Habituellement, le marché des Favignolles s’étire le vendredi jusqu’à 13 heures. Au pied des tours de ce quartier populaire de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher), les habitués viennent refaire le monde au snack le Shadéen autour d’un plat de kebabs, de kofte ou de sucuk grillées à 5 euros.
Mais ce jour-là, Sedat, le patron, ne croule pas sous les commandes. La faute au ciel, qui déverse des trombes d’eau sans discontinuer depuis des heures ? « C’est plutôt que les gens n’ont pas d’argent et sont tous en galère, soupire ce père de trois enfants. Vous voyez, là, c’est l’heure du déjeuner et je n’ai pas un client. »
Il est loin le temps du plein-emploi et des commerces florissants. Quand l’usine Matra de « Romo » employait 3000 salariés, produisait la célèbre Renault Espace et était le premier employeur privé de la région. Lorsque le site a fermé, il y a seize ans presque jour pour jour, le coup a été brutal.
« Un tsunami économique », résumait à l’époque le maire de cette ville de 18 000 habitants. Depuis que la décision de fermer l’usine est tombée, annoncée depuis le siège du constructeur en région parisienne, la capitale est devenue ici le symbole du lieu où « tout se décide ».
« Tout est centralisé à Paris et nous, on subit des décisions, peste Sedat. On est très mal desservi en train et pour aller refaire ses papiers à la préfecture, on est obligé d’aller en voiture à Blois car on ne peut plus le faire ici. »
La réduction des services publics, l’augmentation du prix du gazole, autant de sujets qui font bondir Fred. Tenant un stand de vêtements près du snack de Sedat, il fait chaque semaine 500 km aller-retour pour aller s’approvisionner à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Autant dire qu’il subit de plein fouet le yoyo des prix à la pompe.
Et ne lui parlez pas de la réduction des vitesses, cette mesure à laquelle tient tant le Premier ministre. « À Paris, les 80 km/h, ça ne les impacte pas, mais nous, avec toutes nos routes couvertes de radars, si », soupire le commerçant. Comme beaucoup ici, il privilégie les départementales de Sologne, moins chères que l’autoroute, mais plus dangereuses avec les sangliers et les cerfs qui déboulent des sous-bois.
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S’il a du mal à supporter les automobilistes qui le « klaxonnent », le « regardent de haut » et le « prennent pour un paysan » quand il circule dans Paris avec sa voiture immatriculée 41, il supporte encore moins la centralisation du pouvoir dans la capitale.
« Dans ce pays, ça a toujours fonctionné comme ça : il y a la France qui est tout en haut et les autres, constate le quadragénaire. À Paris, il y a le roi et sa cour qui décident des nouvelles taxes, se gavent de bons vins et de bonne bouffe, pendant que nous vivons comme des gueux. »
« Hautain », l’adjectif revient souvent quand on demande aux habitants de « Romo » quelle image ils ont des Parisiens. Alors que le marché s’est maintenant vidé aux Favignolles, nous sortons du centre-ville pour emprunter… l’avenue de Paris, cernée de fast-foods, de magasins de pièces auto, de cuisinistes et d’enseignes de vêtements à bas coût.
Dans le centre commercial flambant neuf, on croise Michel et Françoise, retraités de la mécanique, qui ont fait 25 km pour venir faire leurs courses. « Avec tous ses transports et ses commerces, Paris est bien lotie mais nous, on n’a plus rien dans notre village, plus de boucher, bientôt plus de boulanger et pour aller voir le toubib, il faut venir à Romo », explique Michel. Il n’envie pas pour autant la vie de sa fille, qui vit en HLM près de Paris dans un lieu où « tout se dégrade ».
Angélique et Laura, la trentaine, ne troqueraient pas non plus leur maison avec jardin contre un appartement en région parisienne. « On a grandi à la campagne et on apprécie d’avoir de l’espace », confient ces deux mamans, gestionnaires en assurance.
« Y a-t-il une frontière entre nous et Paris ? C’est ça que vous voulez savoir ? » nous demande l’une des jeunes femmes. « Quand les Parisiens se déplacent en Sologne, on sent que c’est une autre classe sociale qui vient y passer ses week-ends, ironise Laura. Ils arrivent avec leur grosse voiture, vont dans les restaurants gastronomiques et les boutiques de chasse. Mais heureusement qu’ils sont là pour faire vivre les petits villages. »
Car depuis le départ de Matra, obtenir du travail à Romorantin est souvent une vraie gageure. Catherine, 45 ans, en sait quelque chose. « J’ai payé des études à ma fille mais elle ne trouve pas de boulot », confie, dépitée, la maman qui, elle, a eu plus de chance.
Salariée d’une entreprise dont le siège est à Paris, elle ne se fait pas toutefois pas d’illusions sur l’image de provinciale que lui colle à la peau. « Pour eux, on est des petits, des pécores, ils nous imaginent avec la baguette et le béret », soupire l’ouvrière. Un jour, l’une de ses collègues parisiennes lui a demandé comment elle faisait pour s’habiller. Malaise. Et puis cette réplique cinglante : « Je lui ai répondu que j’avais des moutons, que je récoltais moi-même la laine et que je tricotais mes vêtements. »
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