Sam Bankman-Fried, le fondateur et ex-dirigeant de la plateforme crypto FTX avait fait de l'archipel le siège de la société désormais en faillite. Le trentenaire milliardaire avait constitué aux Bahamas un empire immobilier avec l'argent de ses clients.
Par Samir Touzani
C'est sous une température de 28 degrés avec vue sur les eaux turquoise des Caraïbes que l'homme le plus détesté de la planète crypto vit son exil. Sous la véranda de son penthouse d'Albany, Sam Bankman-Fried a devant lui une plage familière des amateurs de cinéma, celle où James Bond émerge de l'eau dans le film Casino Royale.
Le trentenaire déchu avait choisi d'établir aux Bahamas le siège de FTX, la plateforme crypto qu'il a fondé et propulsé en seulement trois ans vers la gloire et doté d'une fortune personnelle d'environ 24 milliards de dollars. Une fortune aujourd'hui réduite à néant ou presque. Après les révélations de sa gestion frauduleuse, FTX a été placé en faillite le 11 novembre et compte à ce jour plus d'un million de créanciers à travers le monde, avec 3,1 milliards de dollars de dettes envers ses 50 plus gros créditeurs.
John Jay Ray III, le nouveau PDG de FT X, placée à la tête de l'entreprise pour tenter de la redresser n'en croit pas ses yeux. Lui qui en a pourtant vu d'autres avec le scandale Enron, en 2001 le confesse, il n'a : « jamais vu [dans ma carrière] un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d'une entreprise et une absence aussi flagrante d'informations financières fiables », ajoutant à propos de SBF que « ses réseaux et intérêts financiers aux Bahamas ne sont pas encore clairs à mes yeux ».
SBF avait fait des Bahamas la vitrine de FTX auprès des investisseurs, influenceurs et régulateurs du monde entier. En avril 2022, il se tient aux côtés du Premier ministre des Bahamas, pour inaugurer la construction d'un campus de 60 millions de dollars pour accueillir 1.000 employés. Un partenariat gagnant-gagnant entre l'archipel qui se rêvait en hub mondial de la crypto, et l'entreprise qui bénéficiait en retour de son cadre fiscal bienveillant et de la complaisance des autorités.Sur l'île, le VRP de la crypto régulée, a reçu peu avant le directeur général de Goldman Sachs. Observant la croissance à deux chiffres de l'exchange, David Salomon rencontre SBF pour évoquer une introduction en Bourse et les relations de la plateforme avec les régulateurs américains. Quelques mois plutôt, l'ambitieux SBF avait confessé vouloir devenir « la plus grande » plateforme au monde et que racheter Goldman Sachs « n'est pas du tout hors de question ».
Il organisera une conférence de 4 jours où plus de 2.000 personnes, se succéderont dont certains grands banquiers de Wall Street, des politiques dont Bill Clinton et Tony Blair ou des célébrités comme Tom Brady ou Katy Perry.
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Tous étaient sous le charme de Sam Bankman-Fried Fried « l'altruiste efficace ». Avec la promesse de léguer 99 % de sa fortune, ses longs discours sur la priorité de faire face au réchauffement climatique ou d'éradiquer les maladies, le trentenaire au look débraillé s'était taillé une réputation de milliardaire philanthrope. Le patron déchu de FTX entretenait alors l'image d'un ascète désintéressé, faisant circuler des photos le montrant endormi dans un sac de couchage à son bureau, ou affirmant ne rouler qu'en Toyota Corolla, car il estimait ne pas avoir besoin d'une voiture de « luxe comme une Lamborghini ». Mais une fois la gestion calamiteuse de la plateforme crypto étalée au grand jour, c'est un visage autrement plus cynique que SBF a révélé. « Tous ces trucs stupides que je disais… Ce n'est pas vrai, pas vraiment » a-t-il confessé auprès du média Vox.
Le fief de FTX était en réalité une colocation de trentenaires américains, un penthouse de 1.000 mètres carrés avec cinq chambres, six salles de bains, un bar en marbre, un ascenseur privé à code de sécurité et une vaste terrasse avec une piscine ovale à débordement pour SBF et neufs employés représentant l'élite dirigeante de l'entreprise. Les comptes de la société révéleront que ce bien immobilier et une dizaine d'autres ont été directement payés avec l'argent des clients de FTX, pour un montant estimé à 300 millions de dollars d'après l'avocat de la firme en faillite. Selon Reuters, SBF aurait fait l'acquisition d'au moins 19 propriétés aux Bahamas d'une valeur de 121 millions de dollars. Le long de la côte caribéenne, il s'est notamment offert 7 appartements pour 72 millions de dollars. Et son moyen de locomotion préféré : un jet privé Gulfstream G450 à 30 millions de dollars avec lequel il pouvait effectuer des allers-retours réguliers sur le continent.
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Les dépôts de FTX ont en fait été gérés comme le patrimoine personnel du Californien qui n'a pas non plus hésité à faire signer les actes de propriété de plusieurs de ces biens au nom de ces parents. Piochant allègrement dans les poches de ses clients, il s'est également octroyé un emprunt d'un milliard de dollars auprès d'Alameda Research, la firme de trading de FTX . Un système qui bénéficiait également à d'autres employés de la plateforme, comme Nishad Singh, le responsable de l'ingénierie chez FTX et proche de la direction, qui aurait quant à lui bénéficié d'un prêt de 550 millions de dollars.
Sa philanthropie n'était finalement qu'une méthode de communication. « C'est sur ça que sont basées les réputations dans une certaine mesure. Je me sens mal pour ceux qui se font berner par ça », explique Sam Bankman-Fried. Une réputation qui lui avait permis de faire une place de choix auprès des autorités américaines, lui qui s'était fait le chantre de la régulation, avant de s'en moquer sans entrave. « Il n'y a vraiment personne là-bas pour s'assurer que les bonnes choses se produisent et que les mauvaises choses ne se produisent pas. […] Juste de la communication. Saleté de régulateurs. Ils aggravent tout. Ils ne protègent pas les clients du tout ».
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Désormais ce sont les autorités des Bahamas qui sont dans la tourmente. L'autorité financière des Bahamas a reconnu être derrière un retrait de 477 millions de dollars des caisses de FTX, le lendemain de son placement en faillite, vers des portefeuilles numériques directement gérés par les autorités de l'archipel. Une mesure prise pour assurer « la sécurité » des fonds des clients selon les Bahamas, mais qui n'est pas du goût des autorités américaines chargé du dossier aux Etats-Unis. Une bataille de juridiction est désormais en cours entre les régulateurs américains et bahamiens pour se disputer la souveraineté de l'affaire FTX.
Samir Touzani
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