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Décédé samedi, Jean-Jacques Pauvert avait osé le premier publier Sade. “Le Point” était allé le voir en juillet pour évoquer avec lui le “divin marquis”. Portrait.
Temps de lecture : 4 min
Une maison sur les hauteurs de la Côte d’Azur, au Rayol, près de Toulon. Jean-Jacques Pauvert, 88 ans, contemple la mer d’un bleu intense sur laquelle se devinent quelques îles perdues. La vue est sublime et l’isolement presque aussi parfait que celui de Sade reclus dans son château de Lacoste. Sade : le compagnon intellectuel d’une vie. Pour cet homme de lettres, la rencontre a eu des allures de coup de tonnerre. Il n’avait pas 20 ans. Sa première lecture : Les 120 Journées de Sodome, soit le texte le plus noir, le plus insoutenable de Sade… “C’était me trouver immédiatement au coeur du problème Sade, avoue-t-il dans un rire de jeune homme. J’étais immédiatement confronté à ce qu’il a de plus radical. Je n’en suis toujours pas sorti.”
Ce qui l’avait conduit, si jeune, à cette passion sulfureuse ? La lecture d’Apollinaire, l’un des plus fervents défenseurs du marquis – et un ami intime de son oncle, l’écrivain et critique d’art André Salmon (1881-1969). Grâce à lui, Jean-Jacques fréquente la Bibliothèque nationale de France au lendemain de la guerre – et notamment son “enfer”, ces rayonnages réservés aux textes interdits, où sommeille le dangereux marquis. À la même époque, il décide de lancer une revue, et se rapproche des surréalistes, notamment d’André Breton (1896-1966) qui le prend sous son aile. “C’était un grand affectif, sourit Pauvert. Bien sûr, quand je l’ai rencontré, il était auréolé de brouilles célèbres. Mais il m’a beaucoup protégé et aidé.” Et il lui reste fidèle au-delà des années. “Aujourd’hui encore, j’admire profondément la lecture de Breton, l’une des plus justes qui aient été faites avec celles d’Apollinaire, alors que tant de gens par la suite ont revêtu Sade de leurs propres obsessions.”
Inconscience de la jeunesse ? Il décide d’éditer Sade. En 1945, il se lance avec Juliette. Il a 21 ans et installe ses presses dans le garage de ses parents, à Sceaux… La police des moeurs débarque. Un épisode qu’il évoque volontiers. Le choc inaugural de sa carrière d’éditeur. “J’ai su que j’étais dans le juste, et que ma vie serait là.” Il publiera donc les oeuvres complètes du marquis, et sous son propre nom. Dix volumes dont le dernier sort en 1947 et qui lui vaudront dix ans de poursuites judiciaires… En 1958, enfin, il gagne le procès que lui a intenté le ministère public.
Le juste, pour lui, c’est de faire bouger les lignes éditoriales en interrogeant et repoussant les tabous de l’époque. Il publiera, entre autres, le texte d’une inconnue, Pauline Réage (pseudonyme de Dominique Aury) : Histoire d’O (1954) – bientôt un classique de la littérature érotique. Et choquera le très catholique François Mauriac (1885-1970), qui claquera la porte de L’Express parce qu’on y interviewe l’éditeur de Sade et de Pauline Réage. Rien qu’à y penser, Pauvert sourit, ravi… L’érotisme, c’est son sujet. Il y consacrera plusieurs livres, dont une Anthologie historique des lectures érotiques en plusieurs volumes, publiée chez Stock entre 1985 et 2000. Dans le même temps, il s’attaque à une autre monumentale entreprise : une biographie de Sade, prétexte à enquêter sur l’énigme de sa propre fascination : Sade vivant (Robert Laffont, 1990 ; Tripode, 2013). Est-ce d’avoir consacré une grande partie de sa vie à interroger l’insondable aristocrate ? Pauvert cultive volontiers le mystère et les réponses à demi-mot… “Sade n’est pas un auteur érotique, tranche-t-il, laconique. Il est au-delà.”
C’est pourquoi, même aujourd’hui où le sexe ne choque plus guère, il garde une aura de scandale. “Personne n’est allé aussi loin que lui dans sa guerre contre la société, dans sa description de l’homme.” Que ressent-il aujourd’hui à voir le marquis promu gloire nationale, “institutionnalisé” par son entrée dans La Pléiade en 1990 et bientôt célébré au musée d’Orsay ? “Bien sûr, cela me fait sourire, avoue celui qui a beaucoup contribué à cette gloire tardive. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit destiné à être compris du plus grand nombre.” Lui-même était réticent à l’idée que Les 120 Journées de Sodome paraissent en collection de poche. Sade disponible, oui. Mais Sade entre toutes les mains ? Il s’interroge encore… Oui, lui, Pauvert, est choqué par certaines pages du marquis. Une lecture dont on ne sort pas indemne, même après plusieurs décennies : la meilleure preuve, peut-être, de la singularité irréductible de l’écrivain, décidément impossible à domestiquer. L’homme le fascine, mais pas seulement par son génie littéraire. Sa personnalité aussi le trouble. “Il est terriblement entêté, analyse-t-il. Il court à la catastrophe, et s’obstine.”
Pauvert est l’un des rares sadiens à défendre la présidente de Montreuil, la belle-mère de Sade. “Elle l’a aimé, très sincèrement, et fait partie des rares qui ont cherché à le comprendre.” Comme lui, donc… Il s’est passionné aussi pour ce policier qui suivit Sade à la trace et fournit des rapports de police des plus détaillés sur ses frasques. “Bien sûr qu’il a été fasciné, même si lui était du côté de la loi.” Le regard se perd quand on évoque les crimes supposés du marquis. Donatien a-t-il tué ? Jean-Jacques Pauvert est de ceux qui en sont convaincus. À Lacoste, suppose-t-il, le marquis a eu tout le loisir d’expérimenter son goût du sang. Comment expliquer autrement la précision clinique de ses descriptions ?

Retrouvez en kiosque notre hors-série “Le mystère Sade”. Sortie le 25 septembre, 114 pages, 7,50 euros.

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Chacun y est invité à y ” faire son marché “, selon ses gôuts et ses penchants, sa propre éthique et ses limites auto-consenties.

Je mourrai donc sans n’avoir jamais feuilletée, ni ressenti la curiosité de lire plus qu’une demie-page de SADE.
Les profs m’ont largement suffit dans leurs ” inventaires “du personnage.

Son goût pour ” l’au-delà érotique”, comme le pressent un PAUVERT conquis, on le retrouve aujourd’hui dans les pages de l’actualité la plus sordide.
Celles que l’on appelait autrefois, la rubrique des ” chiens écrasés “.

SADE c’est ZONE, c’est MALADE, et ça PUE.

Quel bonheur que même ses ” amoureux ” les plus acharnés, ne soient que de simples mortels !
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