Challenges Politique
Abonnés
Passé de la gauche “droit-de-l’hommiste” à la droite “populiste”, le voilà qui appelle maintenant à faire bloc derrière Emmanuel Macron. Et surjoue sa posture d’élu de province de bon sens.
 
“Je m’en contrefiche, tant que je ne me trahis pas”, assure Robert Ménard. 
Pas facile de suivre Robert Ménard. Au sens propre, car le maire de Béziers mène des journées harassantes. Démarrant à 7h30, il enchaîne les rendez-vous, pour préparer le prochain conseil municipal, établir le budget, s'enquérir du club de rugby, organiser le défilé du 14 juillet. L'édile pose deux questions, conclut d'un "vous avez bien compris?" devenu un tic de langage, et passe au sujet suivant. Sans compter ses virées à travers la ville avec son épouse, Emmanuelle Ménard, députée en campagne de ce coin de l'Hérault. Il se dit "épuisé" mais n'arrête pas une minute.
Difficile à suivre aussi au sens figuré. Car, à 68 ans, la trajectoire politique du Biterrois affole les boussoles et perd ses amis. Trotskiste puis socialiste, issu de la mouvance rebelle des radios libres, il s'est bâti une stature en cofondant l'association Reporters sans Frontières (RSF), notamment avec Rony Brauman, figure de l'engagement humanitaire, qu'il dirigea vingt-trois ans. De quoi s'imposer en personnalité de la gauche "droit-de-l'hommiste".
Mais en 2008 s'amorce un tête-à-queue vers l'autre extrême. "Quand il a quitté RSF, pour aller travailler au Qatar, ça nous a étonnés", euphémise Vincent Brossel, ancien camarade de RSF. Le voilà nommé à la tête d'un "Centre pour la liberté de l'information"… dans cet émirat relégué 80e du classement RSF. L'aventure tourne court, mais quand il revient, Ménard a changé de ton et d'idées, glissant dans une ligne réactionnaire. Editorialiste à la radio, il invite les sulfureux Dieudonné et Alain Soral. Il écrit avec son épouse un livre au titre provocateur Vive Le Pen!. Crée le site média très droitier Boulevard Voltaire. "Je n'ai vraiment pas compris", déplore le cinéaste Romain Goupil, son "ex-pote" de gauche. Quand il se lance à la conquête de la mairie de Béziers en 2014, avec le soutien du Front national, c'en est trop. Les anciens de RSF signent, dans Libération, une tribune pour déplorer "une dérive ambiguë imputable à une quête désespérée de reconnaissance". Même s'ils n'ont jamais été encartés, Ménard mari et femme ont depuis gardé le soutien du parti d'extrême-droite, lui pour la mairie, elle pour la députation.
Or, voilà que le revendiqué "populiste identitaire conservateur" prend aujourd'hui un nouveau virage inattendu, vers le centre. Ce chantre de l'union des droites, qui a fait de Marine Le Pen sa candidate et poussé Eric Zemmour à se lancer dans la présidentielle, après avoir essayé de jouer le casque bleu entre eux, s'est mué en sniper contre les deux. A la première, il reproche son programme. "On paye un point de vue qui n'a pas de sens sur l'Europe. Sur l'économie, on a fait la course après Mélenchon. Sur l'Ukraine, il y a eu un tropisme pro-russe", lâche-t-il au lendemain de sa défaite au second tour. Du deuxième, il conspue l'idéologie "d'une brutalité effrayante". Maire d'une des villes les plus pauvres de France, il ne supporte pas son "mépris de classe". Edile d'une cité méditerranéenne, il juge "stupide" de vouloir interdire les prénoms musulmans, "impossible" d'interdire le voile.
A l'inverse, Robert Ménard distribue les bons points à Emmanuel Macron, sur le passe sanitaire face à la pandémie, sur la gestion de la crise en Ukraine. "Quel homme politique aurait fait mieux?" Avec pour point d'orgue une tribune dans le Figaro le 11 mai où il appelle à "faire bloc" derrière le président pour lui donner une majorité face au "danger" Jean-Luc Mélenchon. Ses amis nationalistes s'étranglent. "Robert Ménard n'a plus de lien avec la rédaction de Boulevard Voltaire", précise le média d'ultradroite. Quatre conseillers municipaux ont claqué la porte. Les anciens compagnons de route du Front national le lynchent: "Cireur de pompes officiel de Macron", tacle Nicolas Du-pont-Aignan, "il n'a pas de colonne vertébrale", renchérit Florian Philippot, "c'est l'opéra-bouffe!" persifle Gilbert Collard. "J'ai énormément de mal à le suivre", avoue, plus sobrement, Marine Le Pen. Le voilà soupçonné de chercher à se recaser dans le gouvernement.
Alors, traître en série, Ménard? "Je m'en contrefiche, tant que je ne me trahis pas", assure l'intéressé qui entend "faire de la politique sans réflexe pavlovien". Ses amis le défendent des accusations de girouette opportuniste. Ancien collègue à RSF, Hervé Deguine, resté proche, rappelle que Robert Ménard a été séminariste: "C'est un idéaliste qui transfère ses vœux d'absolu au fil du temps." Le Vert Daniel Cohn-Bendit, qui le fréquente de longue date dans les radios et télés, analyse: "Il a sa propre morale, qui ne correspond à aucune autre. Et il s'y tient." L'adversité ne lui fait pas peur. "Il est courageux, je l'ai vu se mettre en danger physiquement", relate Romain Goupil se souvenant comment Ménard a été tabassé en 2003 pour s'être cadenassé aux grilles de l'ambassade de Cuba, réclamant la libération de quatre-vingt journalistes.
Reste qu'être traité en "paria" toutes ces années est dur à vivre. "Le prix de ma liberté", philosophe-t-il. "En quittant RSF, on a perdu la moitié de notre carnet d'adresses, soupire Emmanuelle Ménard, ex-militante de la Fédération internationale pour les droits humains qui a suivi le même parcours sinueux. Ça n'a pas été agréable." De quoi apprécier la visite du président Macron à Béziers en novembre qui, outre un chèque de 200 millions pour développer l'entreprise d'hydrogène vert locale Genvia, a gratifié la députée et le maire d'une franche poignée de main, lui qui déteste "qu'on me tende mollement le poignet comme à un pestiféré". Grand affectif, Ménard l'isolé répète cependant à tout va qu'il n'a plus confiance qu'en sa femme et conseillère (son quatrième mariage) qu'il "aime éperdument". Et en les Biterrois: "Trouvez-moi un seul maire d'une ville de 80.000 habitants aussi bien élu que moi!" affiche avec fierté le vainqueur au premier tour avec 69% des voix en 2020.
La confrontation à la réalité des problèmes de ses administrés, là serait la clé de sa mue vers moins d'outrance, plus de nuance. A son arrivée à l'Hôtel de ville, il y a huit ans, Ménard fait feu de tout bois. Il couvre sa ville d'affiches tapageuses, figurant une foule de réfugiés syriens devant une église avec en gros "Ça y est, ils arrivent! Les migrants dans notre centre-ville". Il poste une vidéo où il enjoint un sans-papiers de quitter un squat, scandant "Vous n'êtes pas les bienvenus ici". Un jour, il envisage de collecter l'ADN de tous les chiens de la ville et faire analyser les crottes dans les rues pour verbaliser leurs propriétaires. Un autre, il commande des blouses pour tous les écoliers… vite remisées. Pour écrire un guide touristique de Béziers, il veut faire appel à Renaud Camus, théoricien du "grand remplacement", "pour sa plume inégalable". Jean-Michel du Plaa, historique opposant socialiste, se souvient de ses débuts: "Il en faisait des tonnes: pour être Français, il fallait être blanc, il vantait la peine de mort… Même Marine Le Pen et Louis Aliot trouvaient qu'il allait trop loin!" Tout est bon pour faire des coups qui feront parler de lui et de sa bourgade. "Il jouit d'un meilleur flair qu'Ipsos, assure Thierry Antoine, opposant Vert à la mairie. En pleine crise des “gilets jaunes”, il a fait poser tout son conseil municipal, pourtant composé de grandes fortunes locales, en gilet jaune en signe de soutien!"
Mais, au fil du temps, il s'est calmé. "On s'est frotté au terrain, on n'est pas dogmatiques, mais pragmatiques", livre Emmanuelle Ménard. Son mari dit désormais en avoir marre "du simplisme et des propos de comptoir", quitte à "tâtonner" et assumer ses contradictions.
Aujourd'hui, il surjoue sa posture d'élu de province, de bon sens et à l'écoute. "Depuis que j'ai été élu maire, j'ai appris la vraie vie. J'ai découvert que j'aimais plus les gens que les idées. J'ai appris à être moins arrogant, au fil des expériences, des petits mots, des regards blessés." La preuve, son mea culpa spectaculaire sur les immigrés après l'arrivée des réfugiés ukrainiens. Evoquant cette musicienne arrivée d'Ukraine qu'il a reçue chez lui avec deux enfants, les yeux s'embuent: "Je suis pied-noir. J'ai quitté mon pays en guerre. J'ai enjambé des corps morts. Je me suis revu, enfant, quand j'étais perdu. Moi aussi j'ai été mal accueilli quand je suis arrivé d'Algérie en 1962." Allant au bout de sa logique, il avoue sa "honte" face à sa réaction passée devant l'afflux de Syriens et Irakiens, fuyant eux aussi la guerre.
"Dire: ceux-là, ils sont européens et chrétiens on peut les accueillir et ceux-là, parce qu'ils sont musulmans et pas européens, on ne peut pas, c'est dégueulasse. Mes affiches, c'était une connerie et les propos que j'ai pu tenir, je les regrette."
Ne pas s'y tromper, Ménard continue de se plaindre d'une immigration massive, de réclamer la fin du droit du sol et l'arrêt du regroupement familial. En visitant des appartements vacants dans la cité aux Oiseaux, il illustre: "Ici, on n'arrive même pas à faire vivre ensemble des Gitans andalous et des Gitans catalans! J'en ai marre des leçons données par mes confrères de la presse parisienne ou des politiques qui me cassent les couilles! A Béziers, on a testé plein de choses. On avait même fait venir une famille non gitane pour la mixité. Mais ils lui ont pourri la vie, il y a eu une fusillade…" Même quand, par une douce soirée de mai, à la sortie d'un spectacle scolaire avec son épouse, le maire voit, sur la paisible place Jean-Jaurès, des jeunes qui courent, d'autres à trottinette, des habitants se prélasser en terrasse, il observe la scène d'un œil désabusé et commente: "Qu'il est difficile de faire cohabiter les gens!"
Mais l'élu a su sortir de l'obsession de l'immigration, pour s'attaquer aux problèmes prioritaires de sa ville, en long déclin. Avec l'idée de "faire revenir le luxe à Béziers". Un défi quand un quart des commerces sont vacants et que 30% des habitants du centre-ville vivent sous le seuil de pauvreté. Il a convaincu la première fortune locale, Jean Guittard, propriétaire du groupe Gazechim, réputé très à droite, d'ouvrir un hôtel quatre étoiles, en 2015, puis un restaurant chic en 2019. En 2021, c'est le chef triplement étoilé Gilles Goujon qui a installé un bistrot gastronomique. En dix ans, le budget travaux a doublé, à 48 millions d'euros. Alliés et opposants en conviennent, les façades ont été ravalées. Les allées, nettoyées.
"Robert Ménard recherche l'effet carte postale", ironise Jean-Michel du Plaa, qui pointe que "les chiffres socio-économiques de Béziers sont toujours aussi mauvais". Le taux de chômage demeure supérieur de trois points à la moyenne nationale. Le nombre d'allocataire du RSA n'a pas baissé. Pas de quoi démoraliser le maire, qui se démène pour accueillir un parc à thème autour du jeu vidéo, projet à 300 millions mené par un homme d'affaires local, Bruno Ganja. "J'espère qu'on ne nous mène pas en bateau, interpelle Thierry Antoine. Bruno Ganja avait déjà promis monts et merveilles à Toulouse… et puis rien." Ménard a encore quatre ans pour redresser sa ville. En 2026, il l'a annoncé, il ne se représentera pas. Et arrêtera la politique? Rien n'est moins sûr. Même s'il dit exécrer l'intelligentsia parisienne, il clame qu'il est "au service de son pays". Il faudra encore le suivre.
1953
Naît à Oran, fils de pieds-noirs.
1962
Rapatrié d'Algérie dans l'Aveyron, puis à Béziers.
1978
Crée la radio libre Pomarède.
1985
Cofonde l'association Reporters sans Frontières.
2003
Epouse Emmanuelle Duverger.
2008
Décoré de la Légion d'honneur par Bernard Kouchner.
2011
Crée le média Boulevard Voltaire.
2014
Elu maire de Béziers.
2020
Réélu.

(J. Saget/AFP)
1. Août 2008, manifestation à Paris avant les JO de Pékin. Dernier coup d'éclat de Robert Ménard à RSF. Il grimpe de nuit sur Notre-Dame pour y brandir un drapeau "Freedom in China".
2. Février 2015, campagne d'affichage pour la police armée. Il a été élu maire de Béziers un an plus tôt avec l'appui du FN.
3. Décembre 2015, soutien à Marine Le Pen pour les régionales. Après la présidentielle 2017, il déclare le débat d'entre-deux-tours "calamiteux". Ils ne se parlent plus pendant trois ans.
4. Octobre 2021, avec son ami Eric Zemmour, à Béziers. Partisan de l'union des droites, il le croit capable de faire le pont entre LR et le RN mais est vite refroidi par la "dureté" de ses positions.
5. Novembre 2021, avec Emmanuel Macron dans sa ville pour l'annonce d'un investissement dans la filière hydrogène. Ménard salue son "courage pas sectaire". La fachosphère se déchaîne contre "l'imposteur".

(M. Euler/AP/Sipa)

(S. Thomas/AFP)

(P. Guyot/AFP)

(C. Simon/AFP)

(I. Harsin/Sipa)
Daniel Cohn-Bendit, ex eurodéputé écologiste: "Il est celui qui se bat contre des moulins à vent pour faire passer sa vérité."
François Bayrou, Haut-Commissaire au plan, fondateur du Modem: "Son évolution sur les six derniers mois est courageuse et paraît sincère. Robert Ménard n'est ni quelqu'un de négligeable ni de méprisable."
Gilbert Collard, eurodéputé (Reconquête!): "C'est un egolâtre. Il est sa propre source d'inspiration. On a toujours l'impression d'être son faire-valoir."
Florian Philippot, président des Patriotes: "Il dit une chose et son contraire. Et se prend pour un père la morale qui dit le vrai du faux, le bon du mal, comme s'il n'avait pas de bilan, de passé."
Victor Alzingre, conseiller municipal à Béziers, passé dans l'opposition (Patriotes): "A la mairie, il n'y a pas une tête qui dépasse, personne pour le contredire. L'avantage c'est que tout avance comme il veut, l'inconvénient c'est qu'il rate des sujets. Comme le développement économique de la ville, bien faible."
Pierre-Emmanuel Azam, fondateur du journal satirique La Pieuvre du Midi: "Il nous a bannis de la médiathèque pendant quelques mois… Etonnant pour un grand défenseur de la liberté d'expression!"
La liberté, la sienne et celle des autres.
Sa femme, haut et fort.
La polenta de sa mère.
Le Premier Homme, d'Albert Camus.
Les partis politiques.
Le froid de l'hiver 1962.
La "moraline des gens bien". Qu'on puisse douter de sa sincérité.
Rassemblement national
Déjà un compte ? Je me connecte
Déjà un compte ? Je me connecte
Accepter et continuer
Centre de préférence
de vos alertes infos
Vos préférences ont bien été enregistrées.
Si vous souhaitez modifier vos centres d’intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.
Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?
Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

source

Catégorisé: