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Héritier du drame des exilés espagnols, Vincent Zaragoza a mis sa vie en danger pour exfiltrer des familles de harkis, en proie aux sévices dans l’Algérie indépendante de 1963. Un livre publié ce jeudi 15 septembre raconte le sort de ces supplétifs de l’armée française et des quelques bienfaiteurs qui leur ont porté secours.
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Vincent Zaragoza, désobéir face à l’abandon des harkis
À gauche, Vincent Zaragoza, 82 ans, a exfiltré des dizaines de Harkis en 1963 ; à droite, sa carte d’identité et son livret militaires.
Antoine Oberdorff
Dans la paisible demeure orléanaise, la lumière de midi nimbe une table basse en bois massif sur laquelle sont disposés des documents jaunis par le temps. Les fragments d’une existence très tôt marquée par l’exil, celle de Vincent Zaragoza : une carte de l’Office de protection des réfugiés et apatrides que ce fils de républicains espagnols conserva jusqu’à sa majorité ; un certificat d’obtention de la nationalité française daté de 1958 qui promettait au jeune homme un enrôlement certain en Algérie, comme tous les garçons de sa classe d’âge.
Là-bas, il deviendra l’un de ces jeunes conscrits ayant désobéi aux ordres des autorités françaises afin de soustraire les harkis – ces 250 000 supplétifs de l’armée française entre 1954 et 1962 – aux représailles des indépendantistes du FLN (Front de libération nationale) après la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962. Soixante ans plus tard, l’homme de 82 ans s’empare de son livret militaire. « J’ai peine à croire que c’était bien moi », sourit-il, en regardant une photo monochrome sur laquelle on aperçoit un jeune premier au regard franc, cheveux bruns impeccablement coiffés.
C’est pourtant bien ce garçon d’une vingtaine d’années qui rejoint l’école d’officiers de Cherchell en 1962 pour effectuer son service militaire en Algérie. Il y découvre les horreurs de la guerre et s’identifie aux populations locales : « Lorsque je surveillais le camp de Soulléamas depuis un mirador, j’observais un bidonville dans lequel on ne voyait jamais d’hommes, mais des femmes voilées et des enfants dépenaillés. Je me suis reconnu dans ces enfants, ils étaient moi quand j’avais leur âge. »
Parmi eux, des familles de harkis. Pour l’héritier de la Retirada, pas question d’abandonner à leur sort ces auxiliaires de l’armée française et les leurs. Alors quand l’un de ses compagnons d’armes fait appel à lui pour leur venir en aide, après l’indépendance, l’officier de réserve Zaragoza sait ce qui l’attend. Un acte d’humanité, mais aussi d’insubordination puisqu’une note de l’état-major du 24 août 1962 précisait bien « qu’il ne fallait procéder, en aucun cas, à des opérations de recherche dans les douars (habitations, NDLR) de harkis ou de leurs familles ».
En bravant les ordres, Vincent Zaragoza encourt une double peine : au risque d’être tué par les forces de l’ordre algériennes s’ajoutait la menace du peloton d’exécution pour acte de désobéissance, à son retour en France. Est-ce l’inconscience de sa jeunesse ou simplement sa bravoure ? Chaque soir de mission, après le dîner, il prétexte une invitation au mess des officiers pour s’embarquer dans un fourgon, sur les routes sinueuses du djebel, les montagnes d’Afrique du Nord, où des familles attendent dans la pénombre.
À l’évocation de ces opérations clandestines, les grandes mains de Vincent Zaragoza se crispent à l’intérieur de ses cuisses. « J’empoignais des gamins squelettiques, ils étaient transis par la peur. Les hommes aidaient ensuite leur femme à grimper et on décampait. » Arrivé au poste de commandement d’Oran, les familles sont confiées au capitaine major Orlanducci, autre bienfaiteur alors anonyme. Entre avril et août 1963, Vincent Zaragoza a ainsi orchestré une dizaine de « récupération de colis », le nom de code donné à ces opérations à haut risque. Comme lui, des dizaines d’hommes et de femmes mirent à l’abri près de 43 000 personnes, dont plus de la moitié était des enfants. Faute d’une telle protection, au moins 55 000 harkis auraient été massacrés dans les semaines qui suivirent l’indépendance de l’Algérie.
Que sont devenus les survivants, une fois arrivés de l’autre côté de la Méditerranée ? Ont-ils rejoint l’un des camps de fortune du sud de la France où les « indésirables » étaient relégués, comme ses propres parents l’avaient été lorsqu’ils avaient fui le franquisme ? La question habite Vincent Zaragoza depuis toutes ces années.
À son retour à la vie civile, à la fin du mois d’octobre 1963, Vincent Zaragoza s’était fait une raison : jamais il ne retrouverait la trace des familles de harkis qu’il avait exfiltrées, ni celle des camarades qui menèrent des opérations clandestines à ses côtés. Un silence s’était installé, que rien ne semblait vouloir perturber. Jusqu’à ce que l’historienne Fatima Besnaci-Lancou ne réveille ses souvenirs pour les déposer dans un livre (lire ci-dessous). Reliant au fil des pages l’histoire de cette fille de harkis, qui a grandi dans le camp de Rivesaltes, et celle d’un fils de réfugiés espagnols élevé dans le même dénuement.
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L’historienne Fatima Besnaci-Lancou et Houria Delourme-Bentayeb, toutes deux descendantes de harkis sauvés par des militaires et expatriés en France en 1962, publient Ils ont dit non à l’abandon des harkis. Désobéir pour sauver aux Éditions Loubatières, ce jeudi 15 septembre. Un ouvrage qui explore les motivations plurielles de celles et ceux qui n’ont pas accepté le sort réservé aux harkis. Certains ne sont plus de ce monde, le plus illustre d’entre eux étant sans doute le général François Meyer, décédé au mois de juin dernier et qui avait sauvé 300 harkis.
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