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REPORTAGE. C’est le plus beau décor XVIIIe de Paris. Démonté il y a un siècle près du Palais-Royal, il ressuscite aux Archives nationales après une longue errance.
Temps de lecture : 8 min
C’est l’histoire d’un décor XVIIIe siècle, le plus beau probablement de Paris, qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Le voilà, après un feuilleton rocambolesque de plus d’un siècle, remonté ex situ dans l’un des lieux les plus prestigieux de la capitale, l’hôtel de Rohan, au sein des Archives nationales.
Pour le situer sur ses terres d’origine, il faut se diriger vers le Palais-Royal, à l’angle des rues de Valois, du Colonel-Driant et des Bons-Enfants, et imaginer un luxueux hôtel bâti en 1705 par le futur régent, le duc d’Orléans, pour sa maîtresse. Vingt ans plus tard, après sa mort, son fils le confie à son chancelier, d’Argenson, concepteur de l’École militaire, de la place de la Concorde, des Champs-Élysées et protecteur des Encyclopédistes. L’endroit prend alors sa dénomination qu’il ne perdra plus : la chancellerie d’Orléans. Pour le « rafraîchir », son fils, grand mécène, engage l’un des architectes les plus doués du siècle, Charles De Wailly, touche-à-tout de génie capable de voltiger d’un style à l’autre, mais qui entrera dans la postérité pour avoir lancé le style néoclassique.

Suivi de chantier de restauration des décors de la Chancellerie d’Orléans. Phase de travaux en cours : Repose des décors. Maître d’ouvrage : ministère de la Culture et de la Communication. Maître d’ouvrage délégué: OPPIC. Paul Barnoud, architecte en chef des monuments historiques et François Janneau, architecte en chef des monuments historiques. Entreprises: Arcanes (Restauration des décors), Tollis (Remontage à blanc et staff), Doresco (Dorures), Ateliers de la Chapelle (restauration des boiseries). Etat des lieux. Rdc, dans la Chambre de Madame, vers l’ouest, Paris, France, le 14/09/2021 © Thierry Ardouin / ©Thierry ARDOUIN/OPPIC/Tendance Floue

Voilà Wailly qui refait les décors de quatre pièces : un grand salon, une salle à manger, une chambre à coucher et une antichambre. La première est rococo, la seconde, minérale, toute en pilastre d’albâtre, porphyres et marbre, la troisième lorgne vers un baroque doré quand la dernière annonce dès les années 1770 le néoclassique, grâce aux dessins rapportés de Grèce par les premiers voyageurs érudits, dont certains étaient des amis de Wailly.
Ces quatre pièces étincelantes, renversantes, estomaquantes, le public pourra à partir du 1er janvier les arpenter chaque samedi dans le cadre d’une visite de l’hôtel de Rohan que le ministère de la Culture réserve par ailleurs à une partie de son personnel d’ici à 2023. Maintenant que le chantier est pratiquement terminé, nous n’avons pas voulu faire attendre davantage les curieux. Nous avons pu nous y promener et rencontrer les protagonistes de ce long feuilleton qui débuta au début du XXe siècle.

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Comment une chancellerie d’Orléans sise près du Palais-Royal a-t-elle bien pu atterrir aux Archives nationales ? C’est là le résultat de magnifiques tergiversations, d’admirables endormissements, comme la France sait nous en offrir. Avant l’autoroute pompidolienne, il y eut d’autres projets de radiale traversant la capitale : notamment cet axe, la Grande Croisée, qui devait, presque en parallèle à la rue de Rivoli, relier la Bastille à l’opéra Garnier.
Nous sommes entre 1905 et 1910 et Haussmann a eu ses héritiers qui n’ont rien à lui envier. Point d’orgue de l’opération, raser le jardin du Palais-Royal pour y transporter la Bourse du palais Brongniart. C’est qu’on ne mégotait pas. On prévoit aussi de tracer une rue – la future rue du Colonel-Driant – qui traverserait la rue des Bons-Enfants où se dresse justement au numéro 19 la chancellerie d’Orléans.

Le projet fait grand bruit, la Commission du Vieux Paris, toute nouvelle, pousse des cris d’orfraie, et la propriétaire de l’époque, Mme Thénard, finit par s’en inquiéter. Elle est la petite-fille du baron Thénard, chimiste découvreur du bleu de cobalt (pour la porcelaine), du blanc de céruse, de l’eau oxygénée, mais qui devenu pair de France s’opposa à la réduction du temps de travail des enfants de seize à dix heures quotidiennes. Et ce brave homme habitait rue des Bons-Enfants ! Un écrivain, qui s’était opposé à lui, un certain Victor Hugo, sut s’en souvenir en nommant les pires crapules de son célèbre roman les… Thénardier.

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LAGRENEE Apres © LOMBARD.MAT

Par ailleurs, les environs étaient occupés par une vénérable institution, la Banque de France. Laquelle avait des velléités et des besoins d’expansion vers le sud, le long de la rue de Valois, où elle s’était déjà établie dans l’ancien hôtel de Toulouse. La guerre, ses obus, avaient démontré la vulnérabilité des réserves d’or, jusque-là rangées à la diable dans les caves à vin du comte de Toulouse. Un peu léger. Il faut trouver d’autres terrains où creuser très profond, à près de 20 mètres, et y entreposer en toute sécurité l’or de la France : ce sera le grand projet de la mythique « Souterraine », creusée entre 1924 et 1927.
Vers 1921, intervient alors un marché entre la ville de Paris et la Banque de France. Celle-ci, pour s’étendre d’un seul tenant, doit tout simplement supprimer la rue Baillif, perpendiculaire à la rue de Valois. Or, une rue est un terrain public. L’autorisation de la ville est obligatoire. Dans le même temps, la ville de Paris a besoin d’exproprier de nombreux propriétaires dans la future rue du Colonel-Driant. Cela coûte cher. Elle donne donc son accord à la Banque pour la rue Baillif, qui va disparaître, à condition que celle-ci indemnise elle-même tous les occupants situés sur la rue à bâtir. D’une rue l’autre ! Parmi eux, la chancellerie d’Orléans. Elle est classée ? Qu’importe : la voilà déclassée, à la nouvelle condition que la Banque de France rebâtisse dans ses futurs locaux les fameux décors. Aucun délai obligatoire n’est cependant fixé. Erreur…

L’architecte de la Banque, Alphonse Defrasse, pense s’y atteler l’année suivante. Mais après la guerre, la construction de ces nouveaux bâtiments traîne en longueur. Ils ne seront terminés qu’en… 1950, nous précise Arnaud Manas, chef du service du patrimoine historique et des archives de la Banque de France. La crise de 1929 est passée par là également. Defrasse, qui portait le projet, part à la retraite. Entre-temps, les décors très soigneusement démontés sont rangés dans 120 caisses – sans compter les plafonds et les pilastres – qui se retrouvent dans un entrepôt d’Asnières (Hauts-de-Seine). Le bâtiment inauguré en 1950 ne contient pas la moindre trace de décor XVIIIe et, en 1963, le gouverneur de l’époque décide que la plaisanterie a assez duré : tous ces nouveaux bureaux administratifs ne s’y prêtent nullement, il faudra trouver ailleurs.
Débute alors une errance virtuelle que nous décrit Emmanuel Penicaut, conservateur général du patrimoine aux Archives nationales. La Cité des Arts, près de la Seine, est envisagée. Puis le Carnavalet, grand recycleur de décors XVIIIe, mais il aurait fallu recouvrir toute une cour. Exclu. À la fin des années 1980, alors que le Grand Louvre est en pleine expansion, on songe à cette destination. Avant d’y renoncer. Les années 1990 voient poindre l’hypothèse du domaine du parc de Saint-Cloud, après le départ de l’ENS. Du côté de la Banque, on s’impatiente, car la pression immobilière incite l’organisme à se séparer de ses entrepôts à Asnières. Les caisses sont déménagées à Montreuil, sur une emprise de 1 000 mètres carrés.
Entretemps, un particulier s’est pris de passion pour ces décors. Bertrand du Vignaud. Après le décor au mauvais endroit au mauvais moment, l’homme au bon endroit au bon moment. Il nous raconte avoir, dès 1979, découvert l’existence des splendeurs de la chancellerie lors d’une exposition à l’hôtel de Sully consacrée à Charles De Wailly. Puis en 1982, à la Wallace Collection, il admire les aquarelles qu’en avait réalisées William Chambers, ami de l’architecte. Ce spécialiste du XVIIIe siècle, qui exercera de hautes responsabilités chez Christie’s jusqu’à diriger l’antenne de Londres, devient un fou de la chancellerie. Il remue ciel et terre, sonne à toutes les portes qui ne s’ouvrent pas toujours.
Dans le tout-Paris, le décor de la chancellerie est devenu à la fois un fantasme et un serpent de mer qui ressurgit parfois, embarrassant, un encombrant de luxe qu’on a démonté façon puzzle et qui dort dans des caisses à Montreuil ! Du Vignaud fait réaliser un inventaire, une maquette. Il trouve aussi de l’argent à New York chez les Américains du World Monuments Fund (WMF) pour qui il s’occupe de l’Europe à partir de 2003. C’est alors, vers 2004, que la piste de l’hôtel de Rohan est évoquée. Par qui ? La victoire a de nombreux pères, dit le dicton. Entre les Archives, Bertrand du Vignaud, la Banque de France, les versions ne concordent pas toujours. Passons.

Hôtel de Rohan. © DR

En 2011, une convention tripartite est signée entre le WMF, la Banque de France et les Archives nationales dirigées alors par Hervé Lemoine qui reprend le projet en main et le fait avancer. Le rez-de-chaussée de l’hôtel de Rohan est sanctuarisé. On parvient même à décrocher les autorisations des Monuments de France pour décaisser le sol afin de faire rentrer au chausse-pied ce décor. Un exploit ! En 2015, le WMF se retire après avoir dépensé 2,5 millions d’euros. Le plus grand contributeur de ce projet à 20 millions d’euros sera finalement la Banque de France (14 millions), qui laisse le ministère de la Culture verser le complément et piloter le projet.
Que se serait-il passé si, en 1914, la chancellerie d’Orléans n’avait pas été le premier bâtiment classé ? Le décor aurait-il fini sa course au Carnavalet ? Ce n’est pas certain. Peut-être aurait-il été racheté par des particuliers. Ou éparpillé façon puzzle et jamais remonté. Passants, qui arpentez la rue du Colonel-Driant vers la rue des Bons-Enfants, songez à ces splendeurs qui se dressaient là naguère, songez à leur errance et à leur résurrection, un siècle après leur mise en bière. Et prenez bientôt le chemin de l’hôtel de Rohan !
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Mais je reste fasciné par le Titien aux Frari (Venise) ou les Tiepolo du Château de Wurzburg ou le plafond du Gesù du Père Pozzo, à Rome.
Toujours passionnants vos articles !… Merci beaucoup.
Merci au Point De nous donner à lire ces documents historique
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