Dans un arrêt en date du 15 juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que l’opération de crédit conclue en méconnaissance de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier n’encourt pas la nullité pour cette seule violation.
La question du monopole bancaire (M. Mignot, J. Lasserre-Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Précis, Dalloz, 2021, p. 43, nos 58 s.) peut entrer en collision avec la théorie générale des obligations, notamment pour les opérations de crédit. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 15 juin 2022 en est un très bon exemple. Il s’inscrit, dans une certaine mesure, en complémentarité avec un autre arrêt cette fois-ci rendu par la première chambre civile il y a quelques mois (Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 21-12.045, Dalloz actualité, 12 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 702 ) où un contrat avait été annulé en raison de la violation d’une règle déontologique. Dans l’arrêt commenté aujourd’hui, c’est la méconnaissance de la règle de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier qui était le point de cristallisation du débat, à savoir la disposition selon laquelle il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel. Pour plusieurs raisons, la solution donnée dans l’arrêt du 15 juin 2022 se démarque de la décision de la première chambre civile rendue il y a quelques mois, interrogeant utilement et implicitement la notion de licéité du contenu du contrat.
Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont simples. Aux termes d’un contrat en date du 19 novembre 2012, une société spécialisée dans les deux-roues s’engage à acheter chaque année pendant cinq ans une certaine quantité de produits (des lubrifiants) lui ouvrant droit à des remises. La société venderesse consent à son partenaire économique une avance d’un montant de 30 000 €, amortissable en cinq annuités de 6 833 € chacune. Le gérant de la société de deux-roues et son épouse se rendent cautions solidaires des engagements ainsi souscrits. Mais voici que ladite société est mise en liquidation judiciaire. La société venderesse des produits lubrifiants pour deux roues assigne les cautions en paiement de la somme restant due au titre de l’avance sur remises. La Cour d’appel de Paris considère qu’une opération de crédit avait été consentie au sens de l’article L. 313-1 du code monétaire et financier en violation de l’interdiction de l’article L. 511-5 du même code au sujet des 30 000 € correspondant aux avances consenties. Pour en justifier la nullité, les juges du fond avancent que la société créancière a précisé pratiquer habituellement ce type d’opérations auprès de sa clientèle. Le contrat souscrit en violation du monopole bancaire est donc annulé, sur son volet relatif au crédit. La société venderesse se pourvoit en cassation. Elle considère qu’il n’y avait pas de crédit au sens du code monétaire et financier mais simplement des délais ou avance de paiement. En d’autres termes, il n’existait pas en l’espèce une opération purement financière mais un simple complément indissociable du contrat d’approvisionnement exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle. Elle fait également grief à l’arrêt, d’une part, de ne pas avoir mis dans la cause le débiteur principal ou son liquidateur mais aussi, d’autre part, d’avoir annulé le contrat alors que le monopole bancaire n’implique pas la nullité des contrats conclus en violation de cette seule règle.
L’arrêt est finalement cassé notamment en ce qu’il n’a pas appelé à l’instance le liquidateur de la société débitrice principale et en ce qu’il a annulé le contrat pris en violation du monopole bancaire de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier. Sur le premier point, il n’y a aucune originalité à noter, il ne s’agit que d’une application de l’article 14 du code de procédure civile. Sur la question du monopole bancaire et de ses conséquences, l’arrêt est plus original : nous le commenterons à ce sujet, qui explique d’ailleurs sa publication au Bulletin.
Afin d’analyser la solution, nous examinerons la qualification de l’opération de crédit avant d’étudier sa survie face à la violation de la règle du code monétaire et financier.
La première difficulté consistait à savoir si les faits à l’origine du pourvoi signaient une opération de crédit ou non et ce afin de savoir si le monopole bancaire de l’article L. 511-5 du code monétaire et financière avait été violé. Pour rappel, avait été consentie une avance d’un montant de 30 000 € remboursable et comprenant des annuités. Afin de qualifier l’opération, la lecture de l’arrêt attaqué est d’une grande aide ici : la Cour d’appel de Paris avait remarqué l’intitulé du contrat litigieux nommé par les parties « avance lubrifiants montant du prêt » (nous soulignons). Certes, le juge n’est pas lié par la dénomination de l’acte mais il s’agissait d’un indice sur la volonté des parties. Ce prêt était accompagné d’un « taux d’intérêt élevé » et le contrat faisait référence au taux effectif global « mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ». Voici un certain nombre d’éléments pouvant guider vers une qualification d’opération de crédit (§ n° 6 de l’arrêt).
L’argumentation développée par le demandeur n’a pas séduit la chambre commerciale. Celui-ci énonçait que l’avance constituait un complément indissociable du contrat d’approvisionnement exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle. La Cour de cassation considère l’argument comme parfaitement inopérant et c’est donc à bon droit que les juges du fond ont qualifié l’opération de crédit. On retiendra de la motivation du paragraphe concerné que peu importe ce que les parties avaient dans leur esprit, l’opération de crédit était constituée par la réunion des indices précédemment cités.
Nul doute que la solution n’encourt que peu de critiques sur ce point. Il n’y avait ici ni délais de paiement ni perception d’avances de paiement permettant de rejeter la qualification d’opération de crédit. Les juges avaient enfin remarqué que « la société a précisé pratiquer habituellement ce type de prêts auprès de sa clientèle ». Autant dire que la violation de l’article L. 511-5 du code de monétaire et financier – le monopole bancaire en terme d’opération de banque – était consommée.
Mais, pour quels effets ? C’est ici que le bât blesse selon la chambre commerciale.
D’une manière plus intéressante encore, la chambre commerciale vient préciser que « aux termes de ce texte (ndlr : l’art. L. 511-5 C. mon. fin.), il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel. Le seul fait qu’une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette interdiction n’est pas de nature à en entraîner l’annulation » (nous soulignons). En d’autres termes, la seule violation de la règle du monopole bancaire ne peut pas suffire à annuler le contrat. Elle reprend, pour ce faire, une jurisprudence constante de l’Assemblée plénière qui avait précisé que « la seule méconnaissance par un établissement de crédit de l’exigence d’agrément, au respect de laquelle l’article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du code monétaire et financier, subordonne l’exercice de son activité, n’est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu’il a conclus » (Cass., ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11.725, Axa Bank (Sté), D. 2005. 836 , obs. X. Delpech ; ibid. 785, tribune B. Sousi ; ibid. 2006. 155, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2005. 388, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 400, obs. D. Legeais ). On remarquera la motivation calquée qui présente pour similitude une subtilité : la seule violation de la règle ne suffit pas mais elle peut être un des éléments constitutifs du vice de formation de l’acte.
Malgré la jurisprudence constante, il reste possible de noter deux types d’arguments contraires en pareille situation.
D’une part, la nullité sanctionne un problème de formation du contrat. Or, en l’espèce, le contenu du contrat pourrait être au moins atteint d’un problème de licéité. Ce dernier serait le résultat d’une atteinte à une règle fondamentale du crédit, à savoir ici le monopole bancaire de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier. Dans un arrêt récent rendu par la première chambre civile (Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 21-12.045, préc.), la Cour de cassation avait pourtant précisé que la violation d’une règle de déontologie suffisait à annuler le contrat. Existe-t-il alors une hiérarchie dans laquelle la violation de certaines prescriptions légales entrainerait la nullité du contrat conclu en méconnaissance de la règle tandis que d’autres violations ne suffiraient pas ? La question se discute tant elle interroge la théorie générale du contrat. 
D’autre part, l’annulation du contrat pour la seule violation du monopole bancaire viendrait sacrifier sur l’autel du monopole la force obligatoire du contrat entre les parties. La solution qui viserait à annuler le contrat pourrait alors manquer de pragmatisme et aboutirait à une libération du débiteur bien peu compréhensible pour le créancier attendant le remboursement des sommes prêtées. C’est sans doute cette seconde argumentation que la chambre commerciale a voulu faire triompher, peut-être au détriment de la licéité du contrat en suivant la position de l’Assemblée plénière de 2005. En tout état de cause, il s’agit pour l’heure de la ligne directrice de la Cour de cassation depuis un certain nombre d’années.
En somme, pas de nullité pour la seule violation du monopole bancaire de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier. Le résultat reste l’absence de véritable conséquence civile permettant l’anéantissement de l’acte juridique conclu en violation de prescriptions légales pourtant claires et connues. La solution peut étonner mais elle s’inscrit dans une certaine forme de pragmatisme, peut-être légèrement à rebours d’une lecture classique du droit des contrats.

© DALLOZ 2022

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