Publié le 13/09/2021 à 19h00
Cécile Carton
Immédiatement, devant la mairie, à travers les grilles, un homme nous interpelle : “Vous êtes au courant pour le poulailler ? Il y a un projet porté par le gendre du maire. L’emplacement est très proche des habitations. Les gens ont la pétoche. Moi, je suis déjà en bisbille avec le maire, alors je ne vais pas me mettre en chef de meute, mais j’aimerais bien qu’un collectif soit créé.” 
Ce sujet, tous les habitants ou presque nous en ont parlé lors de notre journée passée à Neuvy-Sautour, jeudi 9 septembre 2021. Une histoire de poulets, d’agriculteurs, de liens familiaux et de riverains mécontents. Le village, dans un calme apparent, bruisse de rumeurs.
Quelques Neuvy-Sautouriens papotent, venus acheter des fruits et légumes à Céline Bridier, maraîchère auboise qui vient chaque jeudi. Au centre des discussions : l’organisation d’une réunion d’habitants au sujet du poulailler.
Sur la place toute proche, à l’ombre de l’écrasante église classée aux Monuments historiques, il se murmure que ça va bouger. Quelques Neuvy-Sautouriens, venus acheter des fruits et légumes à Céline Bridier, maraîchère auboise qui vient chaque jeudi, papotent. Au centre des discussions : l’organisation d’une réunion d’habitants au sujet du poulailler. Personne ne sait encore trop ce qu’il s’y décidera, mais les villageois sentent le besoin d’unir leurs forces.
“Ca y est, on a déclenché la révolte”, lance malicieusement Jeannine Chouard, véritable “mémoire locale”, nous-a-t-on dit. Dans sa bouille plissée brillent deux yeux vifs et amusés, bien que sa silhouette soit voûtée par le poids de ses 94 années, toutes passées à Neuvy-Sautour. “On veut nous installer des poulets… pauvres poulets !”
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“Le projet de poulailler concerne tout le monde ici, atteste une famille de la désormais ironiquement nommée rue Bellevue, qui surplomble le futur emplacement du poulailler. À Neuvy-Sautour, on est au calme, à la campagne, et tout d’un coup on nous installe un truc dont on ne veut pas.” La mère est assistante maternelle. Sur la terrasse du pavillon, des jouets d’enfants. Et la vue, qui porte loin sur la vallée. “J’accueille des enfants à domicile. J’ai peur qu’avec le poulailler, il y ait des odeurs, tout ça”, confie-t-elle.
“A Neuvy-Sautour, on est au calme, à la campagne, et tout d’un coup on nous installe un truc dont on ne veut pas.”
Pour autant, le couple se sent démuni. “On ne peut pas y faire grand chose…” Eux n’y sont pas allés, mais leur fils  s’est rendu en mairie, comme beaucoup d’habitants du village, pour participer à l’enquête publique qui se clôture le 20 septembre.
“Avant, je vivais à Turny, pas très loin d’une exploitation avicole. Je connais les nuisances. Alors ce projet de poulailler, je l’ai en travers de la gorge.”
Une autre riveraine de la rue Bellevue raconte : “J’ai emménagé ici en mai, et on a commencé à entendre parler du projet deux mois après. Avant, je vivais à Turny, pas très loin d’une exploitation avicole. Je connais les nuisances. Alors ce projet de poulailler, je l’ai en travers de la gorge… Ici, je suis vraiment bien.” 
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Elle exprime ce que beaucoup ressentent. Car au fond, si les Neuvy-Sautouriens s’insurgent tant, c’est qu’ils tiennent à leur village. Malgré la N77 qui fend la commune de ses camions, la vie ici est tranquille. À égale distance d’Auxerre et de Troyes, Neuvy-Sautour jouit d’une situation géographique avantageuse pour ses habitants, qui fréquentent aussi bien l’Yonne que l’Aube.
Le bourg reste riche en commerces et services, ce qui fait la fierté du maire, Patrice Ramon. S’il refuse d’emblée d’aborder le sujet du poulailler – “j’ai le cul entre deux chaises : c’est mon gendre et ma fille qui portent ce projet et les gens confondent tout” – il s’étend en revanche longuement sur les atouts de sa commune.
“On a maintenu beaucoup de choses pour un village de 900 habitants.”
Issu d’une famille d’agriculteurs sur des générations, celui qui est entré au conseil municipal en 1983, devenu adjoint en 1995 puis maire en 2005 la connaît par coeur. “Vivre ailleurs qu’à Neuvy-Sautour, ça m’aurait été difficile”, concède-t-il.
“J’ai le cul entre deux chaises : c’est mon gendre et ma fille qui portent ce projet et les gens confondent tout”.
Patrice Ramon (le maire)
Tout sourire, l’élu vante donc plutôt les actions de sa municipalité. “On a maintenu beaucoup de choses pour un village de 900 habitants. Par exemple, on a racheté les murs de l’épicerie et un nouvel épicier a repris le fonds de commerce il y a un an. On est aussi propriétaire de la poste. Il y a une boucherie, une boulangerie, un salon de coiffure…”
De son propre aveu “très bavard”, Patrice Ramon évoque également le cabinet médical, qui appartient lui aussi à la commune – “on a encore deux médecins” -, ainsi que la présence d’infirmiers, d’une pharmacie et même d’une clinique vétérinaire. “À Neuvy, la population est vieillissante. Une centaine d’habitants a plus de 75 ans. C’est pour eux qu’on maintient tout ça.”
À 77 ans, Raymonde Evrard fait partie de ces seniors. Présidente du club de l’Amitié depuis vingt ans, elle propose, chaque mercredi, des jeux de société dans la salle des fêtes. Dans sa cuisine ouverte sur le jardin, les minutes s’égrènent tranquillement. Un papier tue-mouches tourbillonne au-dessus d’une nappe en toile cirée. “Ici, c’est la campagne, les jeunes partent. Ils ne reprennent pas les maisons de leurs parents.”
“Je n’irais pas vivre en ville pour un empire. De chez moi, j’entends le coulis de l’eau, le chant du coq.”
Couchée sur le pas de la porte, une vieille chienne blanche se repose, collerette au cou. Sa maîtresse, elle, porte sur la poitrine un médaillon de téléassistance. “J’ai fait des bêtises récemment”, glisse-t-elle avec un humour discret, évoquant quelques chutes, sa clavicule cassée et son bras en écharpe. Veuve depuis deux ans, Raymonde Evrard a de la mélancolie dans ses yeux clairs, mais ne parle pas de solitude. “Je suis entourée, je sais que je peux compter sur des gens ici.” Vieillir à Neuvy, pour elle, c’est une évidence. “Je n’irais pas vivre en ville pour un empire. De chez moi, j’entends le coulis de l’eau, le chant du coq.” De son hameau, l’ombre des poulets semble bien loin. 
Retrouvez tous les épisodes de notre série “Un jour chez vous”
Depuis l’église qu’elle ouvre immanquablement chaque jour, Jeannine Chouard, la nonagénaire au rire enfantin, regrette ce manque de cohésion : “C’est un ancien pays viticole ici, on était habitué au vivre ensemble. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les gens s’enferment derrière des murs.” Un léger vent de révolte traverse les yeux amusés de cette coquette vêtue de jaune…poussin. 
Pour aller plus loin : Dans L’Yonne républicaine de ce lundi 13 septembre 2021, retrouvez une rencontre avec Maleka Lekal, présidente de l’association des P’tites Canailles, qui gère la cantine et la garderie de Neuvy-Sautour.
Texte : Cécile Carton
Photos : Marion Boisjot

reporters.yr@centrefrance.com

1 commentaire
jean DUCHON a posté le 15 septembre 2021 à 05h21
Élevage de la démesure, entraînant souffrance animale et pollution environnementale. Une hérésie alors que l’UE encourage à développer le plein air. Les riverains ont tout a fait raison de s’inquiéter des conséquences de ce projet.
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