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Il y a un mois, Christian Curel a écrit un long courrier (huit pages), dont l’objet est « La grande désillusion » et qu’il a adressé au Président de la République, à la Première ministre, au ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, au ministre de la Santé, au ministre de l’Industrie et à la ministre de la Transition Energétique. Il a mis en copie quelques députés de la région Occitanie et quelques directeurs de services de l’Etat concernés par sa requête.
Le président de Prism, entreprise héraultaise (Frontignan) spécialisée dans la fabrique de masques, et président du Syndicat des fabricants français de masques (F2M) est inquiet : selon lui, la filière française de fabrication de masques, produit redevenu stratégique depuis la pandémie de Covid, est en danger.
« Il n’y avait plus de filière française du masque avant la pandémie de Covid, rappelle le dirigeant. Il y avait un seul fabricant français, l’entreprise Kolmi, qui fait surtout masques FFP2 et a aussi des usines ailleurs dans le monde, et 95% des marchés se reportaient vers les masques chinois… J’ai créé Prism fin 2020. La filière française du masque, c’est aujourd’hui une quinzaine d’entreprises industrielles. Depuis fin novembre, la Covid repart et le masque redevient un sujet puisqu’il est la meilleure défense contre les microbes, pour la Covid, mais aussi pour la grippe ou la bronchiolite. La situation est beaucoup plus préoccupante que ce que je croyais : la plupart des industriels français prévoient d’arrêter rapidement, lorsqu’ils ne l’ont pas déjà fait, certains licencient (par exemple Dräger à Obernai – NDLR), une entreprise a même été liquidée (La Coop des masques, en Bretagne – NDLR), certains font du chômage partiel. Je ne suis pas optimiste… »
Le coup de gueule du dirigeant a été déclenché, raconte-t-il, alors qu’il étudiait les statistiques de la filière française du masque fin octobre : « Force est de constater que les choses n’ont pas changé : avant la crise de la Covid 19, les achats publics de masques se portaient à 95% sur des masques d’importation, moins chers. Entre l’été 2020 et l’été 2021, le même pourcentage était observé, voire même pire : 97% des appels d’offre publics attribués à des importateurs… A regarder les résultats des appels d’offres des dix premier mois de l’année 2022, les résultats sont loin de ceux espérés, alors que la commission interministérielle sur le sujet a établi de nouveaux critères de choix dans le cadre de marchés publics ou privés ».
Christian Curel fait ainsi allusion à une circulaire santé publiée en décembre 2021, incluant des instructions dans le cadre de l’achat de produits sanitaires tels que les masques, et demandant l’application d’une clause de préférence européenne rendant obligatoire la fabrication des masques et de leurs matières premières sur le sol européen. Il évoque également le guide des achats publié en janvier 2022 à destination de tous les acheteurs publics ou privés, recommandant les différents éléments décrits dans la circulaire santé.
« Pour les appels d’offres hors santé, la clause de préférence européenne est très peu appliquée : seulement 14% des appels d’offre l’ont incluse, et le choix se porte invariablement sur le prix le moins cher, 0,035 centime le masque chirurgical, et moins de 0,20 centime le masque FFP2, déplore Christian Curel. Pour les appels d’offres santé, c’est un peu mieux : pour les masques chirurgicaux, si la clause européenne n’est pas incluse, c’est le choix d’un importateur qui est fait. Et si la clause de préférence européenne est incluse, c’est le français le moins cher qui est choisi. »
Dans son courrier, le dirigeant écrit que « le syndicat est inquiet, car sur les six derniers appels d’offre (hors Santé Publique France), cinq n’incluent pas la clause de préférence européenne (GHT Agen, Ucanss, GHT Sud-Francilien, Gapam Gap, GHT Yvelines Nord) ».
Son courrier est largement documenté et étayés d’exemples d’appels d’offres, de critères pris en compte et de prix retenus.
Ce que le dirigeant dénonce donc, ce sont des appels d’offres publics (et il pointe en particulier le secteur de la santé) qui favorisent majoritairement des masques d’importation, avec des critères d’attribution quasi-uniquement basés sur le prix au détriment de leur lieu de production ou de leur qualité.
« On s’aperçoit que la grande distribution a mis deux types de masques en vente, dont des masques français, et les grands comptes comme La Poste, le CEA ou Pierre Fabre ne prennent que des masques français. Certains privés ont été plus vertueux que le public ! », assène-t-il.
Le dirigeant de PME enfonce le clou : dans ces conditions de marché, « on observe que les fabricants français ont tous baissé leur prix, et une partie vend, depuis début 2022, à perte ou sans marge. La filière française est en grand danger, cette politique de dumping ne pourra pas tenir dans le temps ».
« Outre la fabrication des masques, il y a eu la mise en place d’une filière Meltblown (matière filtrante du masque, NDLR) en France, avec le lancement de dix projets, ajoute-t-il. Il en reste encore sept mais quasiment aucun n’a d’activité ! Les fabricants de masques français regardent maintenant ces fournitures en Europe de l’Est, pour des raisons évidentes de coût. »
Au-delà du prix, Christian Curel dresse la liste des avantages à acheter français : création de richesse et redistribution sur le territoire, qualité des masques contrôlée, empreinte carbone meilleure – « c’est une hérésie de faire voyager 10.000 kilomètres ou plus à un masque pesant 3 grammes », lance-t-il -, ou gain social en termes d’emplois.
L’entreprise de Christian Curel, Prism, emploie aujourd’hui 14 salariés.
« On était 25 salariés en janvier 2022, soupire le dirigeant. On n’a pas d’activité linéaires. Nous avons eu beaucoup de commande au 1e trimestre et aujourd’hui, nous sommes en cash négatif. Nous avons été retenus sur peu d’appels d’offres cette année. Heureusement, nous en avons remporté quelques-uns à l’étranger, par exemple le CHU de Liège. Et heureusement aussi que nous avons ciblé dès le début le secteur de la santé, ce qui nous permet d’avoir des marchés pérennes. Mais les établissements ont fait beaucoup de stocks donc les commandes sont réduites. Actuellement, nous vendons un million de masques chirurgicaux et 1,2 millions de masques FFP2 par mois. Notre chiffre d’affaires 2021 était de 1,7 millions d’euros et il sera à peu près identique en 2022. »
L’entrepreneur revient à la question de la filière française et de l’ensemble des entreprises : « Nous disons qu’il faut sanctionner ceux qui ne respectent pas les instructions du ministère, par exemple que pour les établissements de santé, les dotations non obligatoires ne leur soient pas versées », suggère-t-il.
Christian Curel demande également, dans son courrier, de faire appliquer la réciprocité : « Si des pays comme la Chine ou les USA interdisent à leurs établissements publics d’acquérir des produits non fabriqués sur leur territoire, ce qui est le cas des masques, alors appliquer la même règle en Europe ».
Face aux difficultés grandissantes « et bientôt irrémédiables » de la filière française des masques « et à l’échec de la stratégie mise en place jusqu’à présent », le dirigeant espère que son courrier (et ses relais dans la presse) fera office d’électrochoc auprès du gouvernement.
« Si on continue comme ça, ce sera alors la fin de la filière, qui était pourtant une priorité en 2020. Alors que d’autres pandémies vont avoir lieu dans le futur, nous retournerons dans notre situation d’avant Covid, c’est à dire dépendants des importations asiatiques, ce qui est risqué compte tenu du contexte international actuel et de la situation sanitaire en Chine. »
Pour l’heure, le dirigeant indique ne pas avoir eu de retour suite à son courrier, « mais nous allons démarrer des réunions avec le ministère de l’Industrie », précise-t-il.
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