Ils ne bloquent plus les automobilistes, sont nettement moins nombreux à donner de la voix sept jours sur sept, ne croulent plus sous les dons alimentaires des riverains solidaires. Mais ils sont toujours là, mobilisés à quelques mètres d’un rond-point qu’ils ont quitté « sous la pression », comme ils disent, des forces de l’ordre.
En action depuis le 17 novembre, date officielle du début du mouvement, les Gilets jaunes de Villeneuve-la-Guyard et Auxerre, dans l’Yonne, font partie des derniers des Mohicans à occuper le terrain. Eux ont rusé pour échapper à l’expulsion contrairement à la plupart de leurs camarades ailleurs en France délogés par les CRS et les gendarmes mobiles ou, tout simplement, qui ont fini par se lasser et jeter l’éponge.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 43 actions (contre 2000 au plus fort de la contestation) étaient recensées vendredi sur les ronds-points en France, rassemblant seulement 300 Gilets jaunes. Près de quatre mois après un premier reportage et alors que se déroule, ce samedi, l’acte 20 des manifestations, nous sommes retournés à la rencontre de ces irréductibles bourguignons refusant de lever le camp.
Les Gilets Jaunes du rond point de Villeneuve-la-Guyard ont baptisé leur cabane : « saloon des poussins » .LP/ Philippe Labrosse
Ils ont installé une boîte aux lettres à l’entrée du campement. « Vous écrivez sur l’enveloppe Gilets jaunes, rond-point de Villeneuve-la-Guyard et ça arrive. La factrice nous connaît », s’enthousiasment les destinataires de « quelques » missives de soutien.
Tous les après-midi depuis des semaines, les frondeurs de cette commune en bordure de Seine-et-Marne se rassemblent au « saloon des poussins », cabane de bric et de broc surplombant le carrefour. « On a dû la reconstruire, on nous l’avait brûlée », se désole l’un d’eux. Mais ce vendredi soir, ils ont été contraints de la démolir eux-mêmes. « Ce sont les gendarmes qui nous l’ont demandé, nous disant que nos heures étaient comptées. On doit rendre le terrain. On va essayer de rebondir mais on a un peu le moral dans les chaussettes », reconnaît Michel, 59 ans, artisan « à trois mois de la retraite ».
Depuis trois mois, ces mécontents ne s’indignent plus au bord de la route mais juste à côté, « sur la parcelle d’un agriculteur ». Mercredi, ils étaient une quinzaine, en grande partie des retraités, à partager une tarte aux pommes et un café sous les klaxons d’automobilistes exhibant un Gilet jaune sur le tableau de bord.
«Code de bonne conduite»
Christian, le boute-en-train de la bande, est fidèle au poste. « Quand je ne suis pas là, c’est mort. Et quand j’arrive, c’est le bordel ! », s’esclaffe ce drôle de routier de 59 ans. Aucun leader n’est sorti du rang avec le temps. Un acte délibéré. « Il n’y a pas de chef chez nous. C’est fraternel. On a fait une soirée bowling. Un jour, on s’est même retrouvé à une quinzaine à la pêche à la truite », décrit Cricri.
Un « code de conduite » a été élaboré. « Mouvement pacifiste, apolitique, asyndical. Pas de propos racistes, antisémites, homophobes, sexistes. Pas de blocage de circulation sur le rond-point. Pas de consommation excessive d’alcool », stipule le règlement maison. « On est très ouvert », vante Michel, vent debout contre les « dérapages », ces dernières semaines en France, de certains « intolérants se réclamant du mouvement ».
Sur le rond-point le mouvement se dit apolitique, asyndical et pacifiste. LP/Philippe Labrosse
Au « rond-point des poussins », les opinions politiques sont un sujet tabou. « On a tous nos idées, mais on n’en parle pas », jure Christian. Les troupes ne montent pas à Paris le samedi pour battre le pavé. « Je ne vais pas aller me faire gazer inutilement », lâche André, 64 ans, ancien employé de la Banque de France, qui regrette que « certains Gilets jaunes » se soient « laissés entraîner par les débordements ». « J’ai peur, je n’irai pas, faut manifester intelligemment », répète Chantal, 64 ans, ex-ouvrière en imprimerie qui a « bossé 42 ans » et perçoit une pension de 1 100 €.
«T’as vu le prix des patates ?»
Ici, on préfère défiler dans le coin (et le calme) dans les rues de Villeneuve-la-Guyard. « Un samedi de janvier, on était 425 manifestants. Je les ai tous comptés », chiffre un recenseur zélé. S’ils continuent de se mobiliser, « c’est pour montrer que le mouvement n’est pas mort, qu’on n’a jamais lâché » selon une retraitée de 63 ans, ancienne secrétaire. « Macron écoute nos revendications, mais il ne les entend pas. Pour lui qui file au ski en pleine crise, on est des gueux! Il laisse pourrir les choses, il est resté droit dans ses bottes sur l’ISF. Le retour de cet impôt, je n’y crois même plus », souffle son mari André qui n’est « pas dans le besoin » avec « une retraite de 1700 € ». « Je me bats pour les autres », enchaîne-t-il sous les yeux de son yorkshire et de… sa petite-fille Lauryne, 7 ans. « Si papy et mamie sont là, c’est pour faire démissionner Macron », analyse la demoiselle en CE1. « La vérité sort toujours de la bouche des enfants », notent « les grands ».
De droite à gauche, Christian, Philippe, Yves et Philippe/LP/Philippe Labrosse
Yves, 70 ans, ex-employé de banque, suggère de bonifier « tous les salaires de 100 € ». « Mais améliorer le pouvoir d’achat, c’est pas facile, y a plus de sous! », concède-t-il. Philippe, « mécano » qui fait « 160 bornes aller-retour » pour aller travailler, a « senti passer » l’augmentation du coût du gazole ces dernières semaines. Il redoute également une hausse de sa facture EDF. « Même le lait, c’est plus cher dans les magasins », observe-t-il. « Et t’as vu le prix des patates? », poursuit sa camarade.
Chantal, elle, a surtout vu les tarifs de sa mutuelle s’envoler. « À la retraite, on paie le prix fort. Or, à nos âges, on est souvent malades, faut bien entretenir nos dents, nos yeux… », détaille-t-elle. « Quand on voit tout ça, on se demande pourquoi ça n’a pas pété avant », s’interroge Christian, sur le pont 24h/24. « Il m’arrive même de rêver des Gilets jaunes », assure-t-il. L’avenir de la révolte populaire est, pour lui, un point d’interrogation. « Là, on ne sait pas vraiment où on va. On espère que ça ne va pas durer des années. Sinon, on est quand même mal barrés », s’alarme-t-il. « Moi je ne suis pas pressée, je suis à la retraite », positive sa voisine.
Depuis l’automne, des Gilets jaunes occupent le carrefour de l’Europe à Auxerre.LP/Philippe Labrosse
Le terre-plein central du rond-point de l’Europe à Auxerre n’a pas changé de couleur depuis l’automne. Les Gilets jaunes ont laissé place aux jonquilles printanières. « Vous voyez, même la nature est avec nous ! », blague Yves, 56 ans, travailleur précaire « dans le cinéma itinérant ».
En janvier, ces rebelles du 89 se sont repliés à 30 mètres de leur repaire, sur un terrain communal, « en accord avec la mairie ». « Les Golgoths (NDLR : les forces de l’ordre) ont voulu nous déloger. Chaque fois qu’on les croise, on leur fait le V de la victoire pour leur montrer qu’on est toujours là », riposte Ahmed, 50 ans.
Son micro-fief est recouvert d’une sorte de moquette. « À l’Elysée, Macron a ses tapis rouges. Nous, on a déroulé nos tapis verts et bleus », ironise cet ancien routier intérimaire qui, depuis quatre mois et demi, n’a plus de mission. Le combat social est devenu son plein-temps. Il vit désormais du RSA. « Ici, on est une vraie famille, on s’est constitué en assemblée populaire », relate-t-il.
De gauche à droite : Fabrice, Yves Nina, Ahmed, Mathieu, Gaëlle, William. LP/Philippe Labrosse
Les occupants n’ont jamais pris part au grand débat national initié par le gouvernement. « Nous, on a organisé un vrai grand débat des Gilets jaunes dans la salle municipale qu’on nous a prêtée », remercie-t-il. Les premières mesures proposées par le chef d’Etat (défiscalisation des heures supplémentaires, suppression de la hausse de la CSG pour certains retraités…) qui a, certes, « lâché un peu de lest » ne leur suffisent pas.
«La violence de l’Etat est bien pire»
« On veut la fin de l’évasion fiscale, une revalorisation de tous les salaires et pas seulement du smic, un redéveloppement des services publics dans nos campagnes, une renationalisation des grandes entreprises… », milite Yves, qui a le cœur à l’extrême gauche. « Une meilleure répartition des richesses », prône Nina, 42 ans, enseignante en maternelle.
Ils voient d’un très mauvais œil les possibles listes de Gilets jaunes à l’élection européenne de mai. « C’est une énorme connerie, ça divise, ça fait le jeu des politicards, elles ne feront pas des gros scores, c’est cadeau pour le pouvoir », pronostique Yves, qui ne souhaite « pas participer au système », mais se transformer en « contre-pouvoir ».
Les Gilets Jaunes du carrefour n’ont pas souhaité participer au grand débat. LP/Philippe Labrosse
Ils ne cautionnent pas la violence lors des manifestations du samedi mais ils ne la dénoncent pas non plus. « La violence d’Etat est bien pire. Mettre des gens au chômage qui survivent avec 600 euros et qui ne peuvent plus rien acheter le 15 du mois, c’est bien plus violent que de foutre le feu », compare Yves qui, lors de grands rassemblements à Dijon, n’a « jamais jeté le moindre caillou ».
« Il y a eu des dégâts matériels de la part de casseurs qui ne sont pas des Gilets jaunes. Mais la répression des forces de l’ordre entraîne, elle, des dégâts corporels », observe, de son côté, Ahmed qui était présent sur les Champs-Élysées il y a deux semaines « quand c’était la guerre ». « On n’a jamais cassé. Après, si je prends une tarte sur la joue gauche, je ne tends pas la droite, je rends le coup », prévient-il.
« Les CRS ne nous font pas de cadeau, ils n’attaquent pas les blacks blocs mais les Gilets jaunes », rapporte Gaëlle, 42 ans, au chômage. Pour cette mère divorcée de quatre enfants, il ne faut pas se tromper de cible alors que l’opinion publique se montre de plus en plus critique envers le mouvement. « Si ça va mal en France en ce moment, c’est à cause des politiques, pas des Gilets jaunes », défend-elle.
«Le diesel coûte à nouveau plus cher»
Celle qui ambitionne de créer sa petite entreprise d’aide à domicile n’a pas les moyens de faire le plein de gazole. « Avec 30 euros, j’ai d’habitude juste un demi-plein. Mais ces derniers jours, j’ai moins d’un demi-plein car le diesel coûte à nouveau plus cher. Quelques euros de dépenses supplémentaires par mois, c’est énorme quand on a seulement 600 euros d’allocation-chômage », rappelle-t-elle. Quand elle voit « ça », l’ex-agent d’entretien dans les usines reconnaît avoir « parfois des petites baisses de moral ». « Mais je vais me battre pour mon petit-fils », s’engage-t-elle.
À chaque fois qu’ils croisent les forces de l’ordre, les Gilets Jaunes du carrefour de l’Europe, leur adressent le V de la victoire. LP/Philippe Labrosse
Fabrice, 54 ans, cariste sans emploi depuis janvier, a fait de la hausse des salaires sa motivation première. « Au chômage, je touche 900 euros. Si je bosse, c’est 1 100, il n’y a guère de différence si on ajoute le coût des trajets », calcule-t-il. Il est déterminé à jouer les prolongations au rond-point de l’Europe. « S’il faut résister un an, je le ferai », s’engage-t-il. « Ouais, on va creuser une piscine cet été », se marre l’un de ses compagnons.
Gilets jaunes : Ahmed, sur son rond-point depuis 4 mois, «tient bon»
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