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DISPARITION – Le doyen des galeristes parisiens est mort mercredi à 93 ans des suites d’une longue maladie. Francis Bacon, Lucian Freud, Giacometti, Balthus, Sam Szafran, il a traversé l’histoire de l’art depuis ses débuts en 1957. Portrait d’un autre temps.
Claude Bernard et Saint-Germain-des-Prés, c’est la même chose. Peu importe le jour et l’heure où vous passiez au 5, rue des Beaux-Arts, dans ce VIe parisien qui lui allait comme un gant, il était rare de ne pas le trouver là, assis comme au spectacle, courtois, rapide, curieux de ce vent du dehors qui entrait avec vous. Le monde, ses talents, ses passions, ses défauts, les amis, leurs secrets d’âme, leurs rêves inassouvis, l’intéressaient. Qu’importent la santé et l’âge, Claude Bernard était impeccable, dandy autant par goût que par discipline, dans ses complets parfaits à la palette audacieusement choisie qui étoffaient sa minceur et trahissaient son besoin de chaleur. Claude Bernard était le seigneur de ses vernissages, bondés, bien élevés, peuplés de connaisseurs, de musiciens, de muses et de fans. Dans la surface restreinte de son royaume immuable, œuvrait vite et bien son fier équipage : Caroline Vossen, la fidèle directrice de sa galerie, et Elizabeth Mabin, autre pilier de son petit monde lettré, poli, comme inaccessible à la vulgarité du temps.
Difficile de décrire Claude Bernard en stricts faits biographiques : il les évitait soigneusement. Tout ce qui le rattachait au monde réel, à l’enfance, à avant, était tabou. Il s’était choisi un pseudonyme, comme un nom d’artiste. Sa vraie vie commençait avec l’art. Cet homme secret à la douceur orientale ne cachait pourtant pas sa sœur, Nadine Haïm, petit format au merveilleux sourire qui lui avait fait rencontrer Francis Bacon. Prétextant une mémoire en pointillé, il refusait d’en dire plus, esquissait toute question trop personnelle ou précise sur sa vie, comme sur tous les grands artistes de sa brillante carrière pour revenir à l’art de la conversation, terrain vaste comme le monde où tous les caractères étaient les bienvenus.
Il ne parlait pas de son âge, question du sphinx qu’il laissait en suspens, par coquetterie, superstition ou sens des affaires. Il était né en octobre 1929. «La Galerie Claude-Bernard a été fondée en 1957 par son actuel directeur, M. Claude Bernard. Depuis cette date, la Galerie est au 5-7, rue des Beaux-Arts à Paris, au centre de Saint-Germain-des-Prés et proche de l’École Nationale des Beaux-Arts. À ses débuts, la Galerie était spécialisée dans la sculpture contemporaine», dit simplement le site de sa galerie qui n’énumère pas ses conquêtes ni ses trophées.
Sa curiosité était énorme, comme sa générosité, comme sa sévérité aussi. »
«C’était un grand gentleman, vraiment un seigneur de l’art, le prince narquois comme l’avait qualifié un observateur, ce qu’il prenait plus comme une critique que comme un compliment», nous confie, très ému, Ronan Barrot, peintre fougueux comme Courbet que Claude Bernard avait pris sous son aile depuis 2005. «Il m’avait vu dans une exposition, il m’a cherché, est venu à ma rencontre dans mon atelier. Sa curiosité était énorme, comme sa générosité, comme sa sévérité aussi. Il en imposait par son élégance innée. Je me souviens d’un voyage à Leipzig avec lui à l’hiver 2014, pour ma première exposition en Allemagne. Toque de renard roux et tweed assorti, il faisait s’arrêter les jeunes artistes dans l’enceinte de la Leipziger Baumwollspinnerei devenue cité des artistes. Ils lui demandaient respectueusement de le prendre en photo ! Il s’exécutait gracieusement d’un sourire».
Ave un sens du théâtre, il savait transformer un mauvais jour en jour mémorable. Transformer l’enterrement de son ami Sam Szafran, en si petit comité, au cimetière juif de Bagneux, en septembre 2019, en ode au peintre haut en couleur. Un splendide bouquet de feuilles de philodendron, luisantes et vernissées, attendait. Chacun pouvait y cueillir une feuille échancrée en souvenir du disparu et la déposer sur le cercueil de celui qui en avait fait des jungles de pastels. « Claude Bernard, c’était un regard, un goût immédiatement reconnaissable pour une peinture figurative subtile et mélancolique : Francis Bacon, Balthus, Lucian Freud, Sam Szafran… Un dandy joyeux, malicieux et élégant. Il meurt sur scène, comme Molière. Jusqu’à la fin, il a ouvert les portes de sa galerie aux amateurs, aux amis. Avec lui, disparaît une mémoire vaste, romanesque, celle de ses histoires avec les artistes, une vision aiguë et spirituelle», témoigne Cécile Debray, l’une des rares des institutions à s’être déplacée pour les obsèques de Sam Szafran, celle qui œuvra pour que le Musée de l’Orangerie lui rende hommage (Sam Szafran. Obsessions d’un peintre, jusqu’au 16 janvier 2023).
Il fut l’un des meilleurs regards de sa génération, repérant, avant les autres, les grands artistes avec un instinct sans faille. »
Avec Claude Bernard, l’histoire de l’art perd un témoin de premier rang, un acteur du marché qui croyait à la peinture comme cela ne se fait plus, de Jacques Truphémus à Xavier Valls le Catalan, père de Manuel, d’Antonio Segui l’Argentin à Ziad Dalloul , le Syrien.
«L’homme était l’élégance et la culture incarnées. Il s’est tenu à l’écart des modes, a défendu au mépris de celles et ceux qui critiquaient ses choix, les artistes qu’il aimait pendant quelque 70 ans et fut sans doute l’un des derniers à porter une certaine idée de la peinture, confirme Bernard Blistène, ancien directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou. «Il est resté présent jusqu’à ces derniers jours et je garde de mes dernières visites dans sa galerie le souvenir d’échanges passionnants. Non sans un humour acerbe et une détermination sans faille, il voyait des artistes qu’il avait soutenus contre vents et marées, trouver enfin une écoute. En témoigne parmi tant d’autres, tout récemment encore Maryan et Szafran, deux de ses héros dont les œuvres apparaissent aujourd’hui en majesté. Avec lui disparaît un mythe du marchand de tableaux, fort rare de nos jours.»
Stratège et silencieux, Claude Bernard le frugal organisait chez lui des dîners d’amis, où le menu était gourmand, le plan de table magistral, le décor composé avec art dans une douce accumulation sans chaos, les invités censés briller sans trop de peine (un sujet banni : l’argent). Voire des apartés plus bohèmes pour les farouches ou les élues chez Caviar Kaspia, place de la Madeleine, autour d’une vodka au poivre. Lui qui faisait des cures de plein air à Quiberon, sa gym chaque jour, y touchait à peine, mordillait dans son saumon fumé, écoutait les volubiles, comme à l’affût d’une idée nouvelle. « La disparition de Claude Bernard m’attriste profondément. C’est un tout un pan de l’histoire de l’art et des galeries parisiennes qui disparaît avec lui. Il fut l’un des meilleurs regards de sa génération, repérant, avant les autres, les grands artistes avec un instinct sans faille. Cet homme élégant, sensible fut le galeriste de Bacon et de Giacometti, fréquenta Leiris, Duchamp, Lacan, Boulez, Richter et tant d’autres», rappelle son amie Chantal Colleu-Dumond, directrice du domaine de Chaumont-sur-Loire où elle a exposé nombre de ses artistes. «Il était à la fois fidèle en amitié et toujours curieux de nouvelles rencontres. Il faisait preuve d’une extrême attention à l’égard de ses artistes. C’était aussi un hôte exceptionnel, attentif à tous les détails, aimant que la musique et l’esprit règnent dans ses maisons. Les fêtes qu’il organisait à Venise, à Paris ou à la Besnardière étaient empreintes d’une convivialité rare et raffinée. Cet homme exceptionnel laissera derrière lui une communauté nostalgique de ces moments suspendus où s’alliaient toutes les composantes d’un monde exigeant et cultivé aujourd’hui en voie de disparition ».
Passer en week-end chez Claude Bernard en Touraine, c’était découvrir un autre monde, plein de références et de fantaisie, de livres par centaines et d’objets par familles complètement éclectiques. Un monde coupé en deux par une toute petite route sans aucune voiture. D’un côté, son domaine privé avec sa chambre entre cellule de moine et donjon, son patio envahi de philodendrons depuis un séjour de Sam Szafran. De l’autre, la demeure des invités, son jardin si français, ses sculptures d’Ipoustéguy, sa profusion de surprises pour l’œil, de grandes choses, de petites choses, les foulards d’après Picasso redevenus des tableaux, les rideaux en fourrure pâle, les chambres avec unité de tons comme dans un film en technicolor des années 1950, des salons douillets où il faisait bon se réunir. Avant la grand-messe de la musique, sa deuxième passion, autour de son ami le pianiste Alain Planès qui se mettait au clavecin et plongeait les convives dans un silence religieux.
«Juste quelques mots: la générosité, le cœur, l’humour. Cette élégance, ce refus du laisser-aller, cette fidélité. Cette attention aux autres. Et puis l’œil qui brillait, souriait, scintillait. Toujours là dans son costume trois pièces. Attentif, discret. Si fin, si subtil. Je l’avais égratigné – Monsieur Claude — il en avait souri», salue Bertrand de Saint-Vincent du Figaro qui exerça sa plume sur ce beau personnage. «Tant de souvenirs, de déjeuners, dîners raffinés. Il ne se mettait jamais en avant. Et bien sûr l’anecdote du quart de champagne qu’il disait boire chaque jour pour se préserver du Covid. Un grand monsieur qui laisse un grand vide».
Claude Bernard savait lire entre les lignes, goûta peu que l’on remarquât son «œil de renard», synonyme du guetteur en affaires et pour lui de traîtrise, ni qu’on le rejette vers la date de péremption. «Toujours, on me demandait son âge !», se souvient Ronan Barrot. «Je répondais : il a vingt ans ! Ou bien : il a un an de plus que Clint Eastwood !». Une façon de dire que la familiarité n’était pas son langage.
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anonyme 116521
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Mort de Claude Bernard, le prince narquois de l’art
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