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Comment répondre au chantage nucléaire du Kremlin ? Ignorer purement et simplement les maîtres chanteurs serait s’exposer à davantage de surenchère. Face à un chantage, répondre n’est pas céder. Il s’agit tout au contraire d’avertir les maîtres chanteurs des risques encourus, afin qu’ils fassent le bilan des avantages et des inconvénients du passage à l’acte. Cela participe de la dissuasion, qui est ni plus ni moins une forme de chantage nucléaire. Tous les pays dotés, officiellement ou non, le pratiquent. La nouveauté avec le chantage russe, c’est qu’il est explicite, alors que l’efficacité de la dissuasion réside précisément dans le non-dit.
A ce titre, pourquoi le chef des armées françaises estime-t-il nécessaire de déclarer (mercredi 12 sur France 2) que « notre doctrine repose sur ce qu’on appelle les intérêts fondamentaux de la nation, et ils sont définis de manière très claire » ? Ce faisant, il semble commettre au moins deux erreurs. D’abord, les « intérêts fondamentaux de la nation » est une notion juridique issue du code pénal, qui permet entre autres de qualifier le crime de trahison, par exemple pour avoir livré du matériel « affecté à la défense nationale » à une puissance étrangère (art.411-3).
La doctrine française de dissuasion se fonde quant à elle sur la notion d’intérêt vital, qui n’est justement pas définie de manière claire et précise. C’est bien pourquoi, dès le lendemain, l’Élysée s’est empressé de préciser qu’Emmanuel Macron définissait les « intérêts vitaux » de la France en fonction des « circonstances » et de la « dangerosité du conflit ukrainien », en maintenant « toute l’ambiguïté qui va autour de la dissuasion et qui est nécessaire » pour « qu’elle soit parfaitement opérationnelle ».
A vrai dire, ce manque de maîtrise de la « grammaire défensive » de la dissuasion de la part du détenteur du sceptre nucléaire pourrait avoir quelque chose de préoccupant. Car s’il est évident que nos intérêts vitaux ne seraient pas « en cause s’il y avait une attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région », il est parfaitement contre-productif d’exprimer cette évidence aussi clairement. D’abord, par principe, la dissuasion repose sur l’incertitude de la définition des intérêts vitaux. Ensuite, en termes politiques, comme le rappelle Bruno Tertrais, le président Emmanuel Macron « affirmait en 2020 que la dissuasion française avait une dimension européenne ». Enfin, militairement, que l’attaque soit balistique ou non n’a aucune importance.
Il faut donc chercher un message caché derrière cette bourde apparente qu’un étudiant de Sciences Po n’aurait pas commise. En quoi est-ce qu’un bombardement nucléaire aéroporté ou par missile de croisière changerait la nature de l’attaque ? Il est possible que l’ajout de l’adjectif « balistique » soit délibéré de la part de l’état-major particulier du président et il convient alors de tenter de décrypter le message.
Le message pourrait être celui-ci : moi, président de la République française, État doté, je pourrais vous adresser une frappe nucléaire « pré-stratégique » afin de vous signifier que vous avez franchi la ligne rouge. Cette frappe ne sera pas balistique : elle sera le fait d’un missile de croisière supersonique tiré d’un Rafale, lui-même catapulté du porte-avions ou parti d’une base française quelque part dans le monde, avec toute son escorte. La doctrine française prévoit cette frappe en premier sur une cible, non pour obtenir un avantage tactique sur le champ de bataille, mais simplement pour délivrer un message politique : l’ultime avertissement avant le déchaînement balistique.
Même s’il est techniquement possible de délivrer une frappe balistique « tactique » (de faible charge, inférieure à Hiroshima pour faire simple) à partir d’un sous-marin, la doctrine française distingue très clairement d’une part le message politique porté par la composante aéroportée, d’autre part la capacité de frappe en second (assurance vie de la nation) garantie par la permanence à la mer de la composante sous-marine. Ce message empreint de finesse, un chef d’État doté, rationnel, l’entend parfaitement et le comprend. C’est la meilleure réponse possible au chantage nucléaire. La réponse au chantage par le contre-chantage, fait partie de la dialectique de la dissuasion.
Même si la licéité d’une frappe nucléaire en-dehors de la légitime défense est juridiquement contestable, son usage dialectique est sans doute plus efficace que la référence à l’Armageddon cher au discours américain, pour ne rien dire des déclarations ineptes du chef de la diplomatie européenne. C’est aussi beaucoup plus responsable que de livrer des armes qui ne font qu’entretenir le conflit en favorisant la montée aux extrêmes. C’est enfin une manière de dégonfler la peur irrationnelle du nucléaire, sachant qu’une frappe tactique n’a pas plus d’effet militaire qu’un bombardement conventionnel, c’est simplement plus rapide : Marioupol a été rasée sans recourir à l’atome, mais cela a pris un mois.
A ce stade du conflit en Ukraine où, contrairement aux usages diplomatiques, plus personne n’appelle à la retenue et au cessez-le-feu, comme s’il s’agissait d’une « guerre sainte », la discussion est à ce point impossible qu’il ne reste plus que le langage associé à la possession de l’arme nucléaire pour maintenir malgré tout le dialogue. Et si, pour éviter une montée aux extrêmes, on rouvrait un canal de dialogue ? Il est consternant de constater que la seule puissance apte à le faire soit la Turquie. Un diplomate n’est-il plus qu’un communicant?
En déclarant que « toute attaque nucléaire contre l’Ukraine entraînera une réponse, pas une réponse nucléaire, mais une réponse militaire si puissante que l’armée russe sera anéantie », Josep Borrell, vice-président de la Commission européenne et haut-représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’UE, a couvert de ridicule l’Europe entière, tout en faisant le jeu du Kremlin qui veut faire croire que son agression de l’Ukraine est une guerre défensive contre l’Occident. Cette tartarinade consternante passerait pour une aimable plaisanterie si elle ne témoignait d’une dérive préoccupante des ambitions de l’UE.
Chacun sait que l’Union européenne (UE) ne dispose à ce jour d’aucun moyen militaire, sinon un état-major, au demeurant incapable de planifier et de conduire une opération. Et c’est heureux, car confier des armées à des dirigeants aussi irresponsables que Josep Borrell (ou Ursula von der Leyen) ne pourrait conduire qu’à la catastrophe. A ce titre, les Français apprécieront la différence avec le discours du président Macron, empreint de gravité et du sens des responsabilités. Cela devrait faire réfléchir à deux fois ceux qui placent dans l’UE leur « espérance ».
Au contraire, responsable d’une alliance nucléaire, le secrétaire général de l’OTAN s’est abstenu de toute déclaration relative à une éventuelle réponse à une attaque nucléaire russe sur l’Ukraine. Lors de la dernière réunion ministérielle qui s’est tenue la semaine dernière à Bruxelles, il a rappelé que l’OTAN n’était pas partie au conflit, même si les Alliés soutenaient l’Ukraine sans ambiguïté. « L’OTAN tiendra la semaine prochaine (cette semaine, ndlr) son exercice ordinaire annuel de préparation nucléaire », a ajouté Jens Stoltenberg, précisant que la planification de cet exercice avait débuté il y a de nombreux mois. On aurait souhaité la même mesure de la part du Haut-représentant de l’UE.
Contrairement aux pays baltes, le territoire de l’Ukraine, même dans ses frontières de 1991, n’est pas couvert par l’article 5 du traité de Washington, fondateur de l’alliance atlantique. Une chose est certaine : l’Ukraine ne sera admise dans l’alliance atlantique qu’à partir du jour où ses frontières seront reconnues par tous ses voisins et non contestées. Et il suffit qu’un seul des 30 États membres refuse de ratifier le protocole d’adhésion pour que l’admission de l’Ukraine soit retardée.
L’OTAN, qui ne possède aucun armement en propre, tout comme l’UE (qui envisage cependant de le faire), a pour mission de planifier la défense militaire de ses membres et d’être en mesure de conduire les opérations si nécessaire. Mais l’OTAN n’a juridiquement aucune compétence pour la défense d’un État non membre, sauf sur mandat de l’ONU, ce qui a pu être le cas en ex-Yougoslavie mais non en Ukraine.
Pourtant, à la faveur de cette guerre, l’UE cherche à se doter de pouvoirs en matière de défense que les traités lui refusent. L’UE ne se contente plus de subventionner la recherche de défense. Dorénavant, il est question que l’UE puisse à terme acheter de l’armement au nom des États, au prétexte d’une coopération plus efficiente et d’un soutien à l’industrie européenne de défense. Mais l’aide aux industriels n’est qu’un prétexte, d’ailleurs très hypocrite puisque personne (sauf la France) ne veut de la « préférence européenne », l’objectif réel étant un accroissement des pouvoirs de la Commission européenne au nom d’un « intérêt général européen » dont on peine à dessiner les contours en matière de défense.
La défense de l’Europe est assurée par l’OTAN, point. L’agression russe contre l’Ukraine n’a fait que renforcer cette évidence. La France a raison d’accroître sa participation à la réassurance du « flanc est », notamment en Roumanie et dans les pays baltes dans le cadre de l’OTAN, mais aussi, et c’est moins connu, en Pologne dans un cadre bilatéral (par l’envoi quasi-quotidien de patrouilles de défense aérienne par exemple). Quand il s’agit de défendre l’Europe, les Européens pourront toujours compter sur l’OTAN, de préférence avec les Américains. Pendant ce temps, avec les taxonomies verte et sociale, l’UE tergiverse sur la nature durable de l’investissement dans la défense. Ces gens sont-ils sérieux ?
La vraie question réside dans la dépendance vis-à-vis des Américains. Les Allemands ont raison d’y répondre en proposant que la Bundeswehr soit le futur pivot d’un pilier européen de l’OTAN en construction. Seul État doté de l’arme atomique, la France a pourtant aussi un rôle primordial à jouer. Mais, outre la coopération bilatérale, le cadre naturel de la défense européenne restera l’OTAN, avec ou sans les Américains, faute d’avoir une Europe qui veut – Allemagne en tête – assurer sa défense. L’UE a son utilité pour préserver la prospérité des Européens, mais non leur sécurité. Nous devons en tirer les conséquences en France et sortir des discours invalidants et du déni sur les aspirations européennes.
La sécurité est une chose trop sérieuse pour être confiée à des dirigeants qui ne le sont pas. La différence entre un président français et un vice-président européen est à cet égard abyssale. Pire, la construction européenne étant fondée sur un processus fédéraliste (dit communautaire), l’aboutissement de ce processus est, comme pour tout État fédéral en construction, une « bonne guerre » destinée à souder les États fédérés entre eux et faire naître un sentiment solidaire dans la population. Le fédéralisme se transforme en une variante du nationalisme qui emprunte les mêmes modes d’action et conduit aux mêmes catastrophes.
Un tel risque de dérive national-fédéraliste n’existe pas au sein de l’OTAN, où chaque État dispose, s’il le souhaite, d’un droit de veto et garde sa souveraineté, sa liberté d’appréciation et d’action (y compris en cas de déclenchement de l’article 5 qui n’a rien d’automatique comme certains le prétendent à tort).
A ce titre, la proposition allemande d’étendre au sein de l’UE le vote à la majorité qualifiée au domaine éminemment régalien de la sécurité est extrêmement préoccupante. Si les autres Européens y consentent, y compris la France, ils seront entraînés malgré eux dans des conflits qui ne sont pas les leurs, alors même que les dirigeants en place ont montré leur incapacité à assumer de telles responsabilités. La prise de conscience des conséquences de cette mesure présentée comme « technique », alors qu’elle est de la plus haute importance politico-stratégique, risque d’être douloureuse.
                  ————————————————————————————
(*) Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.
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