Le lourd rideau de fer est relevé. Dans la semi-pénombre, le comptoir en Formica et quelques tables n’en finissent plus de prendre la poussière. « Je passe tous les jours pour lutter contre les squatteurs », rassure Jamal Benbachir. Propriétaire du petit hôtel-restaurant des Salinières, rue de la Fusterie, près de la porte de Bourgogne, il ne désespérait pas de tourner la page après des années de fermeture. Un compromis de vente a été signé avec des acquéreurs bordelais pour 700 000 euros, frais d’agence compris. Mais InCité, la Société d’économie…
Le lourd rideau de fer est relevé. Dans la semi-pénombre, le comptoir en Formica et quelques tables n’en finissent plus de prendre la poussière. « Je passe tous les jours pour lutter contre les squatteurs », rassure Jamal Benbachir. Propriétaire du petit hôtel-restaurant des Salinières, rue de la Fusterie, près de la porte de Bourgogne, il ne désespérait pas de tourner la page après des années de fermeture. Un compromis de vente a été signé avec des acquéreurs bordelais pour 700 000 euros, frais d’agence compris. Mais InCité, la Société d’économie mixte (SEM) en charge de la requalification immobilière du centre-ville ancien, a fait valoir son droit de préemption à un tout autre prix : très exactement « 270 720 euros », selon le courrier adressé par huissier, mi-juillet.
« Je refuse catégoriquement ce montant dérisoire », prévient Jamal Benbachir, prompt à dénoncer « de la spoliation pure et simple » et « des méthodes inacceptables et inappropriées dans un État de droit ». Ou, du moins, l’illustration des frictions récurrentes entre des propriétaires bordelais et le régulateur revendiqué du marché de l’immobilier, dont la concession d’aménagement a été renouvelée pour la période 2022-2025 par Bordeaux Métropole, pas plus tard qu’en mai.
Et Jamal Benbachir, 65 ans, de mettre dans la balance sa situation personnelle, lui qui a ouvert un dossier de surendettement auprès de la Banque de France et repris un travail de veilleur de nuit dans une association d’aide sociale. Car les Salinières, dont les onze chambres accueillaient non seulement des clients au long cours, sous curatelle ou placés par les services sociaux, mais aussi des ouvriers de passage, n’ont plus rouvert depuis le 2 septembre 2014 et l’incendie d’une chambre au deuxième étage. Son occupant, un homme de 55 ans avait été retrouvé mort, sur le palier. « Une douleur indélébile », souffle le propriétaire.
Le coup de grâce pour cet établissement sans prétention, semble-t-il bien tenu par les époux Benbachir, qui l’avaient repris en 1998. « À l’étage, les chambres des résidents sont modestes, mais pas indignes. Un petit lit, une télé, un placard, un bureau, des meubles de récup’ », décrivait « Sud Ouest » en octobre 2011, dans un article consacré à ces « hôtels qui servent de havre social ». « Ce n’était pas un palace mais une petite affaire qui nous faisait vivre, ma famille et moi », dit Jamal Benbachir.
Huit ans plus tard, l’instruction judiciaire n’est pas close, tout est à refaire dans l’immeuble, et le propriétaire reste dans l’attente d’une éventuelle indemnisation de l’assurance. Le sinistre avait définitivement eu raison du programme de travaux, déjà mal en point. Le chantier s’imposait à l’hôtel dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique (DUP) en date de juin 2013. Et c’est InCité que Jamal Benbachir avait pour interlocuteur. Un accompagnement avec diagnostic à la clé, le montant des investissements nécessaires étant évalué à 340 000 euros.
« Les banques n’ont pas suivi. J’étais coincé, entre le marteau et l’enclume », poursuit Jamal Benbachir. « On connaît très bien l’immeuble », confirme Benoît Gandin, directeur général d’InCité. « Le projet n’a pas abouti. Cet immeuble est très dégradé, en raison de l’incendie, mais pas que. Et c’est pour cette raison qu’on avait accompagné M. Benbachir, très en amont et jusqu’au bout du bout. »
Communiquée en mairie mi-avril, la déclaration d’intention d’aliéner l’immeuble n’a ainsi pas échappé à InCité, qui passe au crible les transactions immobilières du centre ancien. « Dès lors qu’on a vu cette vente, on a demandé à rencontrer les acquéreurs pour qu’ils exposent leur projet. Le prix de vente est très très élevé au regard des travaux nécessaires », insiste Benoît Gandin. « Je le dis à chaque fois : la variable d’ajustement, ce n’est plus le prix mais les travaux et la qualité des travaux. »
À défaut d’échanges dans le délai imparti, « on a préempté ». À un prix très inférieur à la transaction escomptée. « L’estimation des Domaines est bien en deçà du prix de cession », assure Benoît Gandin. Une pratique dont la Sem est coutumière, quitte à se positionner en dessous du prix des Domaines et entraîner les propriétaires dans une longue procédure devant les tribunaux. Et le directeur général d’assurer que « la porte n’est pas fermée » : InCité a rencontré les acquéreurs en fin de semaine dernière. « On est dans une phase d’analyse ; ça fait partie des stratégies de préemption. L’objectif est de pouvoir continuer à discuter avec M. Benbachir et son conseil. » Jamal Benbachir ne demande qu’à être convaincu : « Au moment où je sors la tête de l’eau, InCité m’enfonce. Moi qui croyais qu’ils étaient de mon côté », persiste-t-il.

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