Le 21 janvier 1793, le peuple français décapitait sous les hourras le roi Louis XVI. Deux siècles plus tard, alors que l’annonce de la mort de la reine Elizabeth II a généré près de 1834 tweets par seconde sur Twitter, la France semble aussi endeuillée que le Royaume-Uni. Comme si la républicaine France venait de perdre une figure importante de son histoire.
Les déclarations du président de la République et de sa Première ministre n’ont fait qu’entretenir ce paradoxe d’un peuple profondément républicain fasciné par les têtes couronnées. “Ce soir, les Français aussi sont en deuil”, a ainsi déclaré Elisabeth Borne, le 8 septembre, jour de la mort de la reine. “Sa mort laisse en nous un sentiment de vide”, a ajouté Emmanuel Macron. Selon une étude menée par la société Appinio, 60% des Français se disent affectés par la disparition d’Elizabeth II.
Même son de cloche chez les artistes. Pourtant fils d’immigrés siciliens, le chanteur Calogero a repris jeudi soir lors d’un concert quelques notes de God Save The Queen. Derrière lui, un écran géant diffusait l’image d’un drapeau du Royaume-Uni. “La mort de la reine Elizabeth II c’est une peine immense pour moi et pour le monde”, a réagi de son côté sur Twitter l’actrice Brigitte Bardot. “Chagrin d’apprendre la mort de notre Reine…”, avait également twitté Arielle Dombasle. Depuis l’enfance, nous savons qu’il y a un royaume là-bas, le Royaume-Uni et sa vénérée Reine d’Angleterre…”
“Nous l’avons tant aimée”, proclamait Le Parisien au lendemain de la mort de la reine. Une “une” qui fait écho à celle du numéro de juillet/août 2021 de la Revue des deux mondes, qui titrait: “Le modèle britannique, le sacré qui nous manque”. Dans un article publié dans la revue, Stéphane Bern estimait que le Royaume-Uni et Monaco étaient “nos deux monarchies de substitution”. “Les Français ont le goût du prince, mais ils vont le chercher à l’étranger”, disait le général de Gaulle.
Outre la Tour Eiffel, qui s’est éteinte le soir de la mort de la reine, les drapeaux des bâtiments officiels étaient vendredi dernier en berne, un acte réservé à des circonstances particulières comme un deuil national ou un hommage. Emmanuel Macron, qui souhaite associer les Français au deuil des Britanniques, a placé un drapeau britannique sur le perron de l’Elysée. Les drapeaux seront à nouveau en berne lundi 19 septembre, pour les obsèques d’Elizabeth II.
Cette décision ne fait pas l’unanimité. Vendredi, le maire de Faches-Thumesnil (Nord), Patrick Prois, a refusé de suivre les consignes du président. “Est-ce fait pour tous les chefs d’Etat qui décèdent? Notre République fait-elle de la préférence pour une monarque, cheffe d’une Église?”, s’était-il interrogé. Une indignation partagée par Yann Galut, le maire de Bourges (Cher): “Je respecte la douleur de nos amis anglais mais je ne mettrai pas les drapeaux français sur le fronton des bâtiments municipaux.”
Cette passion française pour Elizabeth II, et plus largement pour la couronne britannique, remonte à loin. Une visite officielle de la reine Victoria au château d’Eu en Normandie en 1855, quarante ans après la défaite de Waterloo, avait suscité “un extraordinaire engouement populaire”, rappelle Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’université Bordeaux-Montaigne et spécialiste de la Grande-Bretagne. “Les Français avaient été très sensibles [au fait] que la reine et son fils aîné se rendent aussi aux Invalides pour se recueillir devant le tombeau de Napoléon Ier.”
Les relations entre les deux pays se nouent plus précisément au début du XXe siècle. Le roi Edouard VII se rend en France en 1903, cinq ans après la crise de Fachoda, un incident diplomatique qui a failli déboucher sur une guerre entre les deux pays. “L’accueil de la population parisienne est d’abord très froid”, note l’historien. “Puis Edouard VII, par sa bonhommie, son caractère enjoué, sa simplicité, parvient à retourner l’opinion en sa faveur. C’est après cette visite que se met en place le processus qui va aboutir en 1904 avec l’Entente Cordiale.”
En 1936, l’abdication d’Edward VIII pour pouvoir épouser la mondaine américaine Wallis Simpson fascine aussi les Français. “La France n’avait pas compris pourquoi le monarque ne pouvait pas épouser la femme qu’il aimait. Le public n’avait pas conscience des obstacles religieux et politiques à une telle union”, complète Philippe Chassaigne. En 1938, George VI se rend à Paris pour rappeler les liens diplomatiques qui unissent le Royaume-Uni à la France alors que la situation internationale se tend à l’Est.
Dix ans plus tard, la princesse Elizabeth II n’est pas encore reine, mais se rend en France à la place de son père. “La presse parle de la ‘petite princesse’ d’un ton paternaliste. Elle prononce un discours dans un français impeccable. Et lorsqu’elle repart de Paris, tout le monde crie, ‘vive la reine!’ alors qu’elle ne l’est pas encore!”, s’amuse Philippe Chassaigne. En 1957, Guy Mollet, président du Conseil, propose d’adhérer au Commonwealth – mais la proposition sera refusée par Londres.
Depuis le 2 juin 1953, jour du couronnement d’Elizabeth II, chaque événement royal diffusé à la télévision française a rencontré un immense succès d’audience. Pour assister au couronnement, la France entière s’était équipée en télévision. Des millions de Français suivront aussi le mariage de Charles et Diana, le 29 juillet 1981, puis les funérailles de Diana, le 6 septembre 1997, devant leur télévision.
Le 29 avril 2011, 9 millions de Français ont suivi le mariage de William et Kate. En 2012, ils étaient près de 4 millions à regarder le jubilé de diamant de la reine. Le 19 mai 2018, 8,1 millions de Français ont assisté aux noces de Harry et Meghan. Le 5 avril 2020, le discours de la reine pour redonner courage aux Britanniques frappés par la pandémie de Covid a attiré près de 2,5 millions de téléspectateurs. Et le 17 avril 2021, près de six millions de Français ont suivi les obsèques du prince Philip.
Cette fascination prend racine non pas dans la francophilie de la reine, mais dans les fondements de la Ve République. Le président dispose en France de plus de prérogatives institutionnelles qu’aucun autre de ses homologues. “Avec la Ve République, le président est un monarque républicain. Nous changeons de monarque tous les cinq ou dix ans”, analyse Philippe Chassaigne. “Même si la France est une république, il y a cette personnalisation du pouvoir en une seule personne. Nous pouvons donc plus facilement nous projeter sur un véritable monarque outre-Manche.”
Pour l’historien Jean Garrigues, dans Le Point, cet engouement témoigne d’une “nostalgie de la figure monarchique”, qui “se manifeste par le recours périodique à des figures d’autorité ‘transcendantales’ ou, du moins, à des hommes providentiels.” La France a une passion pour cette figure du héros providentiel, de Gambetta à Pierre Mendès-France en passant par Clémenceau, Pétain et le général de Gaulle. Mais Elizabeth II n’a rien fait pour endosser ce rôle-là, d’autant qu’elle n’avait pas prévu de devenir reine.
Yaël Goosz, chroniqueur politique de France Inter, y voit l’expression d’un “peuple qui regrette d’avoir décapité le roi”, “un complexe refoulé vis-à-vis d’une transcendance disparue”: “D’où le faste républicain. L’Elysée est un palais”, insiste-t-il. “Si la famille royale britannique est aussi populaire en France, c’est parce qu’elle incarne justement ce pouvoir symbolique capable de rassembler tout un peuple et dont nous nous sentons orphelins”, renchérit Stéphane Bern dans la Revue des deux mondes.
Pour beaucoup de commentateurs, cette nostalgie est “consubstantielle à la dimension sentimentale que possède la monarchie”, analyse Frédéric Rouvillois dans Le Figaro. Selon lui, il existe aussi “un attachement plus profond, qui tient à la nature même de la monarchie”: “Le régime monarchique est composé de deux principes contraires: un éloignement fantastique, qui inscrit le monarque dans une continuité historique, et une familiarité qui permet l’incarnation du pouvoir dans une famille.”
Pour Charles-Eloi Vial, auteur de divers ouvrages sur la monarchie, cette fascination renvoie plus à uneméconnaissance du passé” et à une “méconnaissance des réalités du fonctionnement des systèmes monarchiques anciens [qu’à un] déficit de l’incarnation du pouvoir dans notre République”, avait-il expliqué au blog Paroles d’actu.
Pourtant, les Français ne sont pas totalement dupes des images de conte de fée de la monarchie britannique. En 2016, selon un sondage BVA. moins d’un Français sur cinq (17%) se disaient favorables à ce que la fonction de chef de l’Etat soit occupée par un roi.
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