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Après Nice la semaine dernière, nous allons à la rencontre des Anglais à Hyères, Toulon, Saint-Raphaël, et dans le Var. Découvrez notre deuxième sujet, d'une série de trois articles, lié aux Britanniques à quelques jours du Brexit.
Lady Willoughby, jeune veuve qui vivait à Hyères, décida d’adopter une orpheline prénommée Célestine. Elle l’éleva avec ses deux enfants, Mathilde et George. Atteinte d’une maladie grave, elle recommanda, avant de mourir, à son fils George d’épouser la fille de Lord Castlenorth qui l’aimait. Mais, entre-temps, George et Célestine étaient tombés amoureux.
Redoutant qu’ils se marient, la fille du Lord fit courir le bruit qu’ils étaient frère et sœur. Pour prouver le contraire, George se lança à la recherche des parents de Célestine. Enquêtant au sein de la colonie anglaise d’Hyères, il finit par les retrouver et put épouser Célestine. L’histoire de ce roman de Charlotte Turner Smith, Célestine ou la victime des préjugés (Celestina), a ému toute l’Angleterre à la fin du XVIIIe siècle et a fait énormément pour la célébrité d’Hyères.
Les Anglais voulurent connaître la ville de Célestine. Ils traversèrent la Manche et accomplirent les quinze jours de voyage qui les conduisaient de Calais au Var. Hyères devint un lieu de villégiature privilégié pour les Anglais.
Au cours des siècles, les relations entre le Var et les Anglais n’ont pas toujours été de tout repos. Elles ont fait alterner les périodes de conflits et de tourisme. En février 1744 a lieu au large de Toulon la bataille du cap Sicié. Français et Espagnols sont ligués contre les Anglais. Une soixantaine de navires s’affrontent. La flotte anglaise est vaincue.
En 1793, ce sont 50.000 hommes qui s’affrontent lors du siège de Toulon. La flotte anglaise a été appelée en renfort par les royalistes toulonnais désireux de chasser la Révolution. L’armée républicaine française vaincra les Anglais grâce à l’action d’un jeune commandant nommé Bonaparte (lire #NOUS n°80 du samedi 9 novembre dernier). Il y eut 6.000 morts.
Les Anglais se vengeront. Ils humilieront Napoléon le 29 avril 1814, à Saint-Raphaël, en l’embarquant, prisonnier, vers l’île d’Elbe sur leur frégate The Undaunted (La Téméraire).
Lorsqu’ils ne sont pas soldats mais touristes, les Anglais sont, en revanche, accueillis à bras ouverts dans le Var. Et parfois même lorsqu’ils sont à la fois soldats et touristes!
Les deux premiers hivernants anglais célèbres répertoriés à Hyères ont été, en 1767, deux officiers anglais, les généraux Albermarle et Prevost (lire L’Hiver dans le Midi de l’historien Marc Boyer). Le premier était connu pour avoir participé à la prise de La Havane en 1762, pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). Le second, étrangement prénommé Augustine, s’était distingué lors de la conquête de la Nouvelle-France (le Canada). C’était le début du tourisme anglais à Hyères.
Durant deux hivers, en 1787 et 1788, le fils du roi George III de Grande-Bretagne, Auguste Frédéric, y séjourna avec sa suite. Hyères va devenir, avec Nice et Cannes, l’une des colonies anglaises les plus importantes de notre région.
L’English way of life va s’accommoder de la lumière du climat varois, du scintillement de la Méditerranée, de la beauté des îles d’Or – même si, au large, les corsaires anglais poursuivent leurs attaques. On boira le five o’clock tea, le petit doigt levé, à l’ombre des pins parasols.
En 1846, le docteur londonien Clarke (cité par l’historien Charles Amic dans Vie et mort des grands hôtels de luxe à Hyères, station d’hivernants, des années 1850 aux années 1950), affirme:“La petite ville de Hyères, agréablement située sur le revers méridional d’une colline, à environ deux milles du rivage de la Méditerranée et à la distance de douze milles de Toulon, est la résidence la plus exceptionnelle que la Provence puisse offrir aux personnes atteintes de maladies de poitrine.” 
Décidément, les médecins anglais auront beaucoup fait pour la promotion de notre région! Notamment grâce aux docteurs Smollett à Nice ou Bennett à Menton.
En 1875, Alexandre Peyron, cuisinier originaire de Carqueiranne, ayant exercé et s’étant marié en Angleterre, va se lancer à la conquête du nouveau quartier boisé de Costebelle. Il fait construire le Grand Hôtel de l’Ermitage dont la façade s’étale majestueusement au-dessus des frondaisons méditerranéennes.
Costebelle est ainsi décrit par l’écrivain français Stéphen Liégeard, inventeur de l’appellation Côte d’Azur:”Nous rejoignons le vallon par un chemin romantique taillé en pleine forêt de pins. Nul plus luxuriants tapis d’herbes odoriférantes, nulle frondaison plus frémissante aux brises, nuls chants de rossignols plus doux parmi les myrtes et les chèvrefeuilles!” 
En 1877, un ex-capitaine de l’armée des Indes arrive à Hyères. Il s’appelle Richard Corbett. Homme d’affaires, il s’associe à Alexandre Peyron pour construire deux autres hôtels en ce lieu, l’Albion et Costebelle. Ces trois palaces font la fierté d’Hyères. Les Anglais viennent y profiter du confort moderne, du chauffage central et, bientôt, de l’éclairage électrique.
Ils peuvent aussi – luxe suprême ! – téléphoner et télégraphier. Les soirées élégantes se succèdent. Les bals font tourner sous les lambris les fracs et les robes à froufrous. La musique emplit les salons. Les bijoux scintillent à la lumière des chandeliers.
À l’extérieur, un golf de 18 trous est aménagé, ainsi que cinq courts de tennis. On s’adonne au croquet et à l’équitation. Tout cela est on ne peut plus british. Des calèches conduisent les résidents aux deux gares du Paris-Lyon-Méditerranée et des Chemins de fer du Sud qui vont vers Saint-Raphaël. Car Saint-Raphaël est de plus en plus prisé par les Anglais.
Au luxe des hôtels, certains Britanniques préfèrent les locations privées. C’est le cas de l’écrivain Robert Louis Stevenson, auteur de L’Île au trésor, arrivé à Hyères le visage creusé par la maladie. De février 1883 à juin 1884, il s’installe dans un chalet La Solitude avec son épouse Fanny Osbourne.
“Ce coin, notre jardin et notre vue sont subcélestes. […] Je réside près du paradis.” 
Sa santé s’améliore. Il écrit Prince Othon, La Flèche noire, Les Pionniers du Colorado. Âgé de 33 ans, il se sent vieillir:“Le plus pénible, quand on vieillit, c’est de se sentir encore jeune”, dit-il.
Il a encore onze ans à vivre. Le 21 mars 1892, branle-bas de combat en gare d’Hyères:arrivée de la reine Victoria. Son train comporte 11 wagons décorés de tapisseries et soieries, est doté d’un mobilier spécial et d’un cabinet de toilette garni de marbre et cristal.
Un arc de triomphe a été dressé à l’extérieur de la gare. Le maire Charles Roux et le préfet Chadenier accueillent la souveraine âgée de 73 ans. Veuve depuis 1861, elle est accompagnée de son secrétaire Lord Ponsonby, de sa fille Beatrice, de son fils Arthur et son épouse, et de nombreuses personnes de la Cour. Les trois hôtels de Costebelle sont entièrement réservés jusqu’au 25 avril. Quarante gendarmes protègent le séjour de la reine. La presse anglaise rend compte de ses faits et gestes.
Elle se déplace dans son cabriolet tiré par son célèbre âne Jacquot, escortée par son valet écossais en kilt, et par son escouade de lanciers du Bengale coiffés de turbans. Tout ce monde forme un cortège insolite et coloré sur les chemins de Costebelle.
La reine rend visite au comte et la comtesse de Guichen dans leur somptueuse villa du Plantier. Elle leur offre une variété de tulipes importée des Indes. Elle se rend aussi chez Alexis Godillot, cet industriel inventeur de la célèbre chaussure militaire qui est devenu un bienfaiteur de la ville d’Hyères en faisant construire des villas et aménager des quartiers.
Le 14 avril, toute la colonie anglaise n’aurait oublié pour rien au monde d’envoyer des bouquets à l’Hôtel de Costebelle pour l’anniversaire de la princesse Beatrice. La reine participe à la vie locale. Lors d’un gala de charité, le 31 mars, elle achète une photo de Louis Cartigny, ultime survivant de la bataille de Waterloo, décédé le même mois à l’âge de 100 ans. On voit aussi la reine à Carqueiranne, Toulon, Pierrefeu, La Londe, La Garde. Le 25 avril, elle quitte la région. C’en est fini de la présence royale.
Bientôt, Hyères et le Var basculeront dans le nouveau siècle et entreront dans le désastre de la Première Guerre mondiale.
Hyères ne se relèvera pas du conflit. Peu à peu, au cours du XXe siècle, les palaces fermeront.
Il y aura encore quelques écrivains britanniques pour rappeler la présence anglaise dans le Var. En 1922 Joseph Conrad vient paresser sur la presqu’île de Giens. Il la décrit ainsi:“Elle avance loin dans la mer, comme une grossière tête de pierre qui, sortie d’une côte verdoyante, se tend au bout d’un cou effilé et sableux recouvert de buissons et d’épines rabougries.”
Il trouve là l’inspiration de son roman, Le Forban – l’histoire d’un marin qui s’est retiré à Giens après le siège de Toulon de 1793 et d’un officier toulonnais qui part défier l’amiral anglais Nelson à la bataille de Trafalgar.
En 1929, à l’âge de 44 ans, David Herbert Lawrence, auteur de L’Amant de Lady Chatterley – ouvrage interdit l’année précédente pour obscénité –, se sait atteint d’une tuberculose incurable.
En désespoir de cause, il vient séjourner à Port-Cros, dont il espère les bienfaits du climat. L’Homme qui aimait les îles (titre d’une de ses nouvelles) vient-il chercher ici l’île utopique qu’il a imaginée quelques années plus tôt, qu’il a appelée Rananim et peuplée d’une société idéale ? Il est obligé d’écourter son séjour et ira mourir à Vence le 2 mars 1930.
Dans cette cité des Alpes-Maritimes, il a retrouvé son ami écrivain anglais Aldous Huxley et a eu le temps de lui vanter les beautés du Var. Peu après, durant l’été 1931, Huxley viendra écrire à Sanary son œuvre majeure, Le Meilleur des mondes.
Il y déclare : “Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l’Histoire est la leçon la plus importante que l’Histoire nous enseigne.” N’y a-t-il pas là quelque chose à méditer à la veille du Brexit?
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