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Dans son dernier ouvrage, "Face à une guerre sainte", la philosophe apporte son expertise sur cette question brûlante. Sans éviter les questions qui fâchent – notamment à gauche.
À l’heure où les débats de société se bornent souvent à des échanges d’invectives sur les réseaux sociaux, Sylviane Agacinski apporte un sens des nuances salutaire.
Dans son dernier ouvrage (1), la philosophe décortique le discours islamiste à l’aune de l’histoire. La compagne de Lionel Jospin repose notamment la question du voile, qu’elle rejette catégoriquement, et décoche ses flèches de l’extrême gauche à l’extrême droite.
Vous citez l’écrivain Samuel Huntington, auteur du “Choc des civilisations” – l’un des livres de chevet d’Éric Zemmour – qui estime que les conflits à venir opposeront des peuples de culture différente. Vous partagez son analyse?
Huntington a souvent été caricaturé. Mais il a vu juste, dès les années quatre-vingt-dix, en soulignant l’ampleur de la résurgence du fait religieux dans le monde. Au demeurant, le jihad traverse avant tout la civilisation islamique de l’intérieur. Les conflits armés restent d’ordre territorial et national, comme la guerre en Ukraine ou même, à l’origine, le conflit israélo-palestinien. On peut néanmoins être frappé par l’alliance des nationalismes avec les courants religieux les plus intégristes. Voyez la Turquie, l’Inde, etc.
Depuis 2015, les trois quarts des attentats commis en France l’ont été par des Français musulmans. Que faut-il en déduire?
Que le jihad déborde largement la terre d’islam et a trouvé des relais en France comme en Belgique. Notre passé colonial, notre participation à la lutte contre al-Qaïda et Daesh contribuent à nous exposer. N’oublions pas, pour autant, que 90% des victimes de cette guerre sainte menée par les islamistes sont musulmanes.
N’y a-t-il pas, à vos yeux, un problème d’intégration des musulmans en France?
Sans doute, même si la grande majorité́ des Français musulmans est intégrée et s’inquiète de la montée du prosélytisme islamiste.
Vous écrivez: “La guerre sainte, le jihad, n’est plus seulement un événement venu d’ailleurs”. Les gouvernements successifs ont minoré ce problème?
Non. Mais il y a eu une certaine difficulté à nommer les choses, y compris dans les médias. On parlait de “terrorisme”, de “barbarie”… Il faut appeler un chat, un chat. Depuis les croisades, puis les conflits entre catholiques et protestants, nous savons bien ce qu’est une guerre menée au nom d’une religion.
La France est-elle islamophobe?
Je ne le crois pas. Il y a toujours eu, dans notre pays comme partout, un fond de racisme et de xénophobie. Mais l’État n’est ni raciste, ni xénophobe. Aucune loi n’autorise la moindre discrimination! Le terme d’islamophobie a été́lancé par les islamistes eux-mêmes pour créer une confusion. Ils veulent faire croire aux musulmans que la France leur est hostile; c’est faux! C’est l’islamisme qui inquiète.
Deux groupes nient toute différence entre islam et islamisme: l’extrême droite et les islamistes. Peut-on les qualifier d’alliés objectifs?
Leurs finalités sont évidemment différentes. L’extrême droite veut surtout politiser la question de l’immigration, tandis que les islamistes tentent de décourager les musulmans de s’intégrer dans tel ou tel pays. Ils prônent un “véritable” islam, purifié et intransigeant, contre les musulmans traditionnels, jugés trop tièdes et occidentalisés. Ma conviction est qu’un islam européen est possible. Particulièrement en France où, depuis l’Édit de Nantes jusqu’à̀ la loi de 1901, tout est mis en œuvre pour permettre une société multiconfessionnelle – et non “multiculturelle”.
Comment expliquez-vous le rapprochement entre la gauche radicale et les islamistes?
La révolution iranienne de 1979 est éclairante sur ce point. Au début, les religieux ont été́ soutenus par les communistes locaux qui espéraient des progrès sociaux. Tragique erreur! À chaque fois que la gauche a cru pouvoir s’associer aux religieux, elle a été dévorée. Mais cette illusion subsiste aujourd’hui chez certains intellectuels. En France, différents partis ont cherché à ménager les islamistes pour des raisons électoralistes.
Que pensez-vous de ce qui se passe aujourd’hui en Iran?
J’ai l’espoir que la colère et la révolte des femmes croisent celles de toute la jeunesse pour aboutir à̀un changement de régime. Le dévoilement des Iraniennes devrait faire réfléchir toutes les musulmanes.
Vous prenez position contre le voile. Faut-il l’interdire dans la sphère publique?
C’est tout simplement impossible. Dans la rue, nos lois ne peuvent interdire ce qui se présente comme un simple foulard; on ne peut pas faire une police des tenues. Mais je m’insurge contre les discours qui banalisent la signification de ce voile. Il appartient à ce que j’appelle une “culture du rideau”, sexiste, inégalitaire et discriminante.
Lorsqu’elle défend la “liberté des femmes” de se voiler, la gauche fait fausse route?
Elle tombe dans le panneau des islamistes qui veulent présenter le voile comme une expression de la liberté́individuelle. Ne soyons pas naïfs!
Des musulmanes françaises refusent de l’enlever…
Parce que ce voile a aussi une valeur identitaire. Ces femmes, culpabilisées par le prosélytisme islamiste, ne veulent pas se désolidariser de leur groupe.
Vous estimez que le scandale provoqué par les caricatures de Mahomet est lié à leur diffusion sur les réseaux sociaux. Très concrètement, que préconisez-vous?
Théoriquement, il faudrait toujours tenir compte du public auquel on s’adresse. Par exemple, projeter ces caricatures sur des édifices publics, c’était une provocation absurde et gratuite. On ne doit pas chercher à̀ humilier quiconque, ni les musulmans, ni les catholiques. Mais la liberté d’expression n’est réelle que si l’on peut prendre le risque de choquer – et cette liberté́ doit rester entière. [Un silence] Je n’ai pas de solution à ce problème. Chacun doit prendre ses responsabilités.
L’enseignante que vous avez été n’aurait pas pris le “risque” de montrer ces caricatures aux élèves?
En effet. Mais je ne dis pas cela par rapport au terrorisme ni à Samuel Paty. De façon générale, de mon point de vue, le professeur doit avant tout instruire les élèves et leur apprendre à penser. C’est à chaque professeur de juger de ses méthodes. Mais il vaut parfois mieux, me semble-t-il, prendre du recul par rapport à l’actualité et s’appuyer sur l’histoire, sur la réflexion philosophique pour répondre aux questions des jeunes gens. On doit donner des clefs. Pour ma part, j’aurais préféré montrer aux élèves des caricatures du XVIe siècle, bien plus violentes que celles d’aujourd’hui. 1. Face à une guerre sainte de Sylviane Agacinski, éditions Seuil. 182 pages, 18 euros.
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