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Avec la multiplication de l’inflation et de la hausse du coût de l’énergie, 2 millions de Portugais, sur une population de 10 millions, ont atteint le seuil de pauvreté. Les associations d’aide aux plus démunis croulent sous les appels au secours.
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« Sans les repas distribués ici, je ne sais pas comment on ferait » : au Portugal, le retour de la pauvreté
Durement touché par le Covid, le Portugal est passé de la 13e à la 8e place des pays les plus pauvres d’Europe.
JUAN CARLOS LUCAS/NurPhoto via AFP
Elle est coquette : son joli chemisier aux tons bleus est mis en valeur par un pendentif en forme de cœur. Rosa s’est assise à une table de l’annexe du réfectoire de « Voz do Operário » (Voix de l’ouvrier). Cette association dispose de bâtiments dans le quartier de Graça, au cœur de Lisbonne. Rosa a du temps et elle le prend pour raconter sa vie. « Je ne suis pas à la rue, heureusement ! Je bénéficie d’un logement au loyer aidé qui me coûte 94 € par mois. C’est petit mais correct : il y a une chambre pour mon frère et je dors dans le salon. »
D’une voix douce et posée, Rosa raconte ses maigres conditions de vie. «J’ai dû anticiper ma retraite et aujourd’hui, à 67 ans, je ne touche que 400 € par mois. Mon frère, qui souffre d’une grande dépression et dont je m’occupe, reçoit 350 €. Sans les repas distribués ici, je ne sais pas comment on ferait. Ils sont copieux et, avec les restes, on arrive à faire un troisième repas pour l’un d’entre nous. » Malgré les apparences qu’elle maintient, Rosa et son frère de 58 ans ne survivraient pas sans l’aide alimentaire de Voz do Operário.
Voz do Operário, c’est aussi une école, et les petits de la maternelle arrivent pour déjeuner. La cuisine de la cantine est ouverte sur une petite salle qui jouxte le réfectoire. Des adultes tendent une assiette, remplissent un plateau et s’assoient pour le repas. «C’est une de nos particularités. Nous invitons les personnes démunies à déjeuner avec nous. C’est une manière de lutter contre l’isolement et la discrimination, alors que souvent on ne leur adresse pas la parole », explique Rita Governo, l’assistante sociale chargée de l’aide alimentaire.
L’association est une institution privée de solidarité sociale (IPSS), liée au réseau caritatif portugais. La sécurité sociale finance l’aide alimentaire de l’association pour 40 personnes. «Cette aide a commencé en 2012 avec la crise économique provoquée par le krach financier aux États-Unis. Elle était vouée à disparaître mais il y a eu le Covid. Maintenant, c’est l’inflation et le retour des difficultés économiques », commente avec fatalité Rita Governo.
Le Covid a aggravé la pauvreté au Portugal, qui est passé de la 13e à la 8e place des pays les plus pauvres en Europe. « Aujourd’hui c’est du poisson et j’ai de la soupe pour ce soir. Mais souvent je mange froid : je n’ai rien pour réchauffer les plats », dit Carlos, chargé d’un grand cabas en plastique pour y ranger son repas encore chaud, les fruits et le pain qui l’accompagnent. Proche de la soixantaine, il touche une pension d’invalidité de près de 400 €.
Selon Rita Governo, les conditions de vie de ceux que l’on désigne comme les « nouveaux pauvres » sont de plus en plus difficiles. « Les expulsions se multiplient sous la pression de l’immobilier et du tourisme. Les personnes seules et âgées doivent se rabattre sur des chambres sans accès à une cuisine et sans même un réchaud. Certains propriétaires peu scrupuleux augmentent les prix car ils savent que c’est la sécurité sociale qui s’acquitte du loyer de ces indigents. Cela fait huit ans que je travaille à Voz de Operário et je constate qu’aujourd’hui le loyer d’une chambre est équivalent à celui d’un appartement à mon arrivée », s’alarme l’assistante sociale.
L’inflation, qui a atteint 10,1 % en octobre, rend les biens alimentaires de base inaccessibles ou presque. Le lait, le beurre, le pain, le poisson ont augmenté de 15 à 30 %. La mairie de Lisbonne a décidé d’attribuer une enveloppe supplémentaire de 4,4 millions d’euros d’ici à 2023. «Nous croulons sous les appels au secours. Je m’inquiète avec l’arrivée de la saison froide et la hausse du coût de l’énergie », dit encore Rita Governo. Dans le réfectoire, la calme et élégante sexagénaire Rosa confie : « Je ne sais pas ce que nous allons devenir. Et j’ai peur. »
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Selon les données récemment divulguées par Eurostat, le Portugal est le pays de l’Union européenne où la pauvreté a le plus augmenté en 2021.
Il arrive derrière la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce avec 256 000 pauvres de plus qu’il y a un an, en raison de la baisse des revenus des ménages durant la pandémie.
La pauvreté touche désormais 18,4 % de la population, soit pratiquement deux millions de Portugais sur 10 millions.
Le salaire minimum fixé à 705 € brut par mois (il passera à 765 € en janvier 2023) est insuffisant pour pouvoir se loger à Lisbonne et ses environs.
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