De la perle de l’Atlantique des années 30, aux champs de ruines de 1945, Royan a vu son destin basculé en quelques mois, presque en quelques heures. Retour sur le sort singulier, tragique et sacrificiel de cette station balnéaire de Charente-Maritime.
Images d’archives, témoignages de survivants, regards d’historiens, le réalisateur Guillaume Vincent consacre un film à un épisode si particulier de la Seconde Guerre Mondiale : le bombardement de Royan. 

Son climat, son casino, la vogue des bains de mer et l’engouement autour d’un nouveau phénomène, le bronzage, en font un lieu couru : 200 000 touristes s’y pressent.  En 1939, la ville compte 12 000 habitants et on peut y apercevoir Pablo Picasso.
Comment cette station balnéaire atlantique, symbole de douceur de vivre dans les années 30, a basculé dans la tragédie et disparu sous les bombes en 1945 ?
En me penchant sur la tragédie que Royan a subie en 1945, j’ai été happé par l’enchaînement kafkaïen de malentendus, de décisions hasardeuses et d’erreurs qui ont conduit à sa destruction. Elle m’est apparue comme l’illustration par l’absurde de ces destins individuels pris dans la tourmente d’une grande Histoire, des décisions militaires et politiques qui les dépassent. Cela vaut pour les habitants de la ville comme pour les soldats qui ont participé à sa prise. J’ai tenu à ce que les uns et les autres témoignent pour apporter leur vision, leur vécu, en regard du récit des historiens.
Guillaume Vincent
Le 10 mai 1940, l’armée d’Hitler lance la Blitzkrieg, la guerre éclair. Une offensive massive et ravageuse : en un mois, les troupes françaises et anglaises sont enfoncées. 
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Et le 23 juin 1940, les Allemands entrent dans Royan. Ils investissent la ville, mais, durant les deux premières années, cette occupation ne se passe pas dans un climat de tension extrême entre occupants et habitants, comme le montrent les films amateurs pris par des soldats allemands.
1942 marque le vrai durcissement du conflit. L’entrée en guerre des troupes soviétiques met Hitler face à l’une de ses pires craintes : avoir deux fronts simultanés, un à l’Est et l’autre à l’Ouest. Commence alors la construction du Mur de l’Atlantique, cet imposant système de fortifications côtières contruites par le Troisième Reich le long de la côte occidentale de l’Europe pour prévenir les attaques et invasions anglaises ou américaines.

Royan, transformée en forteresse, devient stratégique et reçoit même la viste de Rommel.

Cette oeuvre monumentale n’aura pas l’effet escompté : le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie.

En septembre 1944, les FFI, Forces Françaises de l’Intérieur issues de la Résistance, entourent Royan, toujours tenu par les Allemands. Sous équipés, mal organisés, ils sont surnommés les Gueux de l’Atlantique. Dans l’enceinte de la ville, retsent 7000 soldats, aux ordres de l’Amiral Michahelles.Le pays se libère peu à peu mais Royan s’enlise. Reprendre Royan à l’occupant devient, et Charles de Gaulle l’a bien compris, un enjeu majeur : c’est le point de passage obligé pour rejoindre le port de Bordeaux, libéré en août de la même année et parfaitement utilisable. 
Le 18 septembre, lors d’un discours prononcé à Saintes, Le Général de Gaulle charge le Général de Larminat, un fidèle parmi les fidèles, de libérer ce que l’on appelle désormais la “poche de Royan”.
La fin de la guerre approche et, pour installer la France du côté des vainqueurs, De Gaulle a besoin d’une victoire française : le sort de Royan devient politique. De Gaulle convaint Eisenhower de libérer la 1ère Division FL pour participer à cette libération royannaise.

 
Le 10 décembre 1944, lors d’une réunion stratégique à Cognac, un bombardement aérien massif est décidé. Participent à cette réunion, le Général de Larminat, le Général Coliglion-Molinier, chef des forces aériennes françaises et le Général américain Ralph Royce. La date du bombardement est décidée : ce sera dans la nuit du 25 décembre. Seuls les Anglais ou les Américains sont en mesure de l’exécuter. Les évacuations de civils ont commencé dès septembre mais 2 225 d’entre eux refuseront de partir : ils seront appelés les “empochés”.  
Mais les événements s’enchaînent, selon une logique qui se révèlera funeste. Le 16 décembre, les Allemands lancent une contre-attaque dans les Ardennes. La 1ère Division FL est rappelée en renfort et l’opération est retardée. Mais une fenêtre de tir se profile plus tot que prévu : le 4 janvier 1945. 
Les Anglais, chargés du bombardement, envoient un télégramme à l’Etat Major des forces françaises pour s’assurer que l’évacuation des civils est bien achevée. Ce télégramme, arrivé tardivement, ne sera traduit qu’après le déroulement de l’opération. Les Anglais, de leur côté, sont persuadés que le silence français a valeur de confirmation. Les documents officiels sont d’ailleurs sans ambiguité : 
Order : to destroy town strongly, defended by enemy and occupied by German troops only
Munis de mauvaises cartes,  les Anglais pillonnent trois points du centre de Royan : Fort de Chay, Port de Royan et la Caserne Champlain.  Royan est bombardée avec l’intensité réservée aux villes ennemies.
Le bilan humain est sans appel : sur les 2 225 royannais restants, 442 sont tués et 400 blessés. 47 soldats allemands perdront la vie. C’est un échec militaire cuisant. Et l’Etat Major de Cognac prendra connaissance de la catastrophe à 8h00 du matin, une fois que tout est fini.
Se pose alors le problème de la responsabilité : pourquoi les Français n’ont-ils pas, alors que c’était convenu, évacuer la ville de tout civil ? Pourquoi le télégramme des anglais est -il resté lettre morte ? Pourquoi  les pilotes anglais avaient-ils en leur possession de mauvais cartes qui les ont conduits à détruire le centre ville ?
Pour permettre aux Français de garder la tête haute, Eisenhower renvoie le Général Royce aux Etats-Unis, alors qu’il avait été le seul à s’enquérir du sort des civils. 
Les Allemands  refusent tout d’abord de laisser entrer les secours de la Croix Rouge : le premier convoi de blessés ne partira que le 9 janvier. 
Jusqu’en avril 45, la situation à Royan n’évolue pas. Les regards sont tournés vers le front de l’Est. A la mi-avril, les troupes soviétiques sont prêtes à faire tomber le IIIe Reich. La fin du conflit approche et le Général De Gaulle ne tient toujours pas sa victoire, indispensable pour faire basculer la France dans le camp des vainqueurs. Et Royan retrouve soudain un regain d’intérêt.  
De Gaulle fait appel au Général Leclerc et à sa fameuse Deuxième Division Blindée, alors qu’elle était en route pour l’Allemagne.

Les soldats allemands faits prisonniers livrent des informations sur les forteresses restées intactes. Un nouveau bombardement est décidé et cette fois ce seront les Américains qui s’en chargeront. 8 000 aviateurs sont mobilisés, soit cinq fois plus que pour le premier bombardement.
Les Américains sont en possession des bonnes cartes : seules les fortifications sont visées. En plus de l’attaque aérienne, les Français investissent la terre et la mer : il reste tout de même 5 000 soladts ennemis dans la poche de Royan. Les troupes, menées par l’Amiral Hans Michahelles, se battent jusqu’à la fin. 
Le 17 avril, on dénombre la mort de 1 000 soldats allemands, de 365 français, dont beaucoup de soldats coloniaux, envoyés en première ligne. 

Le 18 avril, les Allemands se rendent, Royan est libéré après 4 jours de combat. Douze jours plus tard, Hitler se suicidera dans son bunker. 
Lors de ce second bombardement, les Américains ont massivement lâché des bombes d’un type nouveau, constituées d’essence gélifiée, le Napalm. 1,5 millions de litres plus exactement. Royan ou le galop d’essai de la guerre du Vietnam.
Pourquoi avoir frappé aussi fort ? Les moyens déployés paraissent démesurés, même si la finalité, éminemment politique, est empreinte de succès.
Le 28 avril, le Général de Gaulle assiste à Royan au défilé des soldats, avec le Général Larminat en tête. Le temps n’est pas aux polémiques : cette victoire française a, comme le souhaitait De Gaulle, permis à la France de rejoindre le camp des vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale. 

 
 
1945, La Tragédie de Royan
Un film de Guillaume Vincent
Diffusé jeudi 1er septembre à 23.10 sur France 3 Nouvele-Aquitaine
À retrouver sur france.tv

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