« Tu rentres chez toi et ton fils ne te reconnaît même pas », confie Makhtar Diakhate, un pêcheur sénégalais, dans le port espagnol de Marín, dont l’un des chalutiers a fait naufrage au large du Canada. C’est de ce port de Galice (nord-ouest de l’Espagne) qu’était parti le « Villa de Pitanxo », qui a sombré, dans la nuit de lundi à mardi, dans les eaux glacées de l’Atlantique nord, à 450 kilomètres des côtes de l’île de Terre-Neuve.
Sur les 24 membres de l’équipage, seuls trois ont survécu. Neuf corps ont été retrouvés et douze marins sont portés disparus dans la pire tragédie qu’ait connue le secteur de la pêche espagnole en près de 40 ans.
Sur le port de Marín, les pêcheurs échangent sur leurs conditions de travail et la médiocrité de leurs salaires, dans une région par où transite 10 % du poisson frais acheminé dans l’Union européenne, selon les autorités locales.
« C’est très dur, très pénible », commente Jerónimo Martínez, 51 ans, qui boit un café au « Castro », un bar du quartier de la « Virgen del Mar » (Vierge de la Mer) où les pêcheurs ont leurs habitudes.
« Avant, au moins, on te payait » correctement, alors que « maintenant, on ne te paye presque rien », se lamente-t-il.
L’un de ses collègues évoque les 1 500 euros nets par mois que toucherait en moyenne un pêcheur.
« Tu t’en vas si longtemps que si tu pars quand ton enfant vient de naître, quand tu reviens, il fait sa première communion », plaisante M. Martínez, qui a deux enfants de quatre et trois ans.
Il explique qu’il lui arrivait de partir pour des campagnes de six mois de pêche à la morue près de Terre-Neuve jusqu’à ce qu’une récente opération pour une hernie l’oblige à s’arrêter pour l’instant.
« Chez la majorité des pêcheurs, le chef de famille, c’est la mère, parce que c’est elle qui est à la maison. Les pères, eux, sont tous en mer », poursuit Jerónimo Martínez, qui a perdu la phalange d’un doigt lors d’un accident à bord.
Makhtar Diakhate, 64 ans, originaire de Dakar et qui vit depuis 2004 à Marín, raconte qu’il ne voyait qu’une fois par an sa femme et ses deux fils, restés au Sénégal. « Je me sentais mal car, parfois, il y avait des soucis (à la maison) et je ne pouvais pas aider », raconte Makhtar, qui a travaillé toute sa vie sur des bateaux de pêche et est désormais retraité.
À Marín, comme dans les autres ports galiciens, travaillent des pêcheurs d’autres pays africains, notamment le Ghana, mais aussi d’Amérique du Sud, en premier lieu le Pérou, car beaucoup de jeunes de la région ne veulent plus faire ce genre de travail, affirme Fran Sola.
L’équipage du « Villa de Pitanxo » était composé de 16 Espagnols, cinq Péruviens et trois Ghanéens.
« Les jeunes Espagnols préfèrent être maçons : ils gagnent la même chose, voire plus, et, à 21 h, ils sont chez eux, avec leur famille », explique Fran Sola, 49 ans, qui a laissé tomber la pêche à l’âge de 26 ans et travaille à présent comme mécanicien.
En mer, « tu dois travailler tous les jours, faire 60 heures par semaine, il n’y a aucun respect du salarié, tu fais ce que le patron te dit de faire », poursuit-il.
« Il y a vingt ans, tu allais en mer et, cinq ans après, tu pouvais t’acheter une maison et une voiture » mais, maintenant c’est fini, assure-t-il.
« Le travail en mer est un peu dangereux mais il faut le faire », renchérit John Okutu, dont le neveu Edemon est l’un 12 membres d’équipage du « Villa de Pitanxo » portés disparus. Plusieurs membres de cette famille ghanéenne travaillent à Marín dans le secteur de la pêche.
S’ils insistent tous sur la difficulté du travail, ces marins sont d’accord pour dire que des tragédies comme celle du « Villa de Pitanxo » sont maintenant rarissimes, notamment grâce aux progrès permis par la technologie.
« Tu as plus peur qu’il t’arrive quelque chose sur le bateau », lâche Jerónimo Martínez, qui rappelle cependant qu’« on ne peut jamais être sûr de rien car la mer, c’est la mer ».

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