Après des années d’exercice à Marseille, Michel (1) ne s’attendait pas à commencer son affectation à la brigade de recherches de Rochefort (17) par une affaire digne de la French Connection. Six jours avant son arrivée, dans la nuit du 1erau 2 août 2018, deux hommes blessés par balle ont appelé les secours sur l’île d’Oléron, en panique. Loïc, 23 ans, est grièvement atteint à la main, Jonathan, 26 ans, au coude. L’Alfa Romeo du premier présente des impacts de calibre 22 long rifle dans la portière droite et sur le pare-chocs arrière. « En revenant d’un fast-food de Bourcefranc-le-Chapus, une voiture leur aurait fait une queue de poisson. Loïc a fait des appels de phare, et les occupants, énervés, seraient descendus et auraient tiré sur eux. Ils auraient réussi à les semer. » Nommé directeur d’enquête,…
Après des années d’exercice à Marseille, Michel (1) ne s’attendait pas à commencer son affectation à la brigade de recherches de Rochefort (17) par une affaire digne de la French Connection. Six jours avant son arrivée, dans la nuit du 1er au 2 août 2018, deux hommes blessés par balle ont appelé les secours sur l’île d’Oléron, en panique. Loïc, 23 ans, est grièvement atteint à la main, Jonathan, 26 ans, au coude. L’Alfa Romeo du premier présente des impacts de calibre 22 long rifle dans la portière droite et sur le pare-chocs arrière. « En revenant d’un fast-food de Bourcefranc-le-Chapus, une voiture leur aurait fait une queue de poisson. Loïc a fait des appels de phare, et les occupants, énervés, seraient descendus et auraient tiré sur eux. Ils auraient réussi à les semer. » Nommé directeur d’enquête, Michel tique immédiatement. « Un Mc Do ouvert à 2 heures du mat’, ça n’existe pas ici. »
Sur les images de vidéosurveillance du pont de l’île d’Oléron, à l’heure indiquée, on voit bien passer une Alfa Romeo rouge, puis quelques secondes plus tard, un autre véhicule, blanc. Les deux bolides vont tellement vite qu’il est impossible de relever le moindre indice sur le film. « Ils roulaient à environ 180 km/h. Le turbo de l’Alfa a même explosé », précise l’enquêteur. Pas de chance, le lecteur de plaques du pont est en panne. « Cette histoire, ça sent le carottage de drogue à plein nez. » Une information judiciaire est ouverte pour tentative d’homicide. « Ça nous permet de les placer sur écoute. »
Pendant des semaines, les amis « discutent sans discuter ». Les enquêteurs doivent leur salut à la description précise des agresseurs et de leur voiture. « On sait que Loïc et Jonathan nous cachent la grosse connerie qu’ils ont faite, mais ils sont terrifiés. » Michel et ses hommes se mettent à chercher une Golf blanche, avec des jantes à bâtons, immatriculée dans le 78, aux vitres teintées. Les occupants sont de type nord-africain, l’un aux cheveux tirés en chignon, l’autre raidis. « Au milieu de leur différend, les agresseurs auraient pris la peine de leur dire qu’ils ont des attaches dans le quartier du Petit-Marseille à Rochefort. C’est de plus en plus étrange mais ça nous aide. »
La chance sourit enfin. Au hasard d’une patrouille à Rochefort, ils croisent une Golf blanche conduite par un individu de type nord-africain. Ça correspond en tout point. L’immatriculation les mène à un homme, et surtout à ses deux fils, Gibril et Bou Zeid Largeau, au lourd pedigree judiciaire, déjà condamnés pour stupéfiants. « De bons gros trafiquants. Les deux victimes les reconnaissent sur tapissage photographique. On sent qu’on est sur la bonne route. » L’étau se resserre. Mais les gendarmes attendent d’en avoir plus sous la semelle.
Dès lors, les enquêteurs sont persuadés qu’ils ne sont plus face à une agression gratuite, mais à un règlement de comptes. Loïc et Jonathan sont placés en garde à vue. « On les cuisine. » Jonathan finit par passer à table mais débite encore des farces. Son copain aurait découvert un pain d’un kilo de cocaïne sur la plage et des inconnus auraient voulu le racketter.
Plusieurs mois après les faits, une écoute téléphonique apporte le rebondissement tant espéré. La belle-mère de Jonathan appelle. « On a croisé l’autre, là, au Leclerc, celui qui vous a foutu dans la merde. » Immédiatement convoqués, les beaux-parents donnent l’identité de cette personne, un consommateur de stupéfiants connu pour de la petite délinquance. Il a joué le rôle d’intermédiaire. En garde à vue, il dit que le conducteur de l’Alfa Romeo est venu le voir pour trouver des acheteurs de cocaïne. Il a alors contacté un ami, qui lui-même a joint les frères trafiquants du Petit-Marseille.
En parallèle, l’étude du numéro du « téléphone de guerre » de l’un des frères Largeau montre que, à deux reprises avant les coups de feu, le portable a borné au même endroit que les victimes, preuve qu’ils se sont déjà vus. Dans une écoute, Jonathan parle d’un « Fafa », ancien capitaine d’un chalutier de la Cotinière, le « Marjanic », qui habite Bordeaux. « On identifie ce Fabrice. Étrange, il a quitté la région pile au moment de l’affaire », constate Michel. Il croit, de plus en plus, à une découverte de drogue en mer. Il reconstitue l’équipage, fait venir « Fafa » qui décrit alors la pêche miraculeuse de deux ballots de cocaïne ornés du logo de Superman, au large de la Cotinière du 6 juillet. Mais il ment sur les heures, le nombre de personnes présentes à bord.
Les gendarmes reprennent les fadettes, remontent à la semaine du 6 juillet, relèvent que le capitaine a beaucoup appelé ses pêcheurs. Placé en garde à vue, Fabrice craque. Il raconte comment il a divisé équitablement, avec ses trois matelots, les 40 kg de cocaïne, la peur de sa femme devant ce butin, la décision d’enterrer la drogue dans son jardin en attendant de s’en débarrasser en hiver. Comment, le 26 août, des hommes qui ne sont pas les frères Largeau ont défoncé sa porte, ont exigé toute la drogue, pistolet posé sur son front. Et pour finir, comment sa compagne s’est chargée de récupérer toutes les parts et les a déposées au pied de la citadelle de Brouage comme convenu. La cocaïne s’est envolée, comme ces porte-flingue dont on ne retrouvera jamais la trace.
Autre lien établi : Loïc n’est autre que le beau-fils de Fabrice à qui il s’est confié. Le jeune homme avait récupéré en douce un pain de la drogue enterrée. Valeur estimée : entre 25 et 35 000 euros. Acculé, Loïc finit aussi par dire la vérité. Dans la Golf, le soir des coups de feu, ils n’étaient pas seulement deux. Les enquêteurs remontent la piste d’un Tchétchène vivant à Strasbourg. « Agent de sécurité, il ne devait pas avoir de casier, il avait tout intérêt à nous parler. » Il balance le nom de Bachir, habitant à Creil, qui était le tireur. Celui-ci avoue avoir agi à la demande de Gibril et Bou Zeid. La boucle est bouclée. L’heure est enfin venue de « taper les deux frères ».
Le travail d’enquête a payé. L’ensemble des protagonistes de cette histoire folle sera condamné devant le tribunal de La Rochelle le 16 juin 2020, les deux frères à deux et quatre ans de prison ferme. Fabrice, sa femme, Loïc, Jonathan, et les intermédiaires écopent de six mois de prison avec sursis et jusqu’à neuf mois ferme ; Bachir, le tireur, de trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis probatoire.
« C’est une grande satisfaction, se félicite Michel. Tant qu’elle n’est pas résolue, vous vivez jour et nuit avec cette histoire. Quand on allait voir le juge pour lui dire ce qu’on avait découvert, il se demandait à chaque fois : ‘‘Mais où est-ce que ça va s’arrêter ?’’» Fabrice, celui par qui tout a commencé, a déménagé. Il travaille désormais dans une poissonnerie de grande surface, très loin de l’océan.
(1) Pour des raisons de sécurité, le prénom a été modifié.

source

Catégorisé: