Économie A la Jonquera, les Français rattrapés par l’inflation
Reportage Avec l’inflation, la Jonquera, destination espagnole privilégiée par les touristes français pour ses bas prix, devient de moins en moins rentable
De notre envoyé spécial à la Jonquera,
Le Français a cette caractéristique de se faire vite repérer quel que soit le pays dans lequel il se trouve. Cherchez la personne qui exprime vertement ses émotions à voix haute – en le faisant bien savoir à tout le monde –, et vous vous tromperez rarement sur sa nationalité. Démonstration à la Jonquera (Espagne), où les Français sont donc facilement identifiables – et audibles : on les entend râler dans chaque rayon des supermarchés locaux. Le plus bruyant d’entre eux, Bertrand, 40 ans et le regard aussi timide que la langue est bien pendue, s’exprime pour le groupe : « On a fait 200 kilomètres, et pourquoi ? Pour des prix similaires à la France. » S’il avait su, il ne serait pas venu.
Pour sa défense, on fait effectivement rarement la route jusqu’à la Jonquera pour la culture locale. Une grande route principale et des magasins empaquetés de chaque côté, façon Duty Free à ciel ouvert ou far-west capitaliste décomplexé. L’endroit n’a rien d’autre à proposer que des supermarchés, des commerces, des buffets à volonté, des sexshops, et quelques hôtels pour les rares qui restent dormir sur place. D’habitude, le séjour ne dure que quelques heures, le temps de remplir son coffre. Bastien, qui a fait le trajet depuis Perpignan, à cinquante kilomètres, conte le temps béni, il y a encore quelques années, où la Jonquera ressemblait à la caverne d’Ali Baba : « On ne regardait même pas les prix, on mettait direct dans le chariot. On savait que c’était rentable et moins cher qu’en France ».
Une époque révolue, déplorent les nombreux Français sur place en ce début novembre. Car les lieux continuent d’attirer de nombreux touristes. La Jonquera ne fait même pas semblant : la moitié des panneaux sont écrits exclusivement en français, les caissières sont toutes bilingues et vous répondent amicalement « Bonjour » à votre « Ola señora » mal assuré. Seulement désormais, les visiteurs repartent déçus. L’inflation a elle aussi franchi les Pyrénées, et s’établit à 7,3 % sur un an, soit 1,1 point de plus qu’en France. « Maintenant, il faut tout bien calculer, vérifier que c’est moins cher qu’au pays. Et quand ça l’est, la différence est souvent minime et ne mérite pas le déplacement », constate amèrement Bastien : « Pour moi, ça va encore, je suis à 50 kilomètres. Mais certains viennent de beaucoup plus loin… »

Bertrand a fait le déplacement depuis Montpellier, où il séjournait en vacances. « On s’est dit “quitte à être dans le Sud, autant faire des affaires en Espagne”. » Mais après avoir exploré tous les magasins de la ville, lui et sa bande sont déçus : « Il n’y a pas de bons prix, déplorent-ils en sortant d’un commerce mêlant bricolage et vêtements. A part l’alcool et le tabac, autant rester en France. » Bertrand renchérit : « Et encore l’alcool… Le pastis n’est que 3 euros moins cher ».
Pour le coup, le Breton est sévère. On n’a pas vérifié pour le prix du Ricard, mais s’il y a bien un domaine où la Jonquera reste reine, c’est l’alcool. Le litre d’Absolute vodka à 19,8 euros contre 26,7 en France, la Poliakov à 8,49 euros contre 16,3, le rhum à 9,65 euros, ou le whisky Campbell à 11,49 euros contre 19,89 chez nous, n’en jetez plus. « Pour l’alcool, vous ne trouverez pas mieux, vante Sylvia, l’une des caissières. D’ailleurs, les clients ne s’y trompent pas, et c’est rare de voir un Français repartir sans au moins une bouteille. »
Voire une bonne vingtaine, comme dans le sac de courses de Mélanie, 24 ans, l’innocence dans les yeux et la résistance dans le foie. Etudiante à la fac de Perpignan, elle est venue elle aussi avec sa meute pour piller le rayon : « On passe tous les deux mois environ faire le plein. A part aller en République tchèque, mais ça ferait cher le voyage, on n’a pas trouvé meilleur plan », sourit-elle devant ses amis.

Car ici, on vient à plusieurs, et pas seulement pour passer le temps sur l’autoroute. A la frontière, les contrôles des coffres ne sont pas rares, et l’alcool fort est limité à 10 litres par tête et non par véhicule. Mais les étudiants eux-mêmes l’admettent, le bénéfice est moins net qu’avant : « En première année, la vodka était à moins de 5 balles !, se remémore Mélanie, validée par des hochements de tête nostalgiques autour d’elle. On venait aussi faire nos courses alimentaires. Maintenant on se contente de la tise. »
Là aussi, côté aliments, un peu de clémence s’impose. Mais mieux vaut acheter local : vous trouverez le fuet, fameux saucisson catalan, ou les olives farcies aux anchois deux fois moins cher qu’en France. « Vous êtes bien gentil, mais je n’ai pas fait 200 kilomètres pour des olives », rouspète encore Bertrand.

Reste à s’inspirer des courses des autres pour comprendre comment limiter la casse. Et le plan est simple : acheter en (très) gros. Tendresse particulière pour ce shampoing Head & shoulders de 900 millilitres, ce flacon Ariel de 4,95 litres, ce détergent de 7 kg ou cette bouteille de 5 litres d’huile d’olive. Mais même en se prenant pour Gulliver, la marge n’est pas si incroyable : « On vient toujours à la Jonquera, mais ça nous permet d’économiser quelques euros au lieu d’une bonne centaine avant, et ça nécessite plus de contorsions », regrette Catherine, qui se galère à soulever ses énormes achats jusqu’au tapis de caisse. La sexagénaire, habituée du lieu, dresse en experte le même constat que tout le monde : la destination a perdu de son attrait. Dans un rayon, un Français s’indigne en criant : « C’est du vol »…
Après beaucoup d’efforts, Bertrand et sa bande ont enfin trouvé de quoi rentabiliser le trajet, mais l’humeur reste mauvaise. « Ça nous a demandés des heures et ça rembourse à peine l’essence et le péage », souffle le quadra dans un soupir à faire pâlir la tramontane. Le coffre est rempli de babioles pas forcément utiles, mais rentables, donc. « C’était une erreur », regrette définitivement Bertrand, qui aurait bien passé son dernier vendredi de vacances à la plage.
Sylvia le constate : « Entre l’augmentation de nos prix et celui de l’essence, les Français viennent moins. Moins de gens, moins d’achats, moins de recettes. » Au point que la Jonquera ne ferme ses magasins et sombre dans la crise ? Cette dernière menace, mais Catherine se veut rationnelle : « Oui, on ne s’en tire qu’avec quelques euros de différence. Seulement, avec cette inflation, quelques euros peuvent être une raison suffisante de prendre la route. »
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