Depuis quelques mois, une polémique agite le village de Saint-Georges-de-Mons dans le Puy-de-Dôme. Au cœur du problème : la vente de l’hôtel-restaurant historique de la commune. Entre l’acquéreur, le conseil municipal et l’opposition, le torchon brûle. Au grand dam des habitants.
C’est un projet familial mis en pause dans la petite commune de Saint-Georges-de-Mons dans le Puy-de-Dôme. Depuis plusieurs mois, la tension va crescendo autour de la vente de l’auberge Le Saint-Georges, située en plein cœur du bourg. L’établissement est en vente depuis près de 2 ans. En début d’année, une famille s’est manifestée pour reprendre l’affaire, avec l’objectif de s’y installer et de créer des chambres d’hôtes ainsi que des gîtes dans les chalets qui entourent le bâtiment principal. La famille Andrieux a construit son projet avec soin mais depuis fin mars, la vente est au point mort, au grand dam de Stéphane Andrieux : « Ça fait un mois qu’on a signé la promesse de vente. Suite à ça, on a appris que la mairie voulait préempter parce qu’ils voulaient soi-disant conserver le restaurant historique de la commune. On amène quand même une activité commerciale puisque on fait gîte, chambres d’hôtes et table d’hôtes. Moi, ayant le bilan du restaurant qui était là avant, je me suis rendu compte que le restaurant ne fonctionnait pas du tout. En réalité, il fonctionnait principalement avec l’hôtel et les gîtes, c’était plus de la demi-pension par rapport aux gens qui étaient dans l’hôtel mais le restaurant par lui-même ne fonctionnait pas du tout », déplore Stéphane Andrieux. Il refuse donc de reprendre l’activité de restauration.

La commune possède un établissement de restauration rapide, cependant, pour le maire Julien Perrin (SE), impensable de laisser partir le dernier restaurant traditionnel : « On a été contacté par la propriétaire de l’hôtel, l’auberge le Saint-Georges en septembre 2021 pour annoncer qu’elle avait trouvé un acquéreur. Elle nous avait dit qu’il n’y aurait pas de reprise de l’hôtel-restaurant, que l’activité commerciale allait disparaître au profit d’un autre projet dont on n’avait pas connaissance. On a trouvé ça plus que dommageable, que l’activité de restaurant ne soit par reprise parce que, un restaurant, pour une commune, c’est stratégique. Ca amène du dynamisme. On est quand même chef-lieu de canton, on a plus de 2 000 habitants, on a des constructions nouvelles sur la commune avec le phénomène du COVID, on a des entreprises avec Aubert et Duval, la manufacture des Lumières… On a quand même des commerces. Et aujourd’hui, à Saint-Georges, on ne peut pas venir manger. C’est quand même regrettable. On a déjà perdu un restaurant, la Bonne Etable, qui marchait très bien et là c’est le dernier hôtel-restaurant historique de la commune pour tout ce qui est restauration traditionnelle ».

Il craint que cette vente ne signe la mort du village : « Il est en plein centre-bourg et pour nous, le voir partir, ça serait la mort du village. J’aimerais qu’on aille jusqu’à la préemption, il va y avoir un conseil municipal fin mai pour demander l’avis des conseillers municipaux. Même si c’est de ma délégation, je pourrais moi prendre seul la décision, mais je souhaite que ça soit démocratique avec mes collègues élus, donc il va y avoir un vote solennel au sein du Conseil municipal de fin mai sur la préemption. » Franck Baly, élu d’opposition, s’est étonné de cette volonté de préempter : « L’auberge de Saint-Georges-de-Mons est à vendre depuis quelques années. Là, elle a trouvé un acheteur d’accord pour signer le compromis de vente. La mairie a dit « Nous, ça nous intéresse d’acheter ce restaurant, on va faire valoir un droit de préemption ». Cela pose problème puisque la personne cherchait depuis 2 ans mais la mairie ne s’était jamais manifestée. La vente était suspendue en quelque sorte. Le maire dit qu’il veut acheter parce qu’il veut sauver le dernier restaurant de Saint-Georges. Ce n’est pas le dernier restaurant puisqu’il y a quand même une petite restauration rapide bien utilisée », raconte cet élu d’opposition.

Mais la mairie ne souhaite pas voir le Saint-Georges cesser son activité de restauration. Des discussions s’engagent avec les acquéreurs de l’établissement, raconte Stéphane Andrieux : « Suite à ça, je suis rentré en contact avec Monsieur le maire, il m’a dit au téléphone qu’il voulait préempter le bien, qu’il voulait impérativement conserver le restaurant dans le village Il m’a proposé de me montrer des biens pour créer mon activité ailleurs. Il me redonne un rendez-vous quelques temps plus tard, on va visiter le presbytère qui se trouve sur la voie principale qui traverse Saint-Georges. Le lieu est beaucoup trop petit. Ensuite, il me montre tout un complexe école primaire-collège, l’école Notre-Dame. C’est complètement inadapté pour retransformer en logement. On partait dans des travaux phénoménaux. Je pensais réellement qu’il allait me laisser signer normalement ma promesse de vente et que derrière il allait préempter. En réalité, ce qu’il voulait, c’était vraiment que je ne signe pas sauf que je suis engagé, même si je n’ai pas signé chez le notaire et quoi qu’il arrive, je dois quand même aller au bout. Même s’il m’avait fait visiter le restaurant panoramique au bord du lac, s’il avait appartenu à la mairie, j’aurais quand même été au bout. » Les tensions s’enlisent entre les acheteurs et la mairie : « Quand on a annoncé qu’on allait quand même signer parce qu’on était engagé, il y a eu vraiment une tension supplémentaire d’un coup, une stupéfaction du maire. C’était le Saint-Georges qu’on voulait. On ne savait pas si la mairie allait préempter ou pas, alors pourquoi se rétracter ? »

Face à cette situation, la famille décide de faire un courrier, une lettre ouverte qu’ils partagent sur les réseaux sociaux : « Suite à cette réunion, il y a eu le Conseil municipal, ils ont balayé la question en 20 secondes en disant « On n’a pas tous les éléments pour prendre notre décision.” J’en ai conclu qu’ils ne voulaient pas en parler devant les quelques citoyens présents au Conseil municipal. Il y a quelque chose, il y a anguille sous roche quelque part. On a simplement voulu, à travers cette lettre, dénoncer des façons de faire qui nous semblaient bizarres et qui semblaient couvrir des choses. On a l’impression qu’ils veulent préempter mais en cachette », indique le fils, Anddy Andrieux.  


Le scandale a éclaté au conseil municipal du mois de janvier de cette année, raconte Franck Baly : « Il y avait un conseiller municipal qui souhaitait l’acheter au départ mais qui n’avait pas les moyens. Il y en avait pour 250 000€ plus racheter tout le matériel, les frigos, les cuisines… C’était un petit billet de 100 000€. Il y avait une grosse remise aux normes du bâtiment qui est quand même assez colossal et il y avait 300 à 400 000€ de mise aux normes, ce qui faisait un billet total de 800 000€ à peu près. Le conseiller municipal n’a pas pu l’acheter et la mairie dit « On va l’acheter et on te mettra en tant que gérant.” Le conseiller a reconnu qu’effectivement ils avaient prévu ça, et là il a démissionné. Il faut savoir aussi que le fils du premier adjoint a une boucherie dans le village et qu’ils avaient prévu que la boucherie alimente aussi le restaurant. »

José, commerçant à Saint-Georges-de-Mons, était également présent : « J’ai été mis au courant lors de la session du Conseil municipal extraordinaire et je n’ai même pas vu la propriétaire. Je voulais donner mon point de vue en tant que commerçant local et, arrivé à cette réunion, on a assisté au débat, où on a même vu un conseiller démissionner parce qu’il était plus ou moins impliqué pour avoir fait des démarches pour acquérir l’hôtel, mais il n’avait pas eu les fonds. Moi, je gardais ça dans un coin de ma tête en me disant que c’était peut-être des bruits, mais là, il y a eu confirmation puisque même le maire a dit « Nous avons des dossiers de reprise ». Etant donné que l’auberge n’appartient pas à la commune, comment se fait-il qu’il y ait déjà des dossiers de reprise puisqu’il faut des appels d’offre ? Ça me laisse penser que dans son entourage quelqu’un avait déjà donné son dossier alors que l’auberge appartient toujours à sa propriétaire.»

Si le maire Julien Perrin confirme que l’un des élus s’est intéressé au Saint-Georges, il se défend de toute volonté d’acheter le bien pour cette raison : « Il y a eu quelques tensions effectivement. Un conseiller municipal avait visité le bien à titre privé, il a pris contact avec la propriétaire et ils n’ont pas trouvé de terrain d’entente. Il y a eu des attaques personnelles de l’opposition face à ce conseiller et il a souhaité démissionner mais ce n’est pas par rapport au fait qu’il souhaitait qu’on lui confie la gestion. On ne veut pas préempter pour installer quelqu’un de la mairie. » Le maire et l’opposition ont réagi, eux aussi sur les réseaux sociaux :
La mairie est dans la légalité, ce que reconnaissent toutes les parties présentes, y compris l’acquéreur Stéphane Andrieux : « Moi, ce que j’avais demandé au maire, c’est de faire un débat démocratique et puis surtout d’aller vite, On pense qu’il y a réellement quelqu’un derrière qui a un intérêt personnel à vouloir récupérer ce bâtiment, ni plus ni moins. Le but pour nous n’est pas d’aller en procédure. Ils sont encore dans leur droit. Ce qu’on a voulu faire, en mettant la population de Saint-Georges-de-Mons au courant à travers cette lettre ouverte, c’est sensibiliser sur le fait qu’on veut nous priver d’un projet. On se projetait, on imaginait nos travaux, on imaginait tout ça. Forcément, ça nous a fait tomber de haut. C’est simplement faire réaliser à la population qu’il y avait peut-être des agissements qui se préparaient en interne, de par ce qu’on ressentait. » Même discours du côté de l’opposition : « On est toujours à la limite de la légalité. S’ils ne mettent pas le conseiller, après tout, c’est une décision d’élus, personne ne peut s’y opposer. Il n’y a rien d’illégal », souligne Franck Baly. En effet, selon un avocat spécialisé dans la préemption, le droit à préempter doit s’effectuer dans les conditions définies par le code de l’urbanisme de la commune. Si celui-ci prévoit que la commune peut préempter et que les critères de préemption permettent d’acquérir le bien, le droit est respecté. 
« Il y a un couple et une personne âgée qui vont se retrouver plus ou moins à la rue ou dans une situation précaire »

Malgré tout, cela laisse la famille dans l’embarras : « On leur a fait savoir gentiment qu’on aimerait bien avoir une réponse rapidement puisque pour nous tout était bon, on s’est permis de vendre nos biens. A tout moment, d’ici quelques semaines, il y a un couple et une personne âgée qui vont se retrouver plus ou moins à la rue ou dans une situation précaire. Il va falloir trouver en urgence quelque chose en location. Ils nous font perdre énormément de temps. On trouve juste ça pas correct suite aux multiples rendez-vous qu’on a eus. Je ne peux pas me projeter ailleurs, je suis coincé, ça veut dire que pendant 3 mois je ne sais pas où je vais aller, ça va être compliqué », insiste Stéphane Andrieux. Le maire, lui, assure avoir tenté de trouver une solution pour maintenir le projet de gîte : « Le projet est respectable, après, c’est le lieu. C’était en plein centre-bourg, c’était l’hôtel restaurant, c’est pour ça que j’ai rencontré Monsieur Andrieux, sa femme et son fils pour leur proposer d’autres bâtiments dans la commune. On a visité le presbytère, l’école Notre-Dame, qu’on a mis également en vente pour trouver une autre solution pour accueillir ce projet qui est sûrement dynamisant pour la commune, mais pas dans l’hôtel-restaurant. »

Pour José, un des commerçants du village, refaire un restaurant serait aberrant, d’autant que la commune l’a déjà possédé : « Ce bâtiment avait appartenu à la mairie il y a 15 ou 20 ans, ça avait été un gouffre financier et là, cette nouvelle équipe décide de racheter ce bâtiment qui avait coûté une somme folle à la commune. Ceux qui connaissent bien l’affaire disent que c’est inadmissible, c’est impensable de de faire ça. On a l’historique de l’hôtel Saint-Georges où des municipalités s’en sont vues pour trouver des acquéreurs privés pour rentabiliser. Cette structure, elle coûtait de l’argent à la commune parce qu’on prend des gens qui n’arrivent pas à avoir des fonds personnellement et la commune engage des fonds pour ces gens-là. » Ce sentiment lui aurait été confirmé par celle qui tenait autrefois le restaurant : « J’en ai parlé avec l’actuelle propriétaire et elle me disait : « Nous, c’est l’hôtel qui nous faisait gagner notre vie, pas le restaurant. Le restaurant, c’était le plus pour nos pensionnaires. » On le conçoit puisque, chez nous, la clientèle va déjeuner au bord de l’eau, mais pas en plein bourg. »

Mais Julien Perrin ne l’entend pas de cette oreille. Pour l’édile, la situation est bien différente de celle connue auparavant : « Il y a 40 ans, il y avait des bars, il y avait des restaurants à Saint-Georges. Aujourd’hui, on le voit dans plusieurs communes rurales, les villages se meurent et le dernier investisseur aujourd’hui, c’est souvent la commune. Il y a 40 ans, il y avait quand même beaucoup plus de commerces. Aujourd’hui, c’est un moyen de survie de notre de notre commune. Quand la commune avait acheté, il y a 40 ans, il y avait énormément de travaux à faire. On partait de 0, il y a eu énormément de dépenses. Là, il y aura des travaux à faire mais dans la limite du raisonnable. Aussi bien pour le prix de l’acquisition que pour les travaux, on recherchera des subventions. On peut avoir des fonds régionaux, ainsi que des fonds européens. »

Pour Franck Baly, l’élu d’opposition, la mairie n’a, en plus, pas les moyens de s’offrir un tel établissement : « Quand ils sont installés, ils ont expliqué que la commune était surendettée et qu’il n’y avait aucune marge de manœuvre alors les gens ne comprennent pas non plus qu’on soit prêt à investir à 7 à 800 000€ dans un bâtiment comme ça alors que la commune était surendettée. Ils ont expliqué qu’en un an, ils avaient réussi à désendetter totalement la commune. C’est pour ça que, sur les réseaux sociaux c’est un petit peu compliqué. Les gens ne comprennent pas l’attitude de la commune, qui persiste à vouloir acheter absolument ce bâtiment et alors que ce n’est pas la vocation de la commune. C’est complètement aberrant pour les gens qui ont payé l’hôtel Saint-Georges, parce qu’il a déjà été payé par les habitants. Ils n’ont pas envie de racheter quelque chose qui risque d’être un gouffre financier ». Mais le maire assure avoir les fonds et les financements : « Ce n’est pas la commune qui va acheter en direct le bien. On va passer par l’établissement public foncier. Le remboursement ne va pas se faire tout de suite, il ne se fera que l’année prochaine, ce qui permet de garder un petit peu de trésorerie et de faire d’éventuels travaux puisqu’on fera passer un bureau d’études, qui va estimer le montant des travaux à faire. On souhaiterait trouver un gérant, qu’on le mette en location à très court terme à quelqu’un qui serait prêt à racheter l’hôtel-restaurant pour le faire vivre. Le but n’est pas de le garder sur 10 ou 15 ans. Le montant d’acquisition, on serait sur 250 000 €. » Si la commune devait racheter les équipements et remettre l’établissement aux normes, le montant des travaux et de l’achat cumulé pourrait s’élever à 800 000 euros, estiment les acheteurs et l’opposition.

Dans le village, chacun a son avis, comme cette habitante des Ancizes qui travaille à Saint-Georges-de-Mons : « J’ai cru comprendre que cette dame voulait vendre son auberge et que la mairie a voulu la racheter. La mairie bloque la vente alors qu’on a eu des échos comme quoi il y avait quelqu’un qui voulait la reprendre La mairie veut faire un restaurant et le monsieur, c’était plus des chambres d’hôtes. C’est surtout pour la dame, parce qu’elle ne peut pas vendre, il faudrait faire quelque chose pour elle. » Devant la poste, une autre passante, elle, aimerait bien être mieux informée : « La mairie a fait valoir son droit de préemption, ce qui est logique, mais nous en tant que concitoyens on n’en sait pas plus. Sur les réseaux sociaux on a plusieurs histoires et des rumeurs qui disent qu’ils voudraient mettre un conseiller à la tête du restaurant.  On voudrait quelque chose qui fasse revivre la commune. Les gîtes, ça va ramener du monde, des visites. Le restaurant, il y en a tellement aux alentours … On aimerait être un peu plus au courant et ne pas avoir à aller sur les réseaux sociaux. Ça se déchire entre la partie qui est d’accord et l’opposition, ce n’est pas le but. Il faut vraiment faire une table ronde pour qu’on en sache un peu plus. »
Un autre habitant craint que l’achat par la commune du restaurant ne soit pas une réussite financière : « Je pense que ça peut être bien, le gîte, pour faire travailler les petits commerçants, la boulangerie, le petit casino pour les légumes. Si la mairie veut acheter pour faire un restaurant, ça peut marcher aussi, mais quand c’est géré par la commune, il faut trouver un chef. Ce n’est pas si évident, surtout dans les petites communes, de faire venir un chef et le payer. Quand quelqu’un est à son compte, il s’investit beaucoup plus. J’ai peur que ça engendre des pertes financières ». Sur la place du village, le projet des acquéreurs séduit : « Je pense qu’il a un beau projet de faire un gîte et rénover les chalets. Il a certainement des financements et ce n’est pas souvent qu’on trouve quelqu’un qui peut avoir les financements et venir dans nos communes. Ça serait le bon concept parce qu’on a le barrage des Fades à côté, tout ce qui halieutique, nautique, ça attire quand même du monde. On est la région des volcans, on a les promenades, les randonnées, la pêche, il y a quand même pas mal de choses. » Même discours près de la boulangerie : « L’auberge, c’est vrai que c’est bien que ça devienne un gîte et une table d’hôtes. La commune s’est mise un petit peu en travers de la vente, mais bon, on espère que ce sera vraiment réussi. Il a besoin de vivre ce petit village, c’est bien qu’il y ait au moins quelque chose, gîte ou restaurant mais qu’on ne laisse pas ce bâtiment à l’abandon. Il faut espérer que ça se passe au mieux et que tout le monde puisse en tirer un bon résultat. » Le 26 mai, la mairie rendra sa décision.    

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