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Jean-Baptiste Rozès
Avocat Associé
OCEAN AVOCATS
www.ocean-avocats.com
1re Parution: 10 juin 2014
La liberté des parties pendant la phase des négociations précontractuelles est limitée par la règle selon laquelle tout abus dans l’exercice d’un droit peut être sanctionné. La rupture de négociations peut donc être fautive et entraîner réparation par l’allocation de dommages et intérêts.
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En l’absence de contrat de négociation (lettre d’intention, contrat de pourparlers,…), l’auteur d’une rupture fautive de pourparlers peut voir sa responsabilité délictuelle engagée, en application des articles 1382 et 1383 du Code civil. Il faut donc démontrer à l’encontre de ce dernier, très classiquement, l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux (1) pour pouvoir valablement solliciter des dommages et intérêts en réparation de certains postes du préjudice subi (2).
1- Sur l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux
Si l’appréciation du caractère fautif de la rupture relève du pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation contrôle néanmoins la motivation retenue ; la faute retenue devant toujours être spécifiquement déterminée par les juges du fond. Ces derniers prennent en compte les circonstances dans lesquelles la rupture s’est déroulée pour déterminer s’il existe ou non un faisceau d’indices d’une éventuelle faute.
Leur appréciation va se porter essentiellement sur la durée et l’état d’avancement des pourparlers, le caractère soudain de la rupture, l’existence ou non d’un motif légitime de rupture, le fait pour l’auteur de la rupture d’avoir suscité chez son partenaire la confiance dans la conclusion du contrat envisagé ou encore le niveau d’expérience professionnelle des participants.
La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une Cour d’appel avait valablement justifié sa décision d’écarter l’existence d’une faute dans la rupture de pourparlers en vue de la réalisation d’un contrat d’entreprise la cour d’appel qui a retenu, non seulement l’absence de fixation du prix, mais aussi l’absence de preuve de la durée et de l’intensité des pourparlers, ainsi que l’absence de relations antérieures entre les parties [1].
Les tribunaux considèrent souvent comme fautive la rupture de pourparlers avancés ayant atteint une certaine intensité et un certain degré de précision.
Une faute simple suffit. Par exemple, la légèreté dans le comportement de l’auteur de la rupture peut entraîner sa responsabilité.
Il a ainsi été jugé qu’en retenant qu’ayant « laissé se poursuivre des pourparlers qui allaient inéluctablement se traduire par des frais, la cour d’appel a(vait) caractérisé le lien de causalité entre la faute et le dommage dont elle a souverainement apprécié la réparation [2].
Par ailleurs, conformément au droit commun de la responsabilité délictuelle, l’intention de nuire ou la mauvaise foi n’est pas requise pour caractériser la faute de l’auteur de la rupture [3].
Dans ce cas d’espèce, deux architectes avaient envisagé une collaboration sous forme d’une association et ont entamé des pourparlers en vue de déterminer une structure juridique d’exercice en commun de leur profession ; l’un deux ayant décidé de ne pas donner suite à ce projet d’association, l’autre l’a assigné en paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive des pourparlers.
Pour rejeter la demande de dommages-intérêts fondée sur la rupture abusive de la Cour avait jugé qu’en l’absence de mauvaise foi manifeste de ce dernier, qui n’était pas guidé par une volonté de nuire, cette rupture n’était pas fautive.
Dans cet arrêt du 11 juillet 2000, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’elle n’avait pas retenu le caractère fautif de la rupture des pourparlers, et ce compte tenu du fait que les pourparlers avaient été très avancés, que l’architecte n’avait pas hésité à présenter le second architecte comme son associé et que celui-ci était considéré comme tel par les tiers, qu’il avait entretenu son confrère dans l’espoir d’une association à laquelle il avait finalement renoncé sans pour autant démontrer des manquements professionnels de celui-ci, mais guidé seulement par un « excès de prudence ».
Néanmoins, lorsqu’elle existe, l’intention de nuire ou la mauvaise foi peut caractériser la faute. Tel peut être le cas lorsque les pourparlers ont été engagés dans le but d’empêcher une partie de négocier avec un tiers ou afin d’obtenir la révélation d’informations confidentielles [4].
De même, a été jugé comme est fautif le fait pour une personne physique de poursuivre pendant plusieurs mois des négociations à titre personnel, en cachant à son partenaire qu’elle agissait en réalité au nom et pour le compte d’une personne morale, la maintenant ainsi dans la croyance d’une future collaboration [5].
2- Sur l’étendue du préjudice pouvant être réclamé
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, seuls les préjudices qui procèdent d’une faute, d’une rupture abusive des pourparlers sont réparables, à condition qu’ils aient bien été causés par cette faute.
C’est la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui a d’abord jugé, à plusieurs reprises, et notamment dans son arrêt du 18 septembre 2012 [6] qu’il n’est pas possible de réclamer la perte d’une chance d’une chance sérieuse de conclure et d’exécuter le contrat négocié subi par la victime de la rupture.
Dans ce cas d’espèce, deux sociétés avaient entamé des pourparlers en vue de la conclusion d’un contrat de sous-traitance. Une des parties a rompu les négociations précontractuelles après plusieurs mois de pourparlers.
Dans cet arrêt du 18 septembre 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, au visa de l’article 1382 du Code civil, a jugé que « la faute de la société S consistait dans la rupture abusive de pourparlers au préjudice de la société B, elle ne pouvait pas indemniser celle-ci de la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat ».
Dans un autre arrêt, du 26 novembre 2013 [7], la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence en jugeant que « les circonstances constitutives d’une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne sont pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat. »
La Chambre civile de la Cour de cassation qui avait jusque-là une jurisprudence contraire s’est rangée à la position de la chambre commerciale en jugeant qu’« une faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels n’est pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat » [8].
La réparation du préjudice résidant dans la perte d’une chance de tirer profit de la conclusion et de l’exécution du contrat négocié est ainsi exclue parce que ce préjudice n’a pas été causé par la rupture abusive de la négociation mais par la rupture elle-même de la négociation.
En revanche, pourra être réparé du fait de rupture fautive des pourparlers, notamment :
• le préjudice consistant dans la perte subie par le négociateur en raison des diverses dépenses inhérentes à la négociation rompue (frais d’avocats, experts, les dépenses et dérangements, frais de voyage, les frais d’études préliminaires comprenant, le cas échéant, le recours à des spécialistes, …
• le préjudice résultant de l’atteinte à l’image ou à la réputation de la victime de la rupture. L’échec de la négociation étant, dans certaines circonstances, susceptible de laisser penser qu’il est dû au manque de compétence de ce dernier ;
• la perte de chance de conclure un contrat de même nature, notamment lorsque l’initiative ou la durée de la négociation auront constitué à un comportement de mauvaise foi de la part du négociateur qui la rompt, destinée à détourner son partenaire d’une autre négociation.
En conclusion, il sera précisé que lors de la signature d’un contrat de négociation (lettre d’intention, contrat de pourparlers, …), la responsabilité contractuelle de celui qui a rompu les pourparlers peut elle aussi être recherchée pour le cas où les obligations contenues dans ces documents contractuels n’auraient pas été respectées.
Jean-Baptiste Rozès
Avocat Associé
OCEAN AVOCATS
www.ocean-avocats.com
Profil
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Avocat Associé
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www.ocean-avocats.com
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Notes de l’article:
[1] Cass. com., 20 juin 2000, n° 96-16.497
[2] Cass. 1e civ. 6 janvier 1998, n° 95-19.199
[3] Cass., com. 11 juillet 2000, n° 97-18.275
[4] Cass. com., 3 octobre 1978, n° 77-10.915
[5] CA Versailles 21 décembre 2001 n° 99-6470, n° 11550
[6] Cass.com., n°11-19.629
[7] Cass com., n°00-10243
[8] Civ. 3, 28 juin 2006, 04-20040
[1] Cass. com., 20 juin 2000, n° 96-16.497
[2] Cass. 1e civ. 6 janvier 1998, n° 95-19.199
[3] Cass., com. 11 juillet 2000, n° 97-18.275
[4] Cass. com., 3 octobre 1978, n° 77-10.915
[5] CA Versailles 21 décembre 2001 n° 99-6470, n° 11550
[6] Cass.com., n°11-19.629
[7] Cass com., n°00-10243
[8] Civ. 3, 28 juin 2006, 04-20040
La numérotation des articles cités pour la responsabilité contractuelle n’est plus à jour. Vous devriez veiller à changer cette dernière. Cf. : articles 1382 et 1383 du Code civil.
Bonjour,
Merci pour votre article.
Est-ce que vos propos s’appliquent également pour des pourparlers sur une claim ?
Je pense notamment à des pourparlers engagés entre une entreprise et son sous-traitant en vue de résoudre une claim. Celle ci n’aboutit pas en raison d’une procédure d’action directe menée en parallèle et en toute discrétion par le sous-traitant.
Cordialement
Guillaume Louapre
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