l’essentiel Yannick Séguier, également scénariste et metteur en scène, boucle actuellement une impressionnante série de documentaires, chacun dédié à une commune. Les habitants y racontent avec authenticité la vie d’antan, et permettent de mieux jauger des évolutions parfois massives de la société locale. De véritables trésors de mémoire.
Dire qu’il nourrissait ce projet depuis longtemps relève de l’euphémisme. “Je l’avais pour ainsi dire en tête dès l’enfance, s’exclame en effet Yannick Séguier. J’ai grandi à Fabrezan, dans le vieux village, où vivaient énormément de personnes âgées. Je passais beaucoup de temps à les écouter, à discuter avec elles, et je me disais déjà qu’il serait intéressant d’enregistrer ces témoignages. Certains avaient connu la guerre de 14-18 !” Yannick élargira par la suite son prisme artistique, fondant la société L’Histoire en spectacles, écrivant et scénarisant films ou pièces de théâtre, souvent jouées en plein air. Pour autant, cette idée de raconter les villages audois au travers des paroles de leurs habitants ne l’a jamais quittée.
“Le déclic a été le Covid, raconte-t-il. On ne pouvait plus monter sur scène, organiser des tournages devenait compliqué… Alors je me suis lancé”. Mais pas n’importe comment. “J’ai passé des partenariats avec les communes intéressées par le concept : chacune a proposé une vingtaine d’interlocuteurs”. Yannick Séguier ne recherchait pas seulement des personnes enclines à parler facilement : “Ce qui m’intéresse, ce sont des gens qui vivent dans le village depuis longtemps, mais aussi ces habitants qui ne prennent jamais la parole. Puichéric, notamment, héberge une énorme population d’émigrés espagnols. Je tenais à les intégrer au documentaire”. Pour chaque intervenant, le réalisateur filme soixante minutes d’entretien. “À la fin du projet, j’en aurai fait 400 !” Soit autant d’heures de souvenirs, d’anecdotes, d’“histoires de vie”. Un véritable trésor de patrimoine local immatériel, gravant dans le marbre numérique des époques ou épisodes tombés dans l’oubli.
“Au début du siècle dernier, Conozouls est devenue pour un temps une ‘‘commune libre’’, refusant de payer les impôts et n’appartenant plus à la République française. On a même parlé de la République de Conozouls !” Le réalisateur évoque aussi les “travaux titanesques” entrepris par EDF à Roquefort-de-Sault dans les années 50 : “Pendant sept ans, 150 ouvriers ont vécu sur place pour creuser un tunnel de douze kilomètres sous la montagne !”
Parfois, ces récits permettent aussi de prendre la mesure les évolutions sociétales. “Dans certains villages, le tout à l’égout n’est arrivé que durant la seconde moitié des années 70, et les gens allaient faire leurs besoins dans les vignes !” D’autres fois, à l’inverse, les changements peuvent être très rapides. “Chalabre comptait 800 ouvriers en 1975 : il n’y en avait plus aucun cinq ans plus tard. La grosse entreprise de chaussures présente sur place a été rachetée : les nouveaux propriétaires se sont contentés de récupérer les machines pour délocaliser la production dans un autre pays… Ce qu’on peut voir parfois à la télé s’est bel et bien produit dans l’Aude !”
Dans l’immense majorité de cas, Yannick Séguier n’a pas eu de mal à convaincre les habitants de jouer le jeu et de relater leurs souvenirs. “Je n’ai pas essuyé le moindre refus, affirme-t-il. Nous filmions en configuration très légère, et les participants oubliaient très vite la caméra”. Pour faire le tri parmi ces kilomètres de rushes, le cinéaste a sa propre méthode. “Je revisionne tout, je prends des notes sur un cahier, j’établis des thématiques, ce qui me permet de croiser les témoignages, puis j’établis un déroulé sur papier et le confie à Jean-Michel Clanet, mon monteur depuis 20 ans. On complète ensuite le tout par des plans sur des documents privés qu’on a pu me fournir, tels que des vidéos Super 8 ou des photos d’époque”. Le réalisateur insiste : “Il s’agit bien de véritables films, et non de successions d’interviews !” Un véritable “travail de mémoire” que les municipalités accueillent toujours à bras ouverts : “J’organise systématiquement une projection grand écran dans chaque commune, et je mets à la disposition des mairies l’intégralité des entretiens filmés”. L’opportunité précieuse de garder une trace du passé, narré par ceux-là mêmes qui l’ont vécu.
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