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LA TRIBUNE – Tout d’abord quel bilan tire l’homme des marchés financiers que vous êtes de l’évolution économique en 2022 ?
Axel CHAMPEIL – Le principal événement de cette année 2022 c’est le déclenchement par la Russie de la guerre en Ukraine et l’impact des sanctions économiques prises contre Moscou. Cet impact se retrouve dans l’accélération de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières agricoles. Avec pour conséquence une augmentation de l’inflation, qui était déjà présente depuis la fin du confinement dû à la pandémie de Covid-19. Il y a aussi une incertitude politique qui pèse quant à la meilleure énergie à substituer au gaz russe et un contexte général inflationniste qui a déclenché une hausse des taux d’intérêts. Cette inflation est due en partie à des facteurs exogènes, comme la guerre en Ukraine, mais n’oublions pas que la hausse des prix était déjà en cours avant le déclenchement des hostilités.
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Depuis quelques années vous revenez régulièrement, comme la plupart de vos confrères, sur la nécessité de normaliser la situation monétaire, en particulier en remontant les taux d’intérêts. C’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui : n’êtes-vous pas rassuré ?
Nous sommes au début de la normalisation monétaire et j’insiste : il ne s’agit pour nous que d’un début. Nous sommes enfin sortis du cycle des taux d’intérêts négatifs. Pour peser sur l’inflation, il faut qu’à terme les taux d’intérêts se rapprochent de cette dernière. Ce sera le sujet principal en 2023 : avec une hausse des taux d’intérêts qui va provoquer une montée des coûts d’investissement pour les entreprises. Actuellement l’économie peut encaisser des hausses de taux d’inflation réels de +2 à +3 %, c’est déjà arrivé.
Mais il faut bien voir aussi que la normalisation passe également par des retraits de liquidités. En général, l’inflation est liée à une demande soutenue. D’où la nécessité de lutter contre la demande, c’est-à-dire la consommation. Les Etats-Unis ont fortement relevé leurs taux d’intérêts et l’inflation semble commencer à se tasser. Ils subissent un léger contre-coup économique mais c’est réduit. Leur économie continue à fonctionner normalement. Comme ils bénéficient d’une certaine indépendance énergétique, les Etats-Unis ne subissent pas de crise inflationniste dans ce domaine. C’est l’Europe qui a les prix énergétiques les plus élevés.
Vous décrivez une situation où l’on accepte de ralentir la croissance en relevant le niveau des taux d’intérêts : c’est-à-dire le prix de l’argent, pour stopper la hausse de l’inflation. Cette stratégie ne risque-t-elle pas à son tour de provoquer une crise économique ?
Même si une partie est exogène (énergie), je confirme que pour juguler l’inflation il faut remonter les taux d’intérêts. L’inflation est générée par un déséquilibre entre l’offre et la demande. La demande, la consommation, est trop forte alors il faut la réduire. Si l’on remontait d’un coup les taux d’intérêt au même niveau que l’inflation, oui il y aurait un effondrement de l’économie. Mais ce n’est pas la stratégie qui a été retenue. L’inflation détruit la valeur de l’argent. Aujourd’hui, et même s’ils ont remonté, les taux d’intérêts réels sont ainsi négatifs puisque l’argent coûte environ 2 % alors que l’inflation est à 6 %.
Il n’en reste pas moins que l’objectif semble bien d’affaiblir assez fortement la croissance pour stopper l’inflation. Comment cela va-t-il concrètement se manifester ?
L’inflation se diffuse par les hausses de salaires. Même s’il y a des tensions en France concernant l’emploi, il va falloir réduire un peu l’activité économique. Ce qui devrait augmenter le taux de chômage. L’inflation est un des moyens de réduire la dette publique. Quant aux dettes privées, qui atteignent un montant très élevé, elles sont contenues en France parce qu’elles sont pour l’essentiel conclues à taux fixe. L’inflation est difficilement contrôlable, elle peut connaitre des dérives. Elle pourrait exploser dans certains marchés, certaines zones géographiques. Pourtant les marchés financiers anticipent en 2023 une baisse de l’inflation à 5 %. Je suis un peu dubitatif. En particulier parce qu’en 2022 peu d’entreprises ont accordé des augmentations de salaires. Ce qui ne sera pas le cas en 2023 où la demande des salariés va être plus forte. Avec de grands risques de poussée inflationniste en cours d’année.
Vous voulez dire que la balle est désormais dans le camp des salariés, que ce sont eux qui contrôlent l’accélérateur de l’inflation ?
Pas tout à fait, car il y a d’autres facteurs en jeu qui poussent l’inflation à la hausse. Par exemple favoriser la production locale de biens de consommation, puisque les salaires sont plus élevés ici qu’en Asie ou en Afrique, ou développer des énergies propres. Autant d’options en vogue qui ont des coûts élevés. Les pays européens fournissent de cette façon un carburant durable à l’inflation, qui pourrait ainsi, grâce à cette coûteuse stratégie de fabriquer local et développer des énergies propres, se poursuivre au-delà de la crise actuelle. Les taux de défaut des entreprises connaissent un plus bas historique. Pourtant il y a un vrai risque car l’année 2023 devrait être beaucoup plus tendue. La baisse de l’abondance des liquidités va s’amplifier. La question de la réduction du poids de la dette publique va se reposer.
Et avec elle toutes les conséquences qu’implique ce type de normalisation financière, comme le recul des investissements publics, etc. Les effets de la crise du Covid et de la hausse de l’énergie ont été contenus grâce à des aides publiques. Il semble néanmoins que cette stratégie volontariste touche à son terme. L’alignement des planètes n’est pas bien engagé pour 2023. En 2022, les marges des entreprises ont été maintenues. Mais avec la répercussion de la hausse des prix de l’énergie ça va être beaucoup plus difficile cette année. Ce que l’on avait craint pour 2022 n’est pas arrivé puisque les entreprises ont sorti d’excellents résultats, entrainant ainsi une reprise des marchés financiers.
Vous estimez donc que le gouvernement va être obligé de changer sa politique économique protectrice, à base de boucliers anti-inflation, à cause de l’inéluctable remontée des taux d’intérêts ?
A court terme, ce sont les banques centrales qui fixent le montant des taux d’intérêt. A long terme, ce sont les marchés financiers. Aujourd’hui nous parlons d’une transition à opérer, d’un changement de logiciel. L’argent va devenir plus cher et les entreprises plus fragiles. C’est pourquoi la société Champeil s’attend à de la nervosité sur les marchés financiers car il va être plus dur pour les analystes de trier le bon grain de l’ivraie, d’identifier les valeurs les plus porteuses. Tant que les taux d’intérêt ne seront pas stabilisés, il y aura de l’instabilité. Aujourd’hui il existe chez les opérateurs financiers un consensus vers une stabilisation des taux d’intérêt. Nous estimons de notre côté que leur hausse n’est pas terminée.
Doit-on penser que 2023 va être l’année du retour des marchés financiers et des politiques publiques à un plus grand réalisme monétaire ?
Depuis la crise financière de 2008 le système financier a été fortement alimenté en liquidités. Un surcroît de masse monétaire qui est très peu allé dans l’économie et davantage sur le système financier. Entrainant la formation de certaines bulles d’actifs (immobilier, private equity, obligations…). Avec la crise du Covid, le supplément de masse monétaire créé par la banque centrale a au contraire été directement injecté dans l’économie. Et c’est sur ce terreau financier fortement imprégné de monnaie que vient frapper la crise inflationniste.
La masse monétaire internationale a été multipliée par quatre depuis 2008 ! La crise du Covid, la guerre en Ukraine et tous les autres événements perturbateurs ne sont que les catalyseurs d’une situation déjà très déséquilibrée sur le plan monétaire. Ce qui fait qu’il va y avoir un ajustement parce que justement les taux d’intérêt n’ont pas arrêté de baisser pendant trente ans. Ce monde inflationniste est nouveau pour moi, je n’ai jamais connu une situation pareille mais je ne suis pas trop inquiet. Parce que la bonne nouvelle, c’est que l’on va enfin s’attaquer à la dette.
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