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Alors que le rail a résisté à la tempête Alex, il apparaît dès lors comme le seul espoir de désenclaver la vallée de la Roya. La suppression de la ligne a pourtant été sérieusement envisagée. Retour sur son histoire.
Depuis 92 ans, la ligne Nice-Cuneo est une passerelle entre trois régions : la Côte d’Azur, la Ligurie et le Piémont. « Il s’agit d’une voie ferrée internationale qui relie Nice à Turin mais qui a eu une histoire particulièrement chaotique au fil des difficultés des relations entre la France et l’Italie », note Michel Braun, historien local, éditeur et spécialiste du rail.
Car son histoire remonte bien avant son inauguration. « En 1858, les Princes de Savoie promettent la voie ferrée Nice-Turin aux Niçois mais très vite le projet est différé parce que le comté de Nice et la Savoie passent à la France. » L’Italie construit la ligne par étapes. Le premier coup de pioche est donné en 1882 à Cuneo. Tandis qu’en France, le projet est marqué par des années d’oppositions et d’incertitudes.
En 1904, une convention internationale est finalement signée entre les deux pays. Cette convention définit notamment le délai d’achèvement des travaux (prévu initialement en 1912) ainsi que les conditions de transit des trains sur la ligne.
Son approbation par les parlements français et italiens « va subir un décalage révélateur de l’importance apportée au projet », souligne Michel Braun dans son livre Les trains du Col de Tende (1). « En Italie tout est réglé en trois semaines. Mais en France, il va en être tout autrement. » Il faut attendre début mars 1906 pour que le Sénat ratifie le document, huit mois après la chambre des députés.
Les travaux peuvent enfin commencer côté français. Le projet définitif de la ligne est déposé en 1907. « Sur certains points, le tracé va cependant rester en suspens pendant plusieurs années, les adjudications [des lots] étant retardées par des litiges au sujet de la cession des terrains », note Michel Braun dans son livre.
Les travaux « pharaoniques » engagés sont rendus difficiles par la nature des sols mais surtout par « un tracé qui doit vaincre un dénivelé de 1 000 mètres en une soixantaine de kilomètres ».
Entre Nice et Cuneo, on compte « une douzaine de souterrains d’une longueur supérieure au kilomètre » qui, mis bout à bout, s’étendent sur plus de 60 km. Les tunnels du Col de Tendre, de Braus et du Mont Grazian figurent parmi les plus longs. La ligne est aussi composée de 6,5 km de ponts et viaducs. En tout, ces ouvrages représentent près de 42 % de la longueur totale du tracé de 143,5 km.
En raison du retard accumulé par la France, « la ligne n’est mise en service et inaugurée dans son intégralité qu’en 1928 », note l’auteur.
Dès lors, « des trains internationaux circulent de Nice à Berlin : des trains de luxe avec voiture-restaurant, des autorails rapides qui font Turin Vintimille en 2 h 40, contre 4 h 40 aujourd’hui » (voir ci-contre). Et Michel Braun de poursuivre : « Avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir en Italie, les relations avec la France deviennent de plus en plus difficiles ». Nouvelles complications. « Le trafic chute de façon spectaculaire. »
La seconde Guerre Mondiale apportera le coup de grâce. Soldats et résistants vont s’obstiner à interrompre cette voie de communication. « En 1945, lors de leur départ de la Roya, les troupes allemandes vont systématiquement détruire tous les ponts de la voie ferrée, mais aussi de la route, de Vintimille à Tende. Ce qui s’apparente à ce que nous connaissons aujourd’hui. »
Face à l’ampleur du désastre s’engagent de longues et laborieuses discussions entre les deux pays. En 1970, le France et l’Italie signent une convention qui valide la reconstruction de la voie ferrée. « Il est décidé que la SNCF sur son territoire français continuerait à assurer l’entretien de la ligne et les divers travaux mais que toutes les factures seraient envoyées à l’Italie, dans un esprit de dommages de guerre. »
Les années 2010 marquent le retour de nouvelles crispations. « La SNCF s’engage avec les partenaires privés dans une concurrence en Italie avec Trenitalia au niveau des TGV. La direction du groupe des Ferrovie dello Stato décident de ne plus payer un certain nombre de prestations dans les gares frontières et en particulier sur les lignes de la Roya. Le cycle infernal se met en place. »
En 2013, « SNCF Réseau (RFF à l’époque) décide de mettre la ligne à 40 km/h au lieu de 80 km/h, pour ne pas user excessivement les installations ». Il faut à présent deux heures Pour aller de Tende à Nice par le train, contre 1 h 30 auparavant. « La région Piémont, en charge des trains entre Turin et la Riviera, réduit à son tour les circulations des trains à deux allers-retours par jour, contre douze à l’époque. » Côté Français, la SNCF n’opère plus que deux allers-retours également.

1 – volume I : 1858-1928, coécrit avec José Banaudo et Gérard De Santos
Sur le chantier, les conditions de travail et de sécurité sont précaires. « Au premier semestre de 1914, on déplore quinze morts sur les quatre lots en construction entre l’Escarène et Breil », peut-on lire dans le volume 1 du livre Les trains du Col de Tende.
Dans le seul mois de janvier, quatre accidents causeront la mort de cinq ouvriers italiens et espagnols, dont un jeune manœuvre de 17 ans. Après quelques semaines d’accalmie, les incidents reprennent. Le mois de mai est marqué par la mort de deux autres hommes. Le bilan du mois de juin n’en sera que plus lourd. Un très jeune manœuvre meurt dans l’explosion accidentelle d’un bâton de dynamite. Quelques jours plus tard, huit hommes décèdent dans l’effondrement d’une voûte dans la galerie du Grazian.
Les rivalités entre les ouvriers causent aussi de nombreux décès. « On tue pour un regard déplacé, un outil qu’on se dispute ou pour une femme. » 
Les accidents se poursuivent lors des travaux d’aménagement. Le 21 décembre 1925, la tragédie de Bancao fait sept morts et quatre blessés. Un wagon qui transportait des ouvriers en direction de Breil est percuté par une locomotive.
En tout, une centaine d’ouvriers et de cheminots auraient perdu la vie lors de la construction ou de l’exploitation de la ligne.
Deux semaines après la tempête Alex qui a dévasté la vallée de la Roya – laissant les villages de Tende, La Brigue, Fontan, Saorge et leurs hameaux sans accès routier -, experts et élus s’accordent à le dire : il faudra des mois, voire des années, pour reconstruire les routes et les quelque onze ponts détruits dans la nuit du vendredi 2 au samedi 3 octobre.
Dès lors, un seul espoir apparaît pour désenclaver les populations de ces communes : la ligne de chemin de fer Nice-Cuneo. Un paradoxe quand on connaît les difficultés rencontrées par la ligne depuis une dizaine d’années années. Sa suppression planant comme une épée de Damoclès au-dessus de la Roya. Dans l’espoir d’éviter cette fin annoncée, de nombreuses voix s’élèvent pour défendre cette ligne.
Aujourd’hui, le combat est plus que jamais d’actualité. Alors « qu’on sait que les pluies reviendront », « demandons aux collectivités territoriales et à l’État de revenir sur le choix d’abandonner le ferroviaire », soutient l’association Roya Expansion Nature.
Alors que le rail a fait ses preuves face aux ravages de la tempête Alex dans la vallée, l’association en appelle à ce que « les crédits de reconstruction soient affectés en priorité à la ligne Nice-Vintimille-Cuneo ». Pour que les trains roulent à nouveau à 80 km/h, que les TER aillent jusqu’à Limone, que soit rétabli le Nice-Turin, les 24 trajets quotidiens ainsi que des trains de nuit pour voyageurs et marchandises entre Nice et Turin.
De son côté, l’historien local, spécialiste et défenseur du rail, rappelle que « des tractations serrées durent depuis 10 ans ». Alors que la suppression de la ligne « était très sérieusement envisagée, aujourd’hui on pourrait observer une éclaircie : Rete Ferroviaria Italiana (RFI) a fait un pas en acceptant de payer sa dette de l’ordre de 20 millions. De son côté, la Région Sud devrait prendre en charge 25 % des futurs travaux entre Breil et Tende ».
La situation actuelle donne raison aux défenseurs de cette ligne, qui font aussi remarquer que « avec le futur tunnel TGV Lyon-Turin en cours de construction, une ligne du col de Tende modernisée permettrait de rapprocher la Riviera Française et la Côte d’Azur du Piémont mais également de la Savoie et de la Suisse ». D’après certains experts, Nice pourrait être à moins de 3 h de Turin et 4 h de la Savoie.
Face au chantier de la route, la voie ferrée pourrait devenir le seul atout de développement économique de la vallée. L’occasion de faire de la Roya « un exemple de territoire en transition écologique », note l’association Roya Expansion Nature. « Puisqu’il faut reconstruire, faisons le choix du tourisme vert, de la préservation de la biodiversité, de l’autonomie énergétique et alimentaire. Transformons notre axe de passage polluant et bruyant en une voie de passage exemplaire. »
Après la tempête Alex qui a frappé la Roya, la circulation des trains a été rétablie entre Nice et Breil-sur-Roya dès le dimanche, puis Fontan dès le mardi (reprise du service voyageur depuis le 8 octobre). Depuis, « une draisine a réussi à atteindre Saint-Dalmas-de-Tende par le sud pour transporter des marchandises, sur une gare provisoire », note l’historien local, éditeur et spécialiste du rail, Michel Braun. Dès lundi, après des travaux d’urgence, le train pourra transporter les voyageurs jusqu’à cet arrêt temporaire.
Problème dans un tunnel
Sur la page Facebook de l’Ecomusée du Train des Merveilles, l’historien publie régulièrement des nouvelles de l’évolution du chantier, qu’il suit de près depuis Breil-sur-Roya. « Du côté italien, les trains sont autorisés à descendre de Limone à la gare de Tende », souligne ce fervent défenseur du rail.
Il précise : « Le problème se situe au niveau d’un tunnel. La rivière la Bionia, qui descend de Castérino, a emporté la voie sur un petit viaduc et s’est engouffrée dans un tunnel en emportant le ballast sur 1 500 mètres. Il faut reconstruire la voie sur environ 2 km et revérifier toutes les installations de sécurité. Plusieurs tournées ont déjà été faites en hélicoptère mais nous ne sommes jamais à l’abri d’un rocher instable, ce qui nécessite des précautions. »
Avec l’aide précieuse des ouvrages de Michel Braun, Les trains du col de Tende, vol. 1 & 2, coécrits avec José Banaudo et Gérard De Santos
Sa forme de Y inversé, vaut à la ligne Nice-Cuneo des appellations différentes suivant que l’on se place du côté français ou italien. En effet, elle relie la ville de Cuneo en Italie en son sommet depuis ses deux branches littorales, l’une au départ de Nice, l’autre de Vintimille.
Aussi, pour les Français, on parlera plutôt de la ligne Nice-Coni. Tandis que les Italiens ont opté pour la dénomination officielle Ferrovia Cuneo-Vintimiglia.
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