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Le 17 décembre 2016, six hommes laissaient pour mort deux gardiens d’une entreprise de matériel agricole à Saint-Cannat, dans les Bouches-du-Rhône. Leur procès en appel s’est tenu à Draguignan.
Pour Ivan et Dimitri (les prénoms des victimes ont été modifiés), partis de Roumanie pour gagner un peu mieux leur vie en France, le paradis tenait en quelques mètres carrés en pleine zone d’activité économique à Saint-Cannat (Bouches-du-Rhône). Vingt, plus ou moins.
Ceux du mobile-home que, gentiment, Pascal Ragois leur avait mis à disposition sur un terrain attenant à son entreprise de vente de matériel agricole.
Pour séparer leur bungalow du parking du magasin, une palissade encerclait en partie le logement, donnant aux deux hommes un semblant d’intimité.
“Je sais qu’ils comptaient faire un petit potager, planter des fraises, raconte le dirigeant. Ils étaient très discrets, très appréciés.” Un petit coin de paradis. Bientôt leur enfer.
Christophe Harnois, chef d’entreprise dans la construction, ami et voisin commercial de Pascal, lui avait recommandé les deux maçons, alors âgés de 31 et 36 ans.
“Ils étaient intérimaires chez moi et je les savais sains et fiables”, confie celui-ci à la cour d’assises du Var où étaient jugés en appel la semaine dernière Craciunel Ciurar, Alexandru Busioc, Gigi-Ciprian Frigel, Liviu Goman, Ionel Moldovan et Ciprian Viman.
Sachant que le magasin avait subi quatre cambriolages depuis son ouverture un an et demi auparavant, il lui avait soumis l’idée d’installer une présence humaine sur le site.
“Ils n’avaient pas une mission de surveillance. Ils devaient juste être là, explique Pascal Ragois. En échange, je leur fournissais gratuitement le logement.”
Ce système avait déjà fait ses preuves dans les autres agences de Nova-motoculture. À Saint-Cannat, il aura fonctionné six mois.
Dans la nuit du 16 au 17 décembre 2016, à 1h34, une caméra de vidéosurveillance du magasin capte le passage d’une Ford Focus. À 1h41, un homme entre à nouveau dans le champ, suivi d’un autre puis d’une Peugeot 207, coffre ouvert, appartenant à Dimitri.
Le groupe, finalement composé de cinq individus, s’attaque à la porte de l’agence, y pénètre et dérobe aussitôt 28 tronçonneuses.
Entre leur entrée sur site et le début du braquage, sept minutes se sont écoulées. Sept minutes en enfer pour Ivan, Dimitri et la compagne de celui-ci, Tania.
Sept minutes durant lesquelles les coups de pied de biche, manche de pioche clouté et bout de bois ont plu sur les crânes des victimes.
Alerté par l’alarme, Pascal Ragois se rend sur place. “La première chose que je remarque, c’est l’absence de la voiture de Dimitri. Puis je vois les vitres cassées. Comme Dimitri et Ivan ne répondaient pas au téléphone, j’ai prévenu Christophe Harnois.” Ce dernier le rejoint et se rend immédiatement au mobile-home.
“Ce que j’ai vu là-dedans, ça n’a pas de mot, raconte-t-il. J’ai compris tout de suite que c’était grave. Il y avait du sang de partout, du sol au plafond. Il y avait même des matières que je n’avais jamais vues auparavant. Dimitri était au sol, très raide. Ivan a sauté du lit en hurlant. Il était confus.”
Quelques instants plus tard, Tania surgit dans le bungalow, blessée à la tête et au bras. Pour mettre fin à l’agression, elle avait simulé son décès. Après le départ des cinq hommes, elle avait pris la fuite puis était revenue quand elle avait vu Pascal et Christophe.
Tania est la seule à pouvoir mettre des mots sur cette scène digne d’un film d’horreur. Car même vivants, Ivan et Dimitri ne peuvent rien en dire. Ivan, victime en autres d’une embarrure temporale (lors d’un traumatisme crânien, la pénétration d’un morceau d’os vers le contenu de la boîte crânienne), n’a aucun souvenir de l’agression. “Je me souviens juste des lumières des véhicules des pompiers” s’excuse-t-il à la barre.
Dimitri, lui, doit constamment porter un casque car il lui manque toujours une partie de sa boîte crânienne. Un temps en état de mort cérébrale, il est resté sept mois dans le coma. Aujourd’hui il ne parle plus, est incapable de se laver seul, de s’habiller sans l’aide de sa mère…
“Cette nuit-là, il est mort, plaide son avocate, Me Alexandra Badea. L’homme qu’il était, travailleur, simple, ne sera plus. C’est un mort-vivant.”
“J’ai entendu du bruit et vu Dimitri se lever puis des gens le frapper à la tête, se remémore douloureusement Tania. Il est tombé comme un légume et ils ont continué à lui taper dessus. Je ne voyais pas les visages, car ils avaient des lampes sur le front. Ils ne parlaient pas entre eux. J’ai crié.”
Un homme est alors rentré dans la chambre et lui a donné des coups sur la tête. Puis un autre est arrivé – l’enquête déterminera qu’il s’agissait de Ionel Moldovan – et une fois de plus, Tania a été frappée.
“J’ai alors pensé à faire la morte pour rester en vie. Une fois qu’ils en avaient fini, ils ont pris l’ordinateur, les téléphones et les clés de la voiture.”
Trois vies fracassées pour un butin de 11.000 euros. Et, comme en première instance à Aix-en-Provence, un flou persistant sur le rôle de chacun au sein du bungalow à l’issue d’une semaine de débats.
“Mais au fond, peu importe, souligne l’avocat général Pierre Cortes. La jurisprudence nous apprend que lors d’une scène unique, l’infraction peut être appréciée dans son ensemble et la participation collective retenue.” Ici, en l’occurrence, à trois tentatives de meurtre et non des violences aggravées comme a vainement tenté de le plaider la défense.
Pour remonter aux agresseurs, les enquêteurs ont pu compter sur l’expérience des employés de Pascal Ragois. Car neuf jours avant le casse, trois hommes s’étaient rendus au magasin et avaient eu un comportement étrange.
“Deux hommes avaient demandé un renseignement et regardaient un peu partout dans le magasin, raconte une ancienne salariée. Ils ne correspondaient pas au type de clients habituels. Encore plus bizarre, un troisième homme les attendait dans la voiture, garée moteur tournant et les portes ouvertes… Quand on a appris pour le cambriolage, on a fait le rapprochement.”
Pour l’accusation, ce repérage a permis de constater la présence du mobile-home des gardiens. C’est pour cela que le groupe s’est rendu en premier lieu vers celui-ci le 17, “pour neutraliser la menace”.
“Ils les ont perçus comme des vigiles, donc possiblement armés, souligne Pierre Cortès. Cela permet d’expliquer pourquoi ils ont été si violents.”
Une nouvelle fois, la vidéosurveillance sera d’une grande aide pour les enquêteurs. Ils constataient ainsi que les trois visiteurs du 8 décembre – Gigi-Ciprian Frigel, Liviu Goman et Craciunel Ciurar – avaient bien participé au carnage du 17.
Grâce à “un travail de fourmi” basé sur la téléphonie et l’ADN, des noms seront posés au bout de quelques mois sur les différents membres du commando.
Au moment des interpellations, trois d’entre eux avaient pris la précaution de fuir en Roumanie, où ils seront finalement arrêtés un an après.
Très vite, tous ont reconnu leur participation aux faits. Mais chacun a donné une version différente des violences dans le mobile-home aussi bien en garde à vue que devant le juge d’instruction, en première instance qu’en appel.
“Les accusés ont raconté tout et son contraire, mais une chose est sûre, après ces sept minutes horribles, personne n’est resté dans le bungalow pour surveiller Dimitri, Ivan et Tania, souligne Me Jean-François Pedinielli, intervenant aux intérêts de la jeune femme. Personne n’a appelé les secours. Mais tout le monde est allé commettre les cambriolages…”
Aujourd’hui, tout le monde est en prison. Pour de longues années. Confirmant à une exception près les peines du procès d’Aix et suivant les réquisitions de l’avocat général, les six hommes ont été condamnés à des peines de 15 (Alexandru Busioc), 25 (Craciunel Ciurar) et 30 (Gigi-Ciprian Frigel, Liviu Goman, Ionel Moldovan et Ciprian Viman) années de réclusion criminelle.
Sur le banc des parties civiles, personne n’était là pour entendre ce verdict.
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