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Sur le front du sauvetage maritime des migrants, la mer du Nord est-elle en train de devenir la Méditerranée ? Si le phénomène des traversées est devenu plus mouvant, s’étendant désormais de la frontière belge à la baie de Somme, il semble bien ancré sur le littoral nordiste.
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Faible vent d’est, pas de houle, une eau à 15ºC. Dans la nuit de lundi à mardi, c’est le retour de ce que, sur la côte, on appelle « un temps à migrants ». Des embarcations en détresse sont repérées dans le détroit du Pas-de-Calais par le CROSS Gris-Nez, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage.


Des traversées clandestines au milieu d’une mer du Nord fendue chaque jour par 400 cargos : inimaginables lorsqu’elles sont apparues il y a quatre ans. Depuis, elles n’ont cessé de prendre de l’ampleur.
À bord de leur canot tous temps Jean-Bart II, les Sauveteurs en mer de Dunkerque (SNSM) ont ramené 41 naufragés au port de plaisance du Grand large. De son côté, le patrouilleur des Affaires maritimes, Jeanne Barret, en a débarqués 45 au port de Boulogne-sur-Mer.


Alain Ledaguenel est le président de la Société nationale des sauveteurs en mer de Dunkerque. Il témoigne de la motivation des rescapés : « Quand on croise un regard, ce qui frappe, c’est leur détermination. On sait que, de toute façon, ils recommenceront. »
Ces derniers temps, Alain Ledaguenel a vu « majoritairement des jeunes hommes ». Mais aussi, « de plus en plus, des femmes, des femmes enceintes, et des enfants  ».
Sitôt au port, la plupart des rescapés sautent dans un bus direction les dunes alentour, sans attendre l’arrivée des secours, et des policiers. « Même quand c’est un sauvetage réussi pour nous, on sait que, pour les rescapés, c’est un échec. Les voir repartir mouillés, dans le froid, en pleine nuit, c’est dur à vivre psychologiquement », explique Alain Ledaguenel.
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De ce côté-ci du détroit, les chiffres mettent l’accent sur les tentatives avortées. Le 16 mai par exemple, la préfecture maritime du Nord communique sur 113 migrants ramenés à Calais. Mais le même jour, le home office britannique, qui tient le décompte des passages réussis, annonce 436 migrants arrivés sur son sol dans 9 bateaux. En moyenne en mai, 200 à 300 migrants ont atteint les côtes anglaises tous les deux à trois jours.
« Depuis janvier, c’est plus calme  », note pourtant Alain Ledaguenel. La SNSM dunkerquoise était en fin d’année la plus sollicitée des 5 de la région (1) : 49 interventions pour 738 migrants ramenés à terre. Mais depuis cinq mois, la station de sauvetage la plus septentrionale de France n’est sortie que 5 fois, récupérant 234 migrants.

A Boulogne-sur-Mer, quai Gambetta, arrivée de migrants qui ont été secourus en mer par la SNSM .
A Boulogne-sur-Mer, quai Gambetta, arrivée de migrants qui ont été secourus en mer par la SNSM . - Photo Sébastien Jarry

Même constat d’accalmie apparente dans le Boulonnais où, mi-décembre, avait eu lieu un impressionnant départ depuis la Pointe aux Oyes (entre Wimereux et Ambleteuse). Malgré le retour du printemps, les amas de duvets et de bateaux lacérés qui indiquaient les points de départ prisés se sont raréfiés. « On intervient désormais plus au nord, plus au sud et plus au large », explique Gérard Barron, président de la SNSM de Boulogne-sur-Mer (708 migrants ramenés à terre en 2021).
Car les départs ne cessent pas : depuis le début de l’année, plus de 8000 personnes sont passées. Si le phénomène semble aujourd’hui moins visible sur les côtes les plus proches de l’Angleterre – Calais, Dunkerque et Boulogne ne sont qu’à une vingtaine de kilomètres –, c’est pour mieux s’étendre tout le long du littoral : vers la frontière belge, entre Leffrinckoucke et Zuydcoote, mais aussi jusqu’au Crotoy. De la baie de Somme, le trajet atteint 80 km et peut prendre une dizaine d’heures…
« J’entends encore le cri de désespoir de son frère survivant »
Face au récent renforcement de la surveillance maritime, le phénomène s’éparpille. Avec un air de déjà-vu : les passeurs s’adaptent en mer, comme ils l’avaient fait sur terre. Face au Tunnel sous la Manche hypersécurisé, ils ont continué à s’infiltrer dans les camions, mais en amont, sur les parkings le long de l’autoroute.
La SNSM de Berck, la plus au sud, est ainsi sortie six fois plus qu’en 2021. Le mois dernier, elle a secouru une quarantaine de migrants, piégés par la marée montante en baie d’Authie. Mais à la mi-janvier, elle avait aussi repêché un jeune Soudanais mort d’hypothermie. « J’entends encore le cri de désespoir de son frère survivant », explique Guy Lardé, patron de cette station de plage rompue jusqu’ici qu’au sauvetage des plaisanciers.
1. Le sauvetage en mer est gratuit. La SNSM touche de la part de l’État une subvention nationale et depuis cette année une allocation carburant annuelle de 1 000€ par station.
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Le 24 novembre 2021, un drame avait déjà fait 27 morts au large des côtes de Calais. « Parmi les victimes, il y avait une famille qu’on avait récupérée dix jours avant. Ça nous a laminés  », confie Alain Ledaguenel, ému. Une plainte pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours » a été déposée contre le préfet maritime. L’enquête judiciaire est en cours.
Au lendemain de cette catastrophe, le dispositif de surveillance du Détroit a été musclé. Aujourd’hui, presque chaque nuit, le sommeil des habitants du littoral est troublé par les patrouilles de l’avion Frontex et des drones inspectant les plages. Un escadron de 70 gendarmes est affecté nuit et jour à la surveillance côtière. Ils sont équipés de buggys taillés pour les dunes et de jumelles thermiques.


Deux nouveaux bateaux épaulent aussi les patrouilleurs et les vedettes des douanes, de la gendarmerie et des affaires maritimes, pour assurer une présence permanente en mer.
Le tout est financé en grande partie par les Britanniques qui ont versé 62,7 millions d’euros aux forces de l’ordre françaises sur les côtes.
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Pourtant le trafic ne faiblit pas. Autre indicateur : dans les tribunaux de la région, pas une semaine sans passeur interpellé avec une camionnette débordant de matériel nautique.
Des « long boats », canots de 10 m de long, sont en train de remplacer les zodiacs qu’on appelle « small boats ». Ils arrivent de Chine par conteneurs dans les ports du nord de l’Europe. « Partir en mer avec ça, c’est de l’assassinat, martèle Alain Ledaguenel, ancien marin professionnel. Pour l’équilibrer, les passeurs mettent les femmes et les enfants au milieu. Quand ça chavire, ça se plie : ils se retrouvent pris au piège… »
« Quand vous vous retrouvez avec un nouveau-né dans les bras qui n’a qu’un simple lange mouillé, vous comprenez ce que le mot détresse veut dire… »
À Berck, Guy Lardé souligne aussi « le problème humain  » de l’accueil à terre des rescapés : « Quand vous vous retrouvez avec un nouveau-né dans les bras qui n’a qu’un simple lange mouillé, vous comprenez ce que le mot détresse veut dire… » L’État a bien fait quelques tentatives (un centre d’accueil à Merlimont, un ponton dédié à Boulogne-sur-Mer), mais rien à faire : ce serait incompatible avec sa doctrine – « pas de point de fixation ». Des Sauveteurs de la SNSM fournissent aux naufragés des vêtements secs qu’ils ont collectés…
Un manque de solution humanitaire qui, face à la militarisation du détroit, fait dire à des associatifs venant en aide aux exilés que l’État a choisi « les muscles plutôt que le cœur  ». À Dunkerque, Alain Ledaguenel prévient : « Gare à l’été et ses nouveaux records qui s’annoncent tandis que les personnels de l’État vont prendre leurs congés et qu’il faudra penser à l’entretien des bateaux… »

De janvier à mai 2022
756
traversées ou tentatives recensées de janvier à mai 2022. 432 tentatives ont été interceptées (soit 61 %) et 274 traversées sont arrivées en Grande-Bretagne (soit 39 %). On déplore 1 mort. Plus de 1 600 personnes ont été sauvées.

8 000

personnes ont déjà fait la traversée cette année : c’est plus du triple par rapport à la même période l’an dernier. En 2021, 28 000 migrants avaient rejoint l’Angleterre : c’était déjà trois fois plus qu’en 2020.
Sources : Préfecture du Pas-de-Calais et préfecture maritime du Nord
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