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Quand les rangers des militaires résonneront sur les Champs-Élysées mercredi, il est peu probable que les soldats qui défileront, aient identifié certaines menaces, qui pèsent pourtant gravement sur la souveraineté de la France. Ces soldats, prêts au sacrifice ultime, sont habitués à se battre depuis plusieurs années principalement contre la menace terroriste, mais aujourd’hui certains de leurs adversaires n’ont ni kalachnikov, ni aucune autre arme létale d’ailleurs. Mais ces “ennemis” sapent progressivement les fondements mêmes de la souveraineté française en concentrant leurs attaques sur l’industrie de défense tricolore, qui fournit la majorité des systèmes d’armes aux armées françaises, et sur les banques, qui les financent.
Or, cette industrie est garante de l’autonomie opérationnelle des armées, et donc de l’autonomie politique de lancer ou pas des opérations militaires sans en demander l’autorisation à qui que ce soit. Tous ces coups de boutoir interviennent au moment où “il y a une dégradation continue de l’ordre du monde”, comme l’a redit dans une interview accordée au Monde le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre. Mais là où il y a une volonté politique, il y aura un chemin pour le maintien de la souveraineté de la France. Un chemin qui exige seulement du courage politique.

“Nous le constatons tous. Cela se voit notamment en Ukraine, en mer Noire, en Méditerranée orientale. Cela s’observe aussi en Irak, en Syrie, avec une résurgence de Daech. La situation n’est toujours pas apaisée non plus avec l’Iran, elle se dégrade au Mozambique, au Liban, et je ne suis pas certain que les tensions dans les Balkans aient été définitivement résolues”, a-t-il expliqué au Monde.
Il y a le côté face : la Commission a adopté le 30 juin un ensemble de décisions visant à soutenir la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de la défense de l’UE. L’adoption du premier programme de travail annuel du Fonds européen de la défense (FED) ouvre la voie au lancement immédiat de 23 appels à propositions pour un montant total de 1,2 milliard d’euros de financement de l’UE en faveur de projets collaboratifs de recherche et de développement dans le domaine de la défense.
Mais il y a un côté pile menaçant : Bruxelles travaille sur la mise en place de nouveaux critères de label écologique de l’UE pour les produits financiers. Un nouveau label dont seraient pour le moment exclues les industries de défense européennes. Avec pour conséquence, leur mise à l’index par les banques et les organismes financiers européens.
Le président du comité défense du Conseil des Industries de Défense Françaises (CIDEF), Eric Béranger, par ailleurs PDG du missilier européen MBDA, a récemment pris ses responsabilités lors du Paris Air Forum organisé par La Tribune en avertissant que “ce qui va sortir du projet de taxonomie de la Commission européenne va être extrêmement important : si les activités de défense sont qualifiées de non durables et, donc, d’une certaine façon non propice à des investissements financiers, ce sera une prescription très, très importante à destination de tous les investisseurs”.
Le constat est implacable, la France a perdu une partie de sa souveraineté juridique depuis l’instauration par les États-Unis du Patriot Act en 2001, puis du Cloud Act . La cause : les lois extraterritoriales américaines, qui ont contraint les entreprises françaises et du monde entier à se soumettre au droit américain grâce à des liens parfois très ténus (paiement en dollars par exemple) avec les États-Unis. “Ces lois sont souvent utilisées comme de véritables armes de guerre économique”, a récemment rappelé dans une interview accordée à La Tribune le directeur du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), le général Eric Bucquet.
Et l’arsenal américain s’est encore récemment musclé avec le Cybersecurity Model Maturity Certification (CMMC), une nouvelle norme mise en place par le Department of Defense américain pour protéger les informations sensibles détenues par les entreprises de défense, y compris européennes. Mais les Etats-Unis ont donné l’exemple à suivre pour la Chine. Pékin a récemment mis en place, en décembre 2020, une réglementation en matière de contrôle des exportations comparable aux normes ITAR américaines et celle-ci s’accompagne elle-même d’un dispositif de blocage des mécanismes extraterritoriaux étrangers.
“La multiplication de dispositions légales à portée extraterritoriale, américaines ou autres, se traduit effectivement par un accroissement et une diversification des risques d’ingérences”, constate le général Eric Bucquet.
Professionnalisées et chassant en meute, les ONG multiplient les attaques contre les banques (risque d’image); les parlements pour, à défaut de légiférer contre la production et les exportation d’armes, obtenir des informations au nom de la transparence et faire campagne ensuite contre les données obtenues; et les fonds d’investissements pour imposer les labels éthiques ESG et ISR. Depuis la guerre au Yémen de la coalition menée par l’Arabie Saoudite, la campagne contre l’industrie de défense en France et en Europe a d’ailleurs franchi plusieurs étapes. Les ONG ont d’abord concentré leurs attaques contre les exportations à destination des pays en guerre ouverte (civile ou extérieure), puis contre les exportations de défense à destination de régimes dit arbitraires ou dictatoriaux.
Elles ont poursuivi leur travail de sape en attaquant ad hominem des responsables de l’exportation dans les industriels de défense. Puis, elles ont exigé l’exclusion de tout financement pour l’exportation de défense, qui est pourtant crucial pour la pérennité du modèle économique de l’industrie de défense française. Les ONG concentrent actuellement leurs attaques contre le service après-vente (MCO), considéré comme aussi importante que la vente elle-même. Elles militent très activement pour exclure de tout financement l’activité de production de défense en Europe par le biais des labels (ESG et ISR) et des bourses mondiales (à commencer par celle de Francfort). La prochaine étape devrait être une campagne structurée auprès des partis politiques afin que ces thèmes soient repris dans leurs plateformes respectives au moment des élections.
“Il nous revient de déceler et d’anticiper les actions de certaines entités qui, sous couvert de principes éthiques, servent, sciemment ou non, des intérêts manifestement malveillants, et d’en alerter nos autorités”, a expliqué à La Tribune le général Eric Bucquet.
Des attaques tous azimuts qui ont déjà un impact sur les industriels français. De plus en plus d’entreprises renoncent à des marchés “trop compliqués” et se séparent, également dans les pays traditionnellement clients de la France, de leurs agents, qui sont pourtant les yeux et les oreilles des industriels français. Résultat, personne en France n’a vu venir le mégacontrat de Fincantieri en Indonésie. Un contrat estimé à 4,1 milliards d’euros (six frégates FREMM italiennes et la modernisation et la vente de deux frégates Maestrale).
“Les nouvelles formes de conformité passent moins par des canaux strictement réglementaires que par des canaux d’influence, des canaux réputationnels avec un certain nombre de questionnaires adressés à des entreprises dans certains secteurs qui s’imposent comme une norme. Si vous ne répondez pas à un questionnaire d’une association, cela peut générer des problèmes réputationnels derrière”, a analysé Joffrey Célestin-Urbain. Et pour le chef du Service de l’information stratégique et de la sécurité économique au ministère de l’Économie (SISSE), ces formes de compliance beaucoup plus diversifiées qu’auparavant appellent “une réponse de l’État beaucoup plus globale”.
Sous la pression d’éventuelles sanctions américaines et des ONG, les banques françaises, dont BNP Paribas et Société Générale, appliquent désormais des règles de conformité (compliance) excessives pour les entreprises de défense considérées comme des entreprises à risque pour un financement. Cette tendance est en train d’étrangler progressivement une industrie de souveraineté. Les financements sont de plus en plus difficiles à trouver pour certaines ETI, PME et startups de la filière, dont certaines se voient même refuser d’ouvrir un compte bancaire. Eric Béranger l’a d’ailleurs reconnu au Paris Air Forum. “C’est vrai que j’ai beaucoup de contacts avec des PME et des ETI, qui me disent que, de temps en temps, il y a quelques contraintes, a-t-il précisé. (…) Je n’ai pas de chiffres précis sur le nombre d’entreprises mais je sais qu’il est significatif”.  Pour autant, banques et industriels de la défense ont décidé de se parler pour trouver des solutions. A suivre.
L’Europe se déchire à propos de l’énergie nucléaire, qui est pourtant décarbonée. Ainsi, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, le Luxembourg et l’Espagne s’opposent au classement de l’énergie nucléaire comme investissement écologique et durable tandis que la France, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie se battent pour que l’atome civil soit considéré comme une énergie décarbonée. L’énergie nucléaire civile est indispensable au maintien de la dissuasion nucléaire française, qui donne à la France du poids dans les relations internationales.
Dans ce débat, il est à noter l’hypocrisie de l’Allemagne, qui va acheter des avions de combat américains pour continuer à porter l’arme nucléaire de l’OTAN B61 à gravitation. “A l’heure actuelle, note la Fondation de la recherche stratégique (FRS), on estime à environ 140 armes (des bombes à gravité B61, ndlr) entreposées en Allemagne (BA Büchel), aux Pays-Bas (BA Volkel), en Belgique (BA Kleine Brogel), en Italie (BA Aviano et Ghedi Torre) et en Turquie (BA Incirlik)”. Pour la majorité des Français, c’est un atout pour la France de disposer de l’arme nucléaire (81%). Cette affirmation brise clairement cette idée reçue d’un abandon de l’arme nucléaire souhaitée par la population française pourtant savamment distillée et relayée par les pacifistes et les anti-nucléaires.
La base industrielle et technologique de défense (BITD) émerge de la crise avec des fragilités. Ce qui peut profiter à des investisseurs étrangers pourtant non désirés. Ainsi Aubert & Duval est une entreprise hyper stratégique à vendre et qui intéresse des pays étrangers. « Depuis janvier 2020, nous avons reçu environ 500 alertes sur une année et demie. C’est un rythme de 25 à 30 par mois, donc, schématiquement, une par jour », a révélé au Paris Air Forum Joffrey Célestin-Urbain. Dans la boîte à outils, dont la France s’est dotée pour contrôler les investissements étrangers et protéger les quelques 4.000 entreprises de sa BITD, la DGA, entre autres, joue un rôle clé. « Nous avons traité 138 dossiers d’investissements financiers étrangers », contre 30 en 2017, avait alors souligné le chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la DGA, François Mestre.
La guerre commerciale sino-américaine fait peser de nombreuses incertitudes sur l’économie mondiale, dont notamment des menaces sur les approvisionnements en terres rares par la Chine. Selon une étude de l’IRSEM du ministère des Armées, l‘OTAN s’est intéressée de près à la question notamment pour les métaux entrants dans la fabrication d’alliages et de composants électroniques. Elle en a tiré une liste de 26 métaux et matériaux (dont 10 terres rares) classés en quatre catégories : produits ou métaux hautement critiques, produits ou métaux critiques, produits ou matériaux à forts risques d’impacts mais à risques moyens d’approvisionnements, produits ou matériaux à forts risques d’approvisionnements mais à risques moyens d’impact. Ainsi, “les États-Unis se sont par exemple étonnés de la présence d’aimants permanents fabriqués en Chine sur l’avion de combat F-35 et des potentiels désagréments pour la sécurité du pays”, a expliqué l’IRSEM.
“Les métaux rares sont présents dans les systèmes d’armes sous différentes formes (métalliques, chimiques, composants, poudres…) au côté des métaux précieux comme de base. Ainsi, plus de 32 éléments sont nécessaires à la fabrication d’un Rafale dont 6 d’entre eux (fer, chrome, nickel, molybdène, aluminium, titane) pour les ailes et 12 pour les systèmes optroniques (cadmium, tellure, mercure, germanium, terres rares, aluminium, cuivre, béryllium, indium, tantale, cobalt). 29 matériaux stratégiques sont présents dans l’A400 M, 18 dans un char Leclerc, 8 dans un FAMAS (6 pour le seul canon), 22 dans un missile, 16 dans une frégate et 20 dans un sous-marin (dont 9 pour la coque et pour le moteur).
Le cobalt, produit par la Nouvelle-Calédonie qui va se prononcer pour la troisième fois pour son indépendance, est un métal essentiel à l’industrie de défense. Il est utilisé dans les alliages fabriqués pour les moteurs d’avion (superalliages) et de missiles en raison de sa résistance thermique. Il est également l’un des composants essentiels des batteries électriques lithium-ion qui participent au fonctionnement des diverses plates-formes d’armement (navires, satellites…). Enfin, il est utilisé dans la fabrication des aimants Sm-Co (Samarium Cobalt), composant essentiel des missiles. La quantité consommée selon les utilisations est variable, mais va de quelques grammes pour une batterie à une demi-tonne pour un moteur d’avion.
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