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ENQUÊTE NICE-MATIN. Via Snapchat ou encore WhatsApp, le trafic de stupéfiants s’ubérise et s'organise à Nice. Ils sont désormais livrés chez vous, à coups de promos et tombolas. Un important trafiquant niçois présumé vient d’être interpellé.
À l’ère des livreurs à domicile et des VTC, le marché de la drogue est en pleine mutation à Nice. Une véritable “ubérisation” des stupéfiants. Elle passe par les réseaux sociaux (Snapchat, Whatsapp) ou par le Darknet, ce Web clandestin où tout s’achète et se vend. Un Niçois de 44 ans est d’ailleurs en garde à vue à Nice. Son site permettait la livraison d’à peu près tout, et notamment des stups, à domicile.
Qui est l’infirmier niçois à l’origine du “Bon Coin du Darknet”?
Nous avons enquêté plusieurs semaines auprès des revendeurs niçois, étonnamment faciles à trouver sur les réseaux sociaux. Mais aussi auprès des clients. Cadres, étudiants, ouvriers: ils rechignent de plus en plus à se rendre dans les Zones de sécurité prioritaires (ZSP) comme les quartiers des Moulins, de l’Ariane ou des Liserons pour acheter les stupéfiants à un “charbonneur”. Trop dangereux, trop mal famé.
Le marché des stups local s’est donc adapté. Il livre à domicile ou sur les lieux de fête. Comme on commanderait une pizza. Les clients, eux, sont prêts à payer 20 % plus cher, parfois plus, pour le confort et une forme de “sécurité”.
Cannabis, cocaïne, ecstasy, drogues de synthèse, kétamine… le supermarché niçois “2.0” de la drogue est ouvert 24h/24. On y parle de “chocolat” pour la résine de cannabis, de “sucre” pour la cocaïne. On commande parfois un “menu salade pour 60 euros”. Comprenez 60 euros d’herbe de cannabis.
“Jack Herer, Sour Diesel, Acapulco Gold, AK-47, Skunk, G13, White Widow”, voici quelques-unes des variétés que nous nous sommes vu proposer en quelques clics. 25 euros les 10 g de “King Kong clue”, 230 euros les 100 g: les dealers tentent de fidéliser la clientèle en offrant des remises sur la quantité. Ils proposent même parfois des tickets à gratter ou organisent des tombolas. Sidérant.
“Le compte sur lequel je vais sur Snapchat fait des promotions toutes les semaines, confie Julien (le prénom a été changé, ndlr), 24 ans, étudiant niçois. Ils ne prennent pas de commandes à moins de 50 euros. C’est en gros quinze euros plus cher que d’aller chercher l’herbe, mais du coup je me sens plus sécurisé.” La concurrence entre trafiquants est sévère, et fait tomber les prix. Parfois la qualité.
Avec la complicité d’un client, nous avons pu assister à une livraison de ce type, à partir de Snapchat.
☛ RECIT. De la commande sur Snapchat à la livraison, au cœur d’une transaction d’herbe en plein Nice
Si la messagerie Snapchat est très en vogue chez les dealers, c’est que les messages s’effacent une fois lus. Une façon pour les trafiquants de contourner le traçage des lignes téléphoniques. Les noms des comptes se communiquent par le bouche-à-oreille, entre étudiants ou fumeurs réguliers. Il faut parfois être coopté – “Je viens de la part de Julien” – pour être accepté. Les comptes répondent aux doux noms de Green Shop, de Weedman, Weed Shop. Ils changent constamment. “On échange sur la quantité, le prix, sur l’heure de livraison et l’adresse et c’est fait, témoigne Julien, un étudiant niçois. En général, il vient en voiture une heure après, on fait un tour de quartier pendant lequel on fait la transaction puis il me redépose.”
J’ai plus de 100 contacts par jour
“Je préfère Snapchat, nous confie un dealer, que nous avons rencontré sur la plate-forme. Sur Facebook ça fonctionne bien aussi. J’ai plus de cent contacts par jour. Ça se passe plutôt pas mal.” Le dealer, la trentaine, qui se qualifie de grossiste, affirme avoir déjà fait cinq ans de prison, et ne communique que via messagerie cryptée. “J’investis 30 000 euros par mois dans ce business. Ma marchandise vient de Hollande et du Mexique”, affirme-t-il. Que valent ses paroles? Difficile à jauger. Il y a souvent beaucoup de forfanterie dans ce milieu…
Selon nos informations, certains coursiers de sociétés de livraison à domicile s’adonneraient à ce trafic. “Plusieurs gars qui livraient des sushis à Nice se font fait choper par leur employeur, témoigne un livreur de manière anonyme. Ils planquaient la came dans leurs casiers au boulot et arrondissaient leurs fins de mois.”
Selon des clients et des coursiers que nous avons pu interroger, certains utilisent les tenues Uber Eats ou Deliveroo pour livrer hors service. “Qui va contrôler un livreur Deliveroo à 21 heures?”, rigole l’un d’entre eux, basé avenue Jean-Médecin. Ce mode de livraison, qui consiste à utiliser des sociétés connues, serait malgré tout marginal.
Sollicitée à plusieurs reprises, la police nationale nous a opposé une fin de non-recevoir. Ces modes de vente, très mouvants, créant et supprimant des comptes Snapchat ou Telegram à volonté, sont particulièrement difficiles à cerner pour les forces de l’ordre.

Livraison à domicile, “ubérisation”, les trafiquants singent les nouveaux modes de consommation. Mais fumer un joint le week-end, se targuer d’une consommation “récréative”, ne saurait cacher la réalité d’un trafic qui broie les jeunes des quartiers de l’Ariane ou des Moulins et fait tomber les consommateurs dans la dépendance.
Derrière la ligne de coke d’une soirée de fête, se cachent des règlements de compte, des luttes à mort pour le contrôle du marché, comme le rappelle le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre. “Quand on tape fort, cela désorganise les réseaux qui mettent ensuite un certain temps à se restructurer. Le tout dans une ambiance de confrontation et de concurrence qui peut aller très loin. Après les dernières grosses opérations de 2015 et 2016 on a eu ici une série de règlements de comptes. Le trafic de drogue génère la violence, le racket, des morts parfois, il ne faut jamais l’oublier.”
☛ LIRE AUSSI. Livraison de drogue à domicile sur Nice: le procureur de la République de Nice réagit
Ce marché de la livraison à domicile est largement documenté depuis 2016 au niveau national. Selon l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT), il progresse à grande vitesse. “La réticence croissante des acheteurs à se rendre sur les zones de trafic et la présence des forces de l’ordre, liée aux ZSP ou à l’état d’urgence, contribuent à la désorganisation des trafics de cité et de rue.” L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies note, dans son rapport de 2019, “qu’il apparaît que des groupes de petite taille et des individus se servent de plus en plus des médias sociaux, des marchés du “Darknet” et des techniques de chiffrement pour se livrer au trafic de drogue. (…) Ces méthodes, reflets d’une possible “ubérisation” du commerce de la cocaïne, illustrent le caractère compétitif du marché, au sein duquel les revendeurs rivalisent en proposant des services allant au-delà du produit proprement dit”. 

L’OFDT, qui a une antenne à Marseille, va d’ailleurs lancer l’an prochain à Nice une grande étude sur la question. L’OFDT a également relevé la tendance aux incitations commerciales. 
“Les clients font couramment l’objet de relances et de SMS promotionnels. Si ces efforts ont surtout visé les usagers solvables, les vendeurs se sont aussi adaptés aux revenus des plus précaires et des plus jeunes. Ils le font en fractionnant les unités de ventes, au demi-gramme, au quart de gramme, voire au « taquet » (dose unitaire injectable) (…) Ces ajustements ont accru de manière importante la facilité d’accès au produit.” Le piège se referme alors, pour faire tomber les plus jeunes…
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