Le Conseil d’État réaffirme sa jurisprudence Commune de Port-Vendres en considérant que les dispositions de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, dont la partie législative est issue de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, ne s’appliquent pas aux situations nées antérieurement à l’adoption dudit texte. Il fait, de plus, une interprétation stricte et formelle de l’exigence de déclassement préalable à la sortie du domaine public.
CE, 22 oct. 2021, no 443040
Extrait :
Le Conseil :
(…)
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le département de l’Hérault a, par une délibération du 19 mai 1981, décidé d’acquérir un terrain situé sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Londres en vue d’y édifier un hangar destiné à abriter les véhicules et le matériel de forestiers-sapeurs. Cette acquisition a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique par arrêté du 25 juin 1981. L’usage du bâtiment par les forestiers-sapeurs ayant cessé, le hangar et le terrain attenant ont été cédés, après délibération de la commission permanente du département en date du 9 novembre 1998, à la commune de Saint-Martin-de-Londres, selon un acte authentique établi les 9 et 10 décembre 1998. Le 31 août 2011, la commune a donné en location ce hangar à M. A., artisan menuisier et gérant de l’EURL MCV selon un bail signé le 31 août 2011 pour la période allant du 1er octobre 2011 au 1er décembre 2012, renouvelable par tacite reconduction, et auquel le maire de Saint-Martin-de-Londres a décidé de mettre fin par une décision du 7 décembre 2015. Par un jugement du 9 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de M. A. et de l’EURL MCV tendant, d’une part, à l’annulation de cette décision et, d’autre part, à ce qu’il déclare qu’en laissant croire à M. A. que le bail était de nature commerciale, la commune de Saint-Martin-de-Londres avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
2. Aux termes de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dont la partie législative est issue de l’ordonnance du 21 avril 2006 : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ». Aux termes de l’article L. 3111 du même code : « Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ». Aux termes de l’article L. 2141-1 du même code : « Un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement ».
3. Avant l’entrée en vigueur de la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques, intervenue, en vertu des dispositions précitées, le 1er juillet 2006, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition qu’il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l’absence de toute disposition en ce sens, l’entrée en vigueur de ce code n’a pu, par elle-même, entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1 qui exige, pour qu’un bien affecté au service public constitue une dépendance du domaine public, que ce bien fasse l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public.
4. La cour administrative d’appel, par l’arrêt attaqué, a relevé qu’à la suite de l’acquisition de la parcelle et du hangar en litige en 1981 par le département de l’Hérault, ceux-ci avaient été affectés à la prévention et la lutte contre les feux de forêts, qui constitue une mission relevant d’un service public complémentaire à celui des pompiers, et que le hangar avait fait l’objet d’un aménagement spécial à cette fin, ce dont elle a déduit que les biens en cause faisaient alors partie du domaine public départemental. En jugeant que ces biens immobiliers avaient cessé par la suite d’appartenir au domaine public au seul motif qu’ils avaient été désaffectés et cédés à la commune de Saint-Martin de Londres par un acte notarié des 9 et 10 décembre 1998 mentionnant leur appartenance au domaine privé départemental et qu’il était également fait mention de leur appartenance à ce même domaine privé dans le rapport du président à la commission permanente du conseil général de l’Hérault du 9 novembre 1998 préalable à la cession, de sorte que la parcelle et le hangar avaient selon elle nécessairement fait l’objet d’une mesure de déclassement, sans rechercher si une décision expresse de déclassement était intervenue, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit.
5. La commune de Saint-Martin-de-Londres est par suite fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
6. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme à la charge de M. A. et de l’entreprise MCV au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Décide :
Article 1er : L’arrêt du 19 juin 2020 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé (…)
CE, 22 oct. 2021, no 443040
Par délibération du 19 mai 1981, le département de l’Hérault a décidé d’acquérir, sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Londres, au nord de Montpellier, les parcelles cadastrées section B n° 549 et 551 sises 71 rue des sapeurs-pompiers.
Ladite acquisition avait pour finalité l’édification d’un hangar destiné à abriter les véhicules et le matériel de forestiers-sapeurs. L’acquisition a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique par arrêté préfectoral du 25 juin 1981.
L’usage du hangar par les forestiers-sapeurs ayant cessé, après délibération de la commission permanente en date du 9 novembre 1998, le bien immobilier a fait l’objet d’une cession à la commune de Saint-Martin-de-Londres par acte authentique établi les 9 et 10 décembre 1998.
La commune, propriétaire du bien immobilier, l’a donné en location à un artisan menuisier selon bail signé le 31 août 2011 pour la période allant du 1er octobre 2011 au 1er décembre 2012, renouvelable par tacite reconduction et moyennant un loyer mensuel de 600 €.
En application du contrat, par décision du 7 décembre 2015, le maire de la commune de Saint-Martin-de-Londres mettait fin au bail.
Le preneur demandait alors au tribunal administratif de Montpellier, d’une part, d’annuler la décision du 7 décembre 2015 par laquelle le maire de Saint-Martin-de-Londres a décidé de mettre fin au bail de locaux d’exploitation concernant la location d’un bâtiment situé au 71 rue des sapeurs-pompiers à Saint-Martin-de-Londres et, d’autre part, de juger que la commune de Saint-Martin-de-Londres a commis une faute de nature à engager sa responsabilité « en laissant croire (au preneur) que le bail était de nature commerciale ».
Par le jugement n° 1605711 du 9 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.
En cause d’appel, les demandes du requérant tendaient aux mêmes finalités mais, au regard des débats contentieux, il demandait qu’il soit enjoint à la commune de Saint-Martin-de-Londres de produire les annexes à l’acte de vente de la parcelle, au besoin, d’enjoindre au conseil départemental de l’Héraul de produire la délibération portant déclassement de la parcelle en cause.
Dans son arrêt du 19 juin 2020, la cour administrative d’appel de Marseille considérait que lorsque le bien était affecté à la prévention et la lutte contre les feux de forêts, « il faisait alors partie du domaine public départemental »1. Elle relevait par suite que « l’usage du bâtiment par les forestiers-sapeurs ayant cessé, le hangar et le terrain attenant ont été vendus par le département à la commune de Saint-Martin-de-Londres, au prix de 180 000 francs conformément à l’avis du service des domaines, selon un acte authentique établi les 9 et 10 décembre 1998. Cet acte notarié mentionne expressément que la cession concerne une “construction à usage de local désaffecté, dépendant du domaine privé du département, avec terrain attenant”. Cette appartenance au domaine privé est également corroborée par une mention expresse en ce sens figurant dans le rapport du président à la commission permanente du conseil général de l’Hérault du 9 novembre 1998 traduisant l’opération globale au niveau budgétaire. Par suite, il résulte de ces indices concordants que la parcelle et le hangar ont nécessairement fait l’objet d’une mesure de déclassement et relevaient alors du domaine privé départemental ».
Saisi en cassation par la commune de Saint-Martin-de-Londres, le Conseil d’État considère qu’en « jugeant que ces biens immobiliers avaient cessé par la suite d’appartenir au domaine public au seul motif qu’ils avaient été désaffectés et cédés à la commune de Saint-Martin-de-Londres par un acte notarié des 9 et 10 décembre 1998 mentionnant leur appartenance au domaine privé départemental et qu’il était également fait mention de leur appartenance à ce même domaine privé dans le rapport du président à la commission permanente du conseil général de l’Hérault du 9 novembre 1998 préalable à la cession, de sorte que la parcelle et le hangar avaient selon elle nécessairement fait l’objet d’une mesure de déclassement, sans rechercher si une décision expresse de déclassement était intervenue, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit ». L’arrêt a été annulé et l’affaire a été renvoyée devant la même cour.
Appliquant de manière classique la jurisprudence Commune de Port-Vendres, le Conseil d’État fait le choix de maintenir une jurisprudence très rigoureuse quant au principe selon lequel l’acte de déclassement doit être exprès (I). Ce faisant, il invite implicitement les juridictions administratives à se saisir avec plus de rigueur des pouvoirs inquisitoriaux que leur confère le Code de justice administrative (II).
Rappelant les deux principaux considérants de la jurisprudence Commune de Port-Vendres, le Conseil d’État réaffirme que les biens des personnes publiques qui appartenaient au domaine public antérieurement à l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques n’ont pas été déclassés au moment de l’entrée en vigueur du texte.
Pour mémoire, l’article L. 2111-1 dudit code prévoit que, sauf dispositions législatives spéciales, les biens du domaine public sont les propriétés publiques « qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ». Antérieurement, il n’était pas question d’aménagement indispensable mais d’aménagement spécial.
L’entrée en vigueur du code n’a pas eu pour effet de déclasser des dépendances publiques qui n’auraient bénéficié que d’un aménagement spécial et non pas d’un aménagement indispensable.
L’application dans le temps de la définition du domaine public posée à l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques n’a pas manqué de susciter l’intérêt de la jurisprudence et de la doctrine2. Comme l’avaient justement relevé Étienne Fatôme, Michèle Raunet et Raphaël Leonetti, les cours administratives d’appel s’étaient divisées. Certaines considéraient que l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques entraînait de jure un déclassement législatif3. Ils relevaient encore que le bien-fondé de l’interprétation retenue par le Conseil d’État était « loin d’être évident »4. Et si le Code général de la propriété des personnes publiques visait une réduction du champ du domaine public, l’arrêt Commune de Port-Vendres a eu pour effet de « retarder cette réduction »5.
Plus de 15 années après l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, les conséquences de l’arrêt Commune de Port-Vendres sont toujours bien présentes. Tant et si bien que des contentieux nés bien après 2006, portant sur des conventions nées postérieurement à l’entrée en vigueur du code, continuent d’être tranchés sous l’empire de la jurisprudence exigeant simplement qu’un bien fasse l’objet d’un aménagement spécial pour appartenir au domaine public.
L’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques, en ce qu’elle visait une réduction du champ du domaine public, est inspirée par une volonté de tendre vers une approche plus économique, voire plus libérale de la gestion domaniale.
Le maintien de cette ligne jurisprudentielle ne permet pas de saisir la pleine potentialité de l’évolution législative qu’a constituée l’adoption du Code général de la propriété des personnes publiques et démontre une nouvelle fois que « le droit administratif français n’a jamais eu le rendement pour préoccupation centrale »6.
La procédure de sortie des biens immobiliers du domaine public est marquée par deux exigences indissociables : la désaffectation et le déclassement. Alors que la désaffectation est une opération matérielle, le déclassement est, quant à lui, un acte juridique formel marquant la volonté univoque du gestionnaire public.
Il peut être admis sans difficulté que le principe de l’obligation de déclassement fait l’objet d’une interprétation rigoureuse. Il en résulte que, même si le bien a perdu son affectation initiale, il continue d’être incorporé au domaine public. Il en est ainsi d’une portion de voie ferrée désaffectée mais non déclassée7, d’une salle des fêtes communale fermée au public8, du terrain qui a supporté par le passé une sacristie désormais démolie à l’occasion de travaux sur l’Église à laquelle elle était accolée9 ou encore de locaux appartenant à un établissement public administratif antérieurement affectés à une mission de service public mais accueillant depuis l’exploitation d’un restaurant10.
S’il doit y avoir un acte exprès de déclassement, l’arrêt du 22 octobre 2021 marque la volonté de la haute juridiction de ne permettre aucune souplesse quant à l’identification de cet acte. En considérant que la cour administrative d’appel de Marseille avait entaché sa décision d’une erreur de droit en retenant un déclassement à travers un faisceau d’indices concordants, le Conseil d’État fait preuve d’une appréciation pour le moins stricte. Bien que l’acte de cession du département à la commune ait mentionné l’appartenance au domaine privé départemental et qu’il était également fait mention de leur appartenance à ce même domaine privé dans le rapport du président à la commission permanente du conseil général de l’Hérault, l’absence de production formelle d’un acte de déclassement est de nature à entraîner un maintien du bien en cause dans le domaine public. Autrement dit, le juge administratif ne peut pas se contenter de prendre en compte des manifestations de volonté de la personne publique. Il ne peut fonder son appréciation que sur un acte administratif actant formellement le déclassement.
Dans le cas d’espèce, il ne peut s’agir que d’une délibération du conseil général préalable à la cession à la commune. Celle-ci n’a pas été versée au débat.
La rigueur dont témoigne le Conseil d’État dans cet arrêt pousse les juridictions administratives dans leurs retranchements. Deux hypothèses nous paraissent envisageables. Soit les juridictions administratives peuvent se contenter d’appliquer l’adage latin selon lequel actori incumbit probatio : la charge de la preuve incombe au requérant. Dans ce cas, à défaut de preuve apportée du déclassement, le juge pourra considérer que le bien n’a jamais quitté le domaine public. Malheureusement, en ce cas, se pose le problème d’un déséquilibre entre le justiciable et la personne publique quant aux moyens pour se procurer la preuve. Soit, elles peuvent engager des enquêtes et autres mesures d’instructions comme le prévoient les articles R. 623-1 et suivants du Code de justice administrative. Cela dit, l’exigence de célérité qui pèse sur les juridictions administratives pourrait être de nature à privilégier la première hypothèse.
Référence : AJU002x8

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