Sur les coteaux de Gan (64), dans les vignes du jurançon et sur les bouteilles, rien n’a changé. Les châteaux Jolys et de Jurque ont gardé leur nom, celui des Latrille. Une histoire de famille comme on en fait des centaines dans l’appellation. De « père en filles », peut-on encore lire sur les étiquettes.
Mais, pour la première fois depuis 1959, les Latrille ne vendangeront pas les petits et gros mansengs du nouveau millésime. En avril, le domaine a été vendu à un Canadien.Les deux sœurs Latrille, dignes héritières d’une histoire écrite par leur grand-père Pierre…
Mais, pour la première fois depuis 1959, les Latrille ne vendangeront pas les petits et gros mansengs du nouveau millésime. En avril, le domaine a été vendu à un Canadien. Les deux sœurs Latrille, dignes héritières d’une histoire écrite par leur grand-père Pierre-Yves, ont pris leur envol vers de nouveaux horizons. Michel Boutin, homme d’affaires québécois et millionnaire , a su convaincre. C’est une grande première. Il est le premier étranger à investir dans les vignes du piémont pyrénéen.
Ce n’est pas le nouveau patron qui raconte ce « coup de cœur ». Michel Boutin, 60 ans, principal actionnaire du groupe funéraire Athos, a (pour l’instant) fort à faire. C’est son bras droit, Stéphane Descamps qui joue le rôle de « régisseur ». Où on apprend que le jurançon, et plus généralement les vins liquoreux, est le péché mignon des habitants de l’Amérique du Nord : « Michel Boutin voulait s’acheter un vignoble, explique Stéphane Descamps. Naturellement, les Québécois vont vers quelque chose qu’ils aiment, ils ne cherchent pas le prestige. Quand Michel Boutin a appris que le domaine était à vendre, il a tout de suite sauté sur l’occasion. »
Sans surprise, le prix de la transaction est tenu secret. Au mieux, sait-on que les 32 hectares du domaine étaient affichés au prix de quatre millions d’euros , comprenant la maison de maître familiale, le château Jolys. Les dix hectares cultivés sur les terres du château de Jurque voisin sont en fermage.
Cette vente n’a pas été vue d’un mauvais œil dans l’appellation. Au contraire. Les vignerons se réjouissent même de voir émerger de nouveaux marchés. « On s’est présenté à eux, on essaye de s’intégrer aux réflexions, insiste Stéphane Descamps. Nous ne venons pas démanteler le domaine. Nous ne sommes pas perçus comme des envahisseurs. »
Leur approche s’est faite en douceur. S’ils ne sont pas vignerons, ils connaissent le business. Une histoire de famille, française qui plus est, est toujours attractive. « Nous n’avons aucun plan de tout changer. Le grand-père Latrille était quelqu’un. On a la volonté de continuer ce qu’il a créé. On ne touche à rien. L’équipe de onze personnes est restée. Le maître de chai a trente-sept ans d’ancienneté dans l’entreprise. Le domaine Latrille reste le domaine Latrille. »
Les propriétaires changent mais le nom reste. « Nous sommes encore dans une période de reprise mais on amorce de nouvelles opportunités, détaille le régisseur. On utilise le réseau que l’on a pour ouvrir le marché à l’Amérique du Nord ou aux États-Unis. L’Asie n’est pas à négliger non plus. Il n’y a pas longtemps, quelqu’un du Pérou s’est manifesté, ce sont des marchés auxquels on ne pense pas. »
Avec un rendement de 200 000 bouteilles par an , le domaine Latrille n’a pas l’envie, encore moins les moyens, de régaler le monde. « Le jurançon, ce n’est pas le bordeaux. C’est un marché de niche, on le sait », confirme Stéphane Descamps. Les 40 % de la production en vin sec et moelleux dédiés à l’exportation pourraient tout de même finir par s’équilibrer.
Mi-octobre, le nouveau maître des lieux viendra fouler ses terres pour prendre part aux vendanges. « Il a une démarche de connaissance. Il sait qu’il ne sera jamais vigneron, mais il souhaite participer. » La première victoire de Michel Boutin s’est gagnée en août, lorsqu’ un jurançon sec du domaine a été sélectionné pour abreuver les grands de ce monde, au G7 de Biarritz. Une envie de bien faire, poussée jusqu’au bout. Comme pour recevoir sa bénédiction, Stéphane Descamps confie être allé se recueillir sur la tombe de Jean-Yves Latrille au cimetière de la Chapelle de Rousse. Le grand-père lui a visiblement donné son approbation.

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