modèle ne résiste pas aux frustrations professionnelles du père et à la réussite de Nicolle. Toujours pimpante et souriante à l’extérieur, elle vit l’enfer des violences conjugales à une époque où les femmes se taisent. Elle n’a pas les moyens de partir. Les vacances chez les grands-parents lui permettent de tenir. Un temps. La peur s’installe. Elle finit par divorcer. À une fête de famille en Bretagne, elle rencontre Daniel, le nouvel homme de sa vie. Les tensions s’apaisent.
Son nouveau compagnon, directeur d’école, fait découvrir la montagne à Arnaud… En juillet 1999, Nicolle vient de fêter ses 50 ans, Daniel meurt d’une crise cardiaque dans ses bras au cours d’une excursion dans les Alpes. Elle tente de la ramener à la vie par un massage de quarante-cinq minutes. Nicole doit quitter le logement de fonction de Daniel.
Elle n’a plus les moyens de vivre en région parisienne ; prend sa retraite et achète une maison à Trédion. Au début, elle doit faire des remplacements à l’usine pour boucler ses fins de mois. Les litiges financiers liés à son divorce ne sont pas tous réglés. Le bonheur aura duré sept ans.
Arnaud, son fils aîné, poursuit sa carrière militaire tout en veillant sur elle. Il n’a pas réussi à intégrer l’École de guerre, qui forme les officiers supérieurs à Paris (VIe). « Il a énormément travaillé mais il avait trop de caractère, condamne Nicolle. Il aurait fait un général de grand talent. »
Lors des différents hommages que lui a rendus l’armée, la mère de famille n’a pas manqué de faire remarquer aux officiers qui saluaient le geste de son fils leur erreur de recrutement ! Sorti major de l’École militaire interarmes de Coëtquidan en 2001, Arnaud avait ensuite intégré l’école des officiers de la gendarmerie nationale.
L’aîné des Beltrame était le seul de ses trois enfants à avoir conservé un lien avec son père. « Je lui avais demandé de veiller sur lui », explique sa mère. Arnaud était à ses obsèques une semaine avant l’attentat. Disparu en mer en août 2017, Jean-François, qui n’avait cessé de se marginaliser depuis la séparation, avait été repêché quelques semaines plus tôt.
Avant la mort du héros de Trèbes, Nicolle avait refait sa vie, une nouvelle fois. Avec Maurice. Ses trois fils traçaient leur chemin. Arnaud venait d’obtenir l’annulation religieuse de son mariage de jeunesse. Une fête se préparait.
28 juin 1949. Naissance de Nicolle, qui deviendra infirmière psychiatrique en 1972.
27 mai 1971. Mariage avec Jean-François Beltrame, dont elle divorcera en 1993.
18 avril 1973. Naissance d’Arnaud à Étampes (Essonne). Suivront Cédric, le 25 mai 1975, et Damien, le 10 juillet 1981.
16 mars 2018. Inhumation de Jean-François Beltrame, disparu en mer.
23 mars 2018. Attentat de Trèbes.
27 mars 2018. Arnaud Beltrame est promu à titre exceptionnel et posthume au grade de colonel et cité à l’ordre de la Nation.
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