« Sud Ouest ». Vous prendrez ce week-end vos quartiers d’été pour un mois de vacances à Port-des-Barques. À quoi ressemble l’assiette estivale d’un grand chef étoilé ?
Jacques Le Divellec. À quelque chose de très simple. Je me soigne chaque jour avec six petites huîtres sauvages au goût de noisette, mais aussi avec des moules de bouchot que je cuisine dans une poêle trouée – comme pour les marrons – sur une poignée d’aiguilles de pins en dessous. Sans parler des poissons de mes copains pêcheurs, des petits carrelets, des rougets et toute cette marée que je pratique ici depuis ma plus tendre enfance. À l’époque, on faisait des fritures et des chaudrées formidables. Il y avait aussi des casserons, ces petites seiches, que je cuisine aujourd’hui à Paris dans du vin rouge ou du vinaigre balsamique, et des anguilles que mon père ramenait de la pêche.
L’été, au bord de l’océan surpeuplé, ce n’est pourtant pas toujours la saison du bon goût en cuisine…
C’est sûr qu’il ne faut pas aller n’importe où. Et pourtant le bon goût est juste devant nous, dans l’océan. Pour le reste, à chacun sa conscience, mais il faut respecter le touriste en lui faisant déguster nos recettes régionales plutôt que des frites trop grasses.
Si l’on feuillette le Michelin, la Charente-Maritime ressemble malgré tout à un désert gastronomique ?
Peu d’étoiles certes, mais il y existe en revanche une foule de bons petits bistrots où je me régale. À L’Houmeau, parmi la rue Saint-Jean-du-Perrrot à La Rochelle, autour du marché, ou bien à Port-des-Barques, à la Chaloupe. Quant au Michelin, cette année c’est une honte. La moitié des adresses de Charente-Maritime ont disparu. L’inspecteur qui est passé ici est un bon à rien. Une honte, vraiment, avec peut-être quelques combines derrière puisque c’est toujours les mêmes adresses que l’on retrouve. Le mec du Michelin, je le repère, il vient manger seul, et ne prend qu’un seul menu pour se faire son avis. C’est n’importe quoi. Mieux vaut ouvrir le Routard.
Habitués des bonnes tables, la vôtre en particulier, les politiques ne seraient-ils pas en fait les meilleurs critiques gastronomiques du pays ?
À Paris, j’ai un resto très politique, un autre plus business et un troisième assez show-biz, mais j’avoue en effet que le premier est celui qui me procure le plus de plaisir. Les politiques sont de vrais amoureux de la cuisine. Raymond Barre était très gourmand par exemple, tandis que le président Mitterrand était plus délicat, il adorait les huîtres de chez nous, la petite Mazarine aussi… À l’inverse il y a le style Chirac, lui, la dernière fois il a osé me commander une bière avec un turbot !
On oppose parfois une gastronomie de droite, assez rustique, à une cuisine de droite, qui serait plus exotique et légère ?
Non, il y a des gourmands dans les deux camps, c’est tout. Hier midi, j’avais encore trois ministres et deux anciens premiers ministres à table, et vous ne faites pas la différence dans leur assiette. Tout le monde d’ailleurs ici se croise, discute dans la plus grande discrétion, et souvent plus calmement qu’à l’Assemblée nationale. Chez moi la cuisine adoucit les mœurs politiques.
La moralisation de la vie publique ne risque-t-elle pas de chasser les politiques des restaurants étoilés ?
À Paris, j’ai un premier menu à 50 euros, et c’est en principe celui que les politiques choisissent. Un poisson du jour, bien souvent avec de l’eau. Alors arrêtons de dire qu’ils se roulent dans la soie.
C’est dans votre restaurant, en 1994, que la première photo de Mazarine a été prise. Témoin ou confident des secrets d’alcôve, vous avez souvent dû faire l’objet de pressions ?
Les journalistes politiques viennent aussi souvent dans mon restaurant, et à l’époque Mitterrand me demandait de le précéder jusqu’à leur table. Mais je me contentais de faire mon métier, et je n’ai jamais rien dit. Mon resto fait de la politique, pas moi.
Votre fils dit pourtant que si vous écriviez un livre sur le sujet, vous vous feriez « massacrer à la tronçonneuse »…
C’est vrai, mais on verra peut-être un peu plus tard, quand j’aurai quitté le métier et que je ne risquerai plus rien.
A propos de « politiquement correct », ne trouvez-vous pas exagéré la tendance qui voudrait que l’on ne consomme que des produits de saison et surtout du coin ?
Je trouve ça très bien, au contraire. En ce moment par exemple, c’est la saison des langoustines, des moules, des fraises et des tomates. Ce genre de choses qui n’ont aucun goût en hiver. Moi je suis très chauvin, et j’estime qu’il faudrait taxer tous les produits d’importation. Il faut reprendre nos vieilles habitudes. En mai, je me souviens d’avoir un turbot rempli de deux kilos d’œufs, c’est comme cela que l’on tue la faune marine.
Vous aussi, puisque vous revendiquez le fait de manger du poisson 6 jours sur 7 !
Mais il y a chez en France autant de poissons – 340 – que de fromages. Je peux donc aussi régaler mes clients avec un carpaccio de maquereaux sans mettre en péril les espèces menacées.
Les huîtres, en revanche, ne sont pas une espèce menacée, alors comment expliquer au gourmet lambda que les six Marennes-Oléron coûtent 40 euros à la carte de votre restaurant ?
Parce dans un établissement comme le mien, le service coûte cher. Plus cher que lorsque j’en achète des sauvages à Port-des-Barques. Et puis ce ne sont pas n’importe quelles huîtres, des spéciales numéro 2. Des comme ça, il n’y en a pas plus de trois au mètre carré.
Un mois de vacances, pour un hyperactif de 78 ans comme vous, c’est long. À quoi occuperez-vous vos journées ?
Ne vous inquiétez pas, d’autant que cette année je me fais huit jours de thalasso sur Oléron. J’en ai bien besoin, ça fait deux ans que je n’ai pas pris de vacances. J’ai fait ma vie à Paris, mais Port-des-Barques c’est mon pays. Mes grands-parents et mes parents y sont enterrés. Le pays où je suis arrivé à deux ans en maternelle, celui aussi où je suis allé au lycée Pierre-Loti à Rochefort, avec Michel Crépeau.
Vous mesurez 1,86 m pour 110 kg. Peut-on vraiment faire confiance à vos collègues maigrichons ?
Des chefs maigres il y en a plein, et des bons comme mon copain Robuchon. Lui, il est maigre comme un sou, mais c’est juste parce que c’est une mauvaise usine !

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