Le Conseil d’État valide l’expérimentation d’encadrement des loyers commencé en 2021 dans les territoires de Plaine Commune et d’Est Ensemble.
La légalité de l’application du dispositif d’encadrement des loyers dans les zones tendues, rétabli de façon expérimentale par le législateur à l’article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, au sein du département Seine-Saint-Denis (93), dans les territoires de Plaine Ensemble et d’Est Ensemble vient d’être confirmée par le Conseil d’État.
D’abord mis en place dans le cadre de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur, le dispositif d’encadrement des loyers dans les zones tendues a été mis en échec par le juge administratif. Il a été rétabli pour une durée de cinq ans, à compter de la publication de la loi ÉLAN, soit jusqu’au 23 novembre 2023. Le législateur a prévu sa prolongation jusqu’en 2026, dans le cadre du Projet de loi 4D (Projet de loi nº 4406, adopté par le Sénat relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, adopté au Sénat en juillet dernier). Ce texte reprend le dispositif d’encadrement du niveau des loyers initié par la loi ALUR qui s’articule avec le décret annuel de limitation de la hausse des loyers à l’indice de référence des loyers (IRL) appliqué depuis 2012 dans les 28 zones tendues dont l’agglomération parisienne.
Les neuf communes du territoire de Plaine Commune concernées (Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine, Stains et Villetaneuse), ont démarré cette expérimentation au 1er juin 2021. L’encadrement s’applique aux baux signés à compter du 1er juin 2021 pour les locations nues et meublées. Les baux en cours et les reconductions tacites à l’expiration du bail ne sont pas concernés.
Neuf communes du territoire Est Ensemble (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville) ont commencé l’expérimentation le 1er décembre 2021. L’encadrement s’applique aux baux signés à compter du 1er décembre 2021 pour les locations nues et meublées. Les baux en cours et les reconductions tacites à l’expiration du bail ne sont pas concernés.
Ce nouveau dispositif est assorti de sanctions en cas de non-respect du plafond de loyer par le bailleur.
La Chambre des propriétaires du Grand Paris s’est pourvue devant le juge administratif afin d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2020-1619 du 17 décembre 2020 fixant le périmètre du territoire de l’établissement public territorial Plaine Commune sur lequel est mis en place le dispositif d’encadrement des loyers, ainsi que celle du décret n° 2021-688 du 28 mai 2021 fixant le périmètre du territoire de l’établissement public territorial Est Ensemble sur lequel est mis en place le dispositif d’encadrement des loyers. Leur requête a été jugée en Conseil d’État, le 10 mai dernier (CE, 10 mai 2022, n° 449603, CE, 10 mai 2022, n° 454450).
Situé en zone tendue, le département de Seine-Saint-Denis (93), concentre des difficultés importantes en matière de logement. Les neuf communes de Plaine Commune qui ont souhaité intégrer l’expérimentation sont confrontées à une accélération des mutations urbaines et du renforcement de l’attractivité de leur territoire. On n’y dénombre pas moins de 14 projets dans le cadre du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) et de nombreux autres projets (Jeux Olympiques et Paralympiques, Grand Paris Express, Campus Condorcet, Campus Hospitalo-Universitaire Grand Paris Nord, Fort d’Aubervilliers, etc.). Ces projets peuvent contribuer à alimenter des tensions inflationnistes sur les loyers du territoire. Or dans le département de Seine-Saint-Denis (93), les loyers progressent très rapidement. D’après les chiffres de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP) entre 2009 et 2019, les loyers y ont augmenté de 21,6 %. Une évolution à rapprocher de celle de Paris, où les loyers ont bondi de 22,6 % sur la même période d’après l’Observatoire.
Dans le territoire d’Est Ensemble, l’encadrement des loyers est entré en vigueur après plus de 2 ans de mobilisation, pour protéger les locataires du parc privé contre la hausse continue des loyers. Le marché locatif sur le territoire d’Est Ensemble est tendu, marqué par une augmentation constante des loyers qui engendre d’importantes difficultés d’accès au logement pour les ménages, d’après les maires qui ont souhaité intégrer cette expérimentation. En 2017, le loyer moyen sur le marché libre sur le territoire d’Est Ensemble atteignait 16,5 €/m² hors charges, d’après les observations de l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne, soit un niveau largement supérieur à celui constaté dans d’autres grandes métropoles (13 €/m² à Nice, 10 à 11 €/m² à Rennes, Toulouse, Lyon ou Lille, par exemple).
La loi ÉLAN a ouvert ce dispositif expérimental d’encadrement des loyers du secteur privé sur un périmètre défini par les collectivités, au regard de quatre critères : un écart important entre le niveau de loyer constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social, un niveau de loyer médian élevé, un taux de logements commencés, rapportés aux logements existants sur les cinq dernières années faible et des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements et de faibles perspectives d’évolution de celles-ci. Pour pouvoir mettre en place l’encadrement des loyers, ces conditions doivent être réunies localement.
En l’espèce en Plaine Commune, précise le Conseil d’État, « le niveau moyen de loyer constaté du parc locatif social présente, sur le territoire de l’établissement public territorial de Plaine Commune, un écart important, dans un rapport de un à deux et demi, avec le niveau moyen de loyer du parc privé ». En outre, en Plaine Commune, le loyer médian est plus élevé que celui de la plupart des autres communes du département. « Le taux de logements commencés par rapport aux logements existants est faible, à hauteur d’environ 1,60 % », poursuit la haute juridiction. En outre, « les perspectives de production de logements, de l’ordre de 2,50 % par an et nettement inférieures à la dynamique démographique, sont limitées ».
Pour le territoire d’Est Ensemble, le juge administratif relève un niveau moyen de loyer constaté dans parc locatif social présentant sur un écart important, de 8,9 euros par m² en valeur absolue et dans un rapport de un à deux, avec le niveau moyen de loyer du parc privé. En outre, poursuit le Conseil d’État, « le niveau de loyer médian, nettement supérieur à celui de l’agglomération parisienne hors Paris, est élevé ». Le taux de logements commencés rapportés au nombre de logements existants, inférieur à 2 % par an, est faible. « Et les perspectives de production de logements, de l’ordre de 2 800 logements par an, nettement inférieures à la dynamique démographique, sont limitées », analyse la haute juridiction.
L’encadrement des loyers repose sur trois mesures, fixées annuellement par un arrêté du préfet : un loyer de référence, un loyer majoré équivalant au loyer de référence +20 % et un loyer minoré équivalant au loyer de référence -30 %. Ces loyers de référence sont déterminés en fonction du marché locatif observé et déclinés par secteurs géographiques. La catégorie de logement (appartement/maison, nombre de pièces, nu/meublé et époque de construction du bâtiment) sert également pour fixer ces loyers de référence. Le propriétaire peut fixer librement le loyer hors charges des logements mis en location, dit loyer de base à la condition de ne pas excéder le niveau du loyer de référence majoré. À défaut, une action en diminution du loyer peut être engagée. Le loyer de référence minoré constitue, quant à lui, un mécanisme de protection pour le bailleur puisqu’il lui permet d’augmenter le montant du loyer s’il est inférieur à ce seuil, notamment en cas de relocation. Si la qualité de son bien le justifie, l’investisseur peut opter pour un complément de loyer. Ce complément de loyer s’applique à des logements présentant des caractéristiques de localisation ou de confort particulières, par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique.
La Chambre des propriétaires du Grand Paris contestait la légalité des décrets fixant le périmètre des territoires des zones de Plaine Commune et d’Est Ensemble, et plus généralement des dispositions de la loi du 23 novembre 2018 au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui protège le droit de propriété. Or pour le Conseil d’État, ces dispositions législatives « visent à lutter contre les difficultés importantes, notamment d’ordre financier, d’accès au logement qui résultent, dans certaines zones urbanisées, du déséquilibre entre l’offre et la demande de logements ». Ces dispositions permettent aux préfets de fixer des loyers de référence, certes susceptibles de limiter l’exercice du droit de propriété, mais « cette limitation, au demeurant introduite par la loi à titre expérimental, présente un rapport raisonnable de proportionnalité avec l’exigence d’intérêt général qu’elle poursuit ». Elles ne sont donc pas incompatibles avec la protection du droit de propriété résultant des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le Conseil d’État conclut à la légalité des décrets fixant le périmètre des territoires des zones de Plaine Commune et d’Est Ensemble pour l’application de l’expérimentation d’encadrement des loyers. Ces arguments n’ont pas nécessairement convaincu l’association de propriétaires concernés, qui n’exclut pas un recours devant le juge communautaire.
Référence : AJU005l8