Chaque année, le 8 juin, à l'occasion de la journée mondiale des océans, l'association Relais & Châteaux s'associe à Ethic Ocean pour sensibiliser ses clients à l'environnement marin. Cette année, les algues sont mises en lumière. Une ressource que défend ardemment, notamment en cuisine, Mathieu Guibert, le chef deux étoiles Michelin du restaurant Anne de Bretagne, à la Plaine-sur-Mer. Entretien.
Par Claude Vincent
Pourquoi avoir choisi les algues, comme thème cette année ?
Notre engagement pour sensibiliser les clients aux produits de la mer durables date de 2009 et depuis cinq ans nous célébrons la journée mondiale de l'océan, le 8 juin, en partenariat avec Ethic Ocean. On sait que les algues, encore trop négligées, sont indispensables à l'équilibre et à la biodiversité marine. Elles participent de façon vertueuse au cycle de la mer, depuis le plancton jusqu'aux animaux marins, elles séquestrent le carbone et produisent de l'oxygène, elles jouent le rôle de filtre de dépollution, elles ne nécessitent pas d'intrants chimiques, n'occupent pas de surface au sol… Et leurs variétés sont innombrables. Ainsi sur la côte de jade, de l'estuaire de la Loire au marais breton, on bénéficie de plus de 50 algues différentes comestibles plus ou moins rares que d'ailleurs je ne connais pas toutes.
Elles sont bonnes pour la santé, aussi…
Oui, les algues c'est bon, sain, healthy. Elles sont riches en iode, en magnésium, en calcium, en fibres et en antioxydants, elles n'ont pas de gras, pas de protéines animales et tout cela leur donne de nombreuses vertus santé. … On pourrait allonger à l'infini leur intérêt pour la planète, la santé, la cuisine…
On peut faire de la cuisine gastronomique avec les algues ?
La gastronomie, c'est être ingénieux. On vient à ma table, à la Plaine-sur-Mer, pour manger ce qu'on ne mange pas ailleurs, c'est comme à l'opéra ! Bien sûr, les algues ont leur place dans la cuisine gastronomique comme tous les produits dès lors qu'ils sont bons, qu'ils apportent quelque chose. Les algues ont leur identité propre, elles constituent une véritable culture souvent millénaire et une véritable richesse culinaire dans le monde entier. Il existe tellement d'algues différentes, le spaghetti de mer, la dulse, la nori, le wakamé… Cela fait des centaines d'années que la cuisine asiatique, japonaise, a réussi à les incorporer, en particulier dans les bouillons, pour les parfumer.
Comment les utilisez-vous en cuisine ?
De multiples manières. J'utilise beaucoup la laitue de mer, par exemple, qu'on récolte avec notre équipage depuis le Port de la Gravette, face à notre maison ! On va la cuisiner de façon très simple, par exemple hachée très finement avec de la laitue terrestre, pour assaisonner un tartare. On va également faire des mélanges d'algues, séchées à basse température, qui vont entrer dans un beurre moussant qu'on va déposer sur un filet de saint-pierre cuit à basse température pour qu'il reste moelleux. Ça va parfumer, à l'instar d'un poivre, et cela peut changer radicalement la direction d'un plat. L'algue, je l'utilise comme un exhausteur qui fait que vous sentez l'océan pénétrer dans votre palais. Ici, dans notre restaurant, on vend de l'iode, vous retrouvez dans l'assiette tout ce que vous voyez à l'extérieur, c'est un peu 20.000 lieues sous les mers ! Les algues apportent un supplément d'âme. Vous pouvez avoir quelque chose de très aromatique aujourd'hui avec une décoction d'algues, un bouillon.
Méli-mélo de coquillages de nos côtes, consommé d'échalotes légèrement gélifié, sauce à la laitue de mer.Anne-Emmanuelle Thion
D'autres exemples ?
Une autre façon de préparer la laitue de mer, par exemple, c'est de la blanchir dans l'eau et de la mixer avec un fumet de poisson et du jus de coquillage, ajouter un peu d'agar-agar, qui est aussi une algue, comme épaississant. Vous remixez et ça fait un gel qu'on peut mettre, en saison, sur un tartare d'huître et de bigorneaux, avec un morceau de bar. Onctueux, le gel va tapisser le palais et vous emmener sous la mer. J'en fais aussi des coulis, des sauces en prenant soin de les blanchir, les cuire, au dernier moment pour garder leur couleur. Quand je fais un fumet de boucau, ces petites crevettes grises je mets de l'algue séchée qui en se réhydratant va développer tous ses parfums. Et vous pouvez aussi les incorporer dans des sablés, des brioches, en mettre dans la fleur de sel… L'un des meilleurs desserts que j'ai mangé c'est l'estran, aux algues, de Christopher Coutanceau, à La Rochelle . En plus, les algues sont très aromatiques, peu protéiniques et digestes.
Les algues sont digestes, dites-vous. C'est important ?
Notre civilisation évolue, il ne faut pas mésestimer ça. On veut manger moins et mieux, pas trop riche et pas trop gras, de façon plus fine, plus goûteuse, plus percutante. Et dans ce contexte, la digestibilité c'est en effet important. C'est pouvoir se sentir bien à la fin du repas tout en ayant assez mangé. Il n'y a rien de plus désagréable que de passer un très bon moment à table mais en fin de repas de ne même plus pouvoir avaler la mignardise, d'avoir envie de somnoler le midi ou de mal dormir la nuit. Christian Le Squer, quand j'étais avec lui au Pavillon Ledoyen, me disait souvent que pour les sauces on ne peut plus rester dans le seul spectre – réduction beurrée crémée.
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Comment cuisiner les algues
On ne s'improvise pas cueilleur d'algues, j'imagine ?
Non, bien sûr. D'abord parce que toutes ne sont pas comestibles ou bonnes au goût et aussi qu'il faut respecter la ressource. On peut se renseigner auprès des associations locales, des mairies, des services sanitaires, respecter les interdictions de récolte, souvent en lien avec celles de la pêche à pied.
Les chefs de cuisine ont un rôle spécifique dans la promotion des algues ?
Préserver notre nature est un vrai sujet aujourd'hui. Les gestes d'hier et d'aujourd'hui forgent demain. Donc soyons dans le présent, agissons ! Avec son image de marque, sa vision et son réseau de 580 établissements dans 60 pays l'association Relais & Châteaux est un formidable moyen de communication. Dans cet esprit, les chefs ont bien évidemment leur part de responsabilité pour diffuser un peu de connaissance. Nous sommes aussi des lanceurs, des révélateurs de tendances. Nous devons donc intégrer les algues dans notre disque dur culinaire. Il faut les rendre plus sexy, étonner, surprendre, innover. Et éduquer les chefs et les consommateurs, rappeler sans relâche que les algues c'est bon pour la santé, le palais, la planète.
Claude Vincent
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