Acheter un vêtement d’occasion en friperie, c’est bon pour le portefeuille. Mais l’est-ce aussi pour la planète ? À première vue, ça ne fait pas un pli : mieux vaut réutiliser une chemise déjà portée par quelqu’un pas loin de chez soi.
Sauf qu’en pratique, chaque professionnel peut faire appel à pléthore de sources, plus ou moins polluantes, pour nourrir ses stocks de vieux vêtements. Et votre belle chemise chinée au coin de la rue a peut-être été achetée de l’autre côté de la planète.
Afin d’y voir plus clair, il faut démêler dans les circuits d’approvisionnement des magasins de seconde main. Pas facile, car chaque boutique a sa méthode. Pour ne rien arranger, le terme « friperie » prête à confusion. Il peut désigner des magasins solidaires comme Emmaüs. Mais aussi des boutiques haut de gamme où on déniche d’anciens modèles de luxe. Entre les deux : un large spectre de dépôt-vente et de circuits d’approvisionnement personnels.
Les vêtements, c’est comme les fruits : mieux vaut acheter local. Mais pas facile de s’y retrouver dans la jungle des boutiques d’occasion. Chacune a sa source d’approvisionnement : les moins chères peuvent fonctionner avec des dons, d’autres privilégient le dépôt-vente ou les grossistes spécialisés. Pour diminuer son empreinte carbone, le plus sûr reste le bon vieux chinage en vide-grenier.
Stéphanie Arzaud, patronne du très select Rossignol de mes amours (spécialisé dans le vintage), choisit chaque pièce elle-même. « Chiner, c’est une fête, sourit-elle derrière une tasse de thé fumante. Je travaille aussi avec des brocanteurs ». Frank Krembser, d’ADN Vintage, a quant à lui « tout un réseau de rabatteurs ». « J’achète à la pièce, pas en lot ». Par contre, à 200 m de là, chez Soleil noir, « ce sont parfois des dépôts de particuliers, mais surtout des grossistes à qui on passe des commandes par thème ».
Jonathan Frips est un des spécialistes européens de la friperie en gros. Depuis son entrepôt normand, il alimente les Rennais de la Friperie Vintage ou encore les Chineurs de sapes (en ligne). Les vêtements arrivent par sacs de plusieurs centaines de kilos en depuis les USA, le Canada, le Japon… Ils sont ensuite dispatchés en fonction de leur qualité, des goûts des acheteurs ou de la mode. Certains fripiers vendent donc des pièces du monde entier. Comme Kilo shop, près de la mairie, qui appartient à un autre poids lourd normand du secteur, Eureka.
C’est autant de trajets en bateau supplémentaires effectués par des vêtements, qui ont déjà traversé les océans. Un jean peut parcourir 65 000 km depuis le champ de coton jusqu’à sa mise en vente. Soit 1,6 fois le tour de la Terre. Autant dire que le côté écolo de la fripe en prend un coup. L’impact carbone est moindre pour les dépôts-ventes, qui mettent en rayon des vêtements de particuliers et leur reversent un pourcentage.
Qu’en est-il des grandes boîtes blanches ou vertes « Le Relais », destinées au don de vêtements, de chaussures et d’accessoires ? Il en existe 1 900 en Bretagne. En 2021, les Français ont déposé près de 250 000 tonnes de pièces usagées dans des points de collecte. Beaucoup pensent qu’elles sont directement données aux nécessiteux. Or ces pièces ne sont pas destinées à être redistribuées. Le Relais 35 est une société coopérative (Scop) qui revend les vêtements déposés pour développer son activité. 6 % sont revendus localement, principalement dans les friperies Ding Fring (Rennes, Chantepie et Saint-Grégoire). 55 % partent en Afrique ou en Europe de l’Est. Le reste est transformé en isolant.
Le Relais Bretagne revendique un chiffre d’affaires de 4,5 M€. « L’argent est orienté vers la masse salariale, martèle Pascal Milleville, directeur du Relais 35. On doit être rentables si on veut donner un maximum d’emplois aux gens qui ont vécu une cassure dans leur vie. En Bretagne, le textile est uniquement traité par des entreprises d’économie sociale et solidaire ». En tout, 160 salariés sont rattachés à l’immense entrepôt du Relais 35, un labyrinthe de passerelles et de ballots de vêtements compressés.
Par les fenêtres, on aperçoit le clocher d’Acigné derrière les arbres. Les machines ronronnent. La radio chante un tube de Metallica. Sur les tapis roulants, chemises et pantalons défilent. Des employées les évaluent en une fraction de seconde pour les envoyer dans le bac idoine. Ce geste sûr nécessite « un mois et demi à deux mois de formation ». Une petite partie sera revendue en région rennaise -modèle que défend Pascal Milleville : « Une personne peut se sentir mal à l’aise à recevoir un don. Acheter, même à 50 centimes, ça aide à préserver la dignité ».
Pascal Milleville désigne un tas de vêtements. « Ça, c’est ce qu’on envoie en Afrique quand on n’a pas de solution de réemploi local ». Le Relais 35 a développé d’autres plateformes de tri à Madagascar, au Burkina Faso et au Sénégal. « 850 salariés, et les résultats restent dans le pays ». Les pièces sont revendues par des détaillants sur les marchés. « C’est de la qualité, pas des déchets, ni des fourrures ou des combinaisons de ski », répète trois fois Pascal Milleville, visiblement agacé par « certains reportages » qui critiquent cette activité. On pense à « Où finissent nos vêtements ? », diffusé sur Arte l’année dernière. Des images de t-shirts trop abîmés pour être vendus et qui pourrissent sur des plages africaines, en l’absence de filières de recyclage.
Ne pourraient-ils pas être réutilisés en France ? En réalité, les dons, gonflés par la surconsommation, excèdent largement la demande. « Ici, on a 9 400 tonnes de vêtements par an. Les SDF n’ont pas besoin d’autant pour s’habiller ». Et ce n’est qu’une fraction des 625 000 t de textile mises sur le marché hexagonal tous les ans. La solution pour verdir la filière ? Les murailles de textiles de l’entrepôt la crient jusqu’au plafond : produire moins pour jeter moins.

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