C’est une vidéo, face caméra, qui a fait le tour des réseaux sociaux. “A partir de 2025, il ne sera plus possible d’être propriétaire de l’entièreté d’un logement”, avertit une femme en chemise blanche.
“L’Etat projette de mettre en France le même système de propriété qui est actuellement à Londres, c’est-à-dire que l’Etat serait propriétaire de tous les terrains, tous les logements, toutes les habitations, tous les biens fonciers afin que nous, acquéreurs, nous ne soyons plus que des acquéreurs propriétaires d’un bail mais plus du logement et ce pour 99 ans. (…) Sauf que pour tous les propriétaires d’un logement jusqu’à aujourd’hui, il semblerait que l’Etat en soit automatiquement propriétaire”, poursuit cette internaute.
L’extrait, accompagné d’un message indiquant qu’il s’agit d’une “nouvelle loi sur la propriété”, a été partagé plus de 13.000 fois sur Facebook depuis le 12 avril, 3.700 fois sur Twitter, et des milliers de fois sur TikTok.
 
 
Cette vidéo a été postée, à l’origine, sur TikTok le 1er avril par le compte “Actu.immo” qui délivre quotidiennement des conseils immobiliers. Ces images étaient accompagnées de la légende “les dates sont toujours très importantes”, et d’un émoji de poisson.
Contactée le 20 avril, la femme qui s’exprime sur ces images a confirmé à l’AFP qu’il s’agissait d’un poisson d’avril. Mais rapidement, sa vidéo a été reprise, sans la légende, et postée sur plusieurs autres plateformes.
Elle a expliqué qu’elle regrettait que sa vidéo “humoristique ait été sortie de son contexte pour faire croire qu’il s’agissait d’une vraie disposition” qui risquerait de voir le jour. Un internaute a ainsi raconté sur la radio NRJ avoir pris cet avertissement au pied de la lettre, craignant de se voir exproprié.
Comme lui, de nombreux internautes ont exprimé leurs craintes en citant chaque fois des dispositions qui seraient mises en place dès 2025 par la “loi Lagleize“.
Cette proposition de loi “visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français” a été déposée le 16 octobre 2019 par le député MoDem de Haute-Garonne Jean-Luc Lagleize. Elle n’a pas été adoptée à ce jour et n’est jamais entrée en application.
En 2019, l’élu centriste avait été missionné par le Premier ministre Edouard Philippe pour trouver des solutions afin d’endiguer le prix du foncier, c’est-dire les terrains sur lesquels sont construits les logements, et ainsi faciliter l’accès à la propriété pour les Français.
“J’ai fait une étude partout en France pendant un peu plus de 6 mois. Dans le constat, il y avait que la part du terrain dans la construction d’un immeuble, donc la part du terrain dans le prix de votre appartement, représente entre 30 et 55% du prix. Plus le terrain est cher, plus il prend une part importante, donc l’idée était de dissocier le prix du terrain du prix de l’appartement et de sa construction”, a-t-il expliqué le 19 avril à l’AFP.
La mesure phare de ce texte visait donc à séparer le foncier, c’est-à-dire le terrain sur lequel a été construit un logement, du bâti, ses murs, afin de réduire le prix d’un logement dans les zones tendues et favoriser la mixité sociale.
En effet, les promoteurs immobiliers incluent généralement dans leurs prix de mise en vente le montant du terrain qu’ils ont acheté.
Résultat : alors qu’en 1973 parmi les jeunes ménages modestes, environ un sur trois (34%) était propriétaire, ils n’étaient plus que 16% dans les années 2010.
Pour répondre à cela, un nouveau modèle d’accession sociale à la propriété a été introduit par la loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), voté en 2014 et accéléré par la loi pour la croissance et l’égalité des chances économiques (ELAN), adoptée en 2015 qui ont permis le développement du bail réel solidaire (BRS).
Concrètement, des organismes à but non lucratif, appelés organismes de foncier solidaire (OFS), achètent et gèrent des terrains, bâtis ou non, pour “constituer un parc pérenne d’accession à la propriété”, explique le gouvernement sur son site.
Il est ensuite possible, lorsqu’on cherche à acquérir son premier logement et que c’est une résidence principale, d’acheter les murs d’une habitation mais pas le terrain sur lequel il est construit en reversant quelques euros par mètre carré chaque mois à l’OFS qui a acquis le terrain. Le bail peut aller de 18 à 99 ans et il est reconductible.
En contrepartie, il y a des obligations : un bien revendu ne peut l’être qu’à un acheteur sous conditions de ressources sociales et la plus-value est encadrée. En cas de décès, le logement est légué aux héritiers qui peuvent l’habiter uniquement si eux-mêmes sont sous plafond de ressources, sinon ils doivent le revendre à des personnes sous plafond de ressources ou bien à l’OFS.
En 2019, France 3 avait réalisé un reportage à Lille et expliquait que ce dispositif permettait d’économiser 40% à l’achat d’un logement.
Rennes, Lyon, Bordeaux, Paris et la banlieue parisienne ont également proposé des logements beaucoup plus abordables ces dernières années grâce aux OFS.
Cependant, ce type de bail est, à ce jour, uniquement réservé aux ménages modestes sous plafond de ressources fixés par la loi.
“Ma proposition de loi visait donc à étendre cette possibilité pour permettre à des Français qui ne sont pas sous conditions de ressources sociales de pouvoir, eux-aussi, bénéficier de ce système s’ils le veulent en créant des organismes de foncier libre (OFL) exactement sur le même modèle que les organismes foncier solidaire”, a expliqué le député à l’AFP.
Ce texte a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 novembre 2019. La proposition de loi est ensuite passée devant le Sénat, qui y a apporté de nombreuses modifications, mais n’est pas revenue à l’Assemblée nationale depuis. Cette loi n’est jamais entrée en application et doncaucune de ses mesures ne pourra, à ce stade, s’appliquer en 2025, contrairement à ce qui a été affirmé dans la vidéo virale.
Enfin, concernant les craintes d’expropriation, maintes fois soulevées sur les réseaux sociaux, cela n’est pas justifié puisque cette loi ne vise pas les personnes déjà propriétaires mais concernerait de nouvelles constructions d’immeubles.

Capture d’écran prise sur Facebook le 25/04/2022


L’élu a réalisé une vidéo en 2020 pour répondre aux infos qui circulaient au sujet de son texte.
Ce texte, s’il venait finalement à être adopté, offrirait la possibilité, pour les personnes aux revenus modestes le souhaitant “d’acheter leur résidence principale uniquement et des appartements, non des maisons, par ce biais. Mais il sera toujours bien évidemment possible de devenir propriétaire du foncier et du bâti si les gens le souhaitent et ont suffisamment d’argent pour”, pointe Jean-Luc Lagleize.
“Le Conseil constitutionnel ne laisserait pas passer un texte qui reviendrait à spolier une personne de ses biens. Si l’état ou une collectivité territoriale veut récupérer la propriété d’une personne, il doit préempter ou exproprier et le juge a un pouvoir de contrôle de ces opérations et les biens sont achetés par l’Etat ou une collectivité”, a souligné le 20 avril auprès de l’AFP Ganaëlle Soussens, avocate spécialisée en droit immobilier à Paris.
Aux termes de l’article 17 , la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose ainsi que “la propriété étant un droit inviolable et sacré” et que “nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité”.

Capture d’écran de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen


Avant d’être promulgué, le texte du député “devra être retravaillé” a expliqué le 19 avril Jean-Luc Lagleize, soulignant que plusieurs de ses mesures ont, depuis 2019, été reprises dans d’autres textes, comme la loi 3DS. L’une d’elles permet par exemple aux “organismes de foncier solidaire à titre accessoire de vendre des appartements à des personnes qui ne sont pas sous conditions de ressources”, la tranche à qui ce député souhaitait étendre le dispositif.

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