Au Portugal, Comporta est le secret le mieux gardé de la jet-set : un paysage hors du temps derrière une plage sans fin. Simplicité obligatoire.
Le salon de Jacinta, la coiffeuse, n’a pas changé depuis les années 1960… et elle n’en revient pas : jamais elle n’aurait imaginé manucurer, coiffer, « brusher » Isabelle Adjani ou Farida Khelfa  ! Comment sont-elles arrivées chez elle ? Tout simplement parce que ce sont des amies de Jacques.

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Jacques, c’est Jacques Grange, le décorateur du Tout-Paris. Un jour, il a pris en stage Vera Espirito Santo, membre de la dynastie de banquiers portugais qui, en 1955, ont acquis les 12 500 hectares de la Herdade da Comporta, au sud de Lisbonne, pour en faire une réserve de chasse. « Je cherchais une maison sur une plage, se souvient Jacques Grange. Lorsque j’ai aperçu, depuis un hublot, cette bande de sable déserte, j’ai succombé. » A l’époque, le paysage était plutôt sauvage : « Il n’y avait pas d’eau potable, encore un groupe électrogène et des tôles ondulées partout. » Pour certains, ce serait le désert. Pour le décorateur, c’est « l’esprit Hamptons ». La seule comparaison que les amoureux de Comporta trouvent légitime, davantage que le « Cap-Ferret des années 1970 », le « Saint-Trop’ de B.B. » ou le « Marrakech de Saint Laurent », toutes évocatrices de paradis perdus.

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« On ressent ici un rare sentiment de liberté. On vit dehors, au milieu des dunes et des pins, d’où l’on entend rugir l’océan », explique Jacques Grange. Et on change de terrasse, selon le soleil. Simplicité de rigueur. Pas de piscine à débordement mais un accès direct à la plage, et même, si possible, une salle de bains en plein air. Pas de villas, mais des cahutes. Dans sa « cabane africaine », où trônent deux forêts sculptées de la plasticienne Eva Jospin, le décorateur a installé un Jacuzzi extérieur. Cette cabane, c’est son jouet préféré ; il ne la prête à personne, mais il veut bien en dessiner d’autres pour les amis. Comme pour Farida Khelfa et son mari, Henri Seydoux. Ou pour Françoise Dumas, la prêtresse des réceptions mondaines, qui s’est installée « en villageoise », comme elle dit, dans une ruelle typique. Elle ne se déplace qu’à bicyclette. De l’ancienne maison, qu’elle a rachetée en 2009 à un paysan, il ne reste qu’un néflier.
Comporta s’applique à rester fidèle à elle-même mais attire les footballeurs, si l’on en croit Eric Cantona et Cristiano Ronaldo.
« Jacques a tout remis à plat, repensant les volumes, créant des ouvertures. » A l’intérieur, des paniers colombiens, des céramiques de la Portugaise Bela Silva et, aux murs, les ravissants dessins, à son signe astrologique, que Karl Lagerfeld lui adresse à chaque anniversaire. Son rêve le plus fou ? La cabane du fond du jardin – « Jacques a fini par céder » –, où elle régale « en toute simplicité » ses convives de mets locaux servis dans de jolies terres cuites et assortis de Petit Mouton Rothschild. « On vit ici comme des Robinsons, connectés à la nature », explique-t-elle. Pendant la Coupe du monde de football, chez Patrick Perrin, cofondateur du Pavillon des arts et du design à Paris, c’était « à la bonne franquette », spaghettis et Ruinart qui coule à flots… « Jacques Grange a eu l’ingéniosité de protéger la zone, en s’entourant de ses amis », reconnaît-on. « Je leur ai donné le virus », acquiesce l’architecte. Il a dirigé la réhabilitation d’une cinquantaine de cabanes, qui font le « style Comporta ».

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L’hiver, la population n’est que de 3 000 habitants. L’été, elle triple. Pourtant, on continue à se sentir en terrain connu tant on croise de visages aperçus dans les magazines. Des agriculteurs aux visages burinés font toujours la sieste en pantalon et bretelles, mais il arrive que Claudia Schiffer, après avoir déjeuné au Sal, s’essaie à quelques dribbles sur le sable. Harrison Ford et Michael Fassbender cultivent leurs pectoraux, Mick Jagger rend visite à un de ses fils. Madonna galope sur les pur-sang du club de José Ribeira. Rebecca, la fille du bar Ilha do Arroz, se pince encore pour y croire : « L’été dernier, elle a craqué pour mon burger végétarien et m’a embauchée comme cuisinière ! » Madonna est aimée de tous, mais ses gardes du corps, ce n’est pas le genre de la maison… « On est plutôt “low profile” », avertit une Portugaise distinguée. Pas de chance, en 2017 le « New York Times » a classé l’endroit au 25e rang de ses destinations préférées. Depuis, c’est l’assaut. Mais, pour l’instant, la citadelle résiste. Pas l’ombre d’un yacht à l’horizon, aucune marina aménagée, et les plages ne disposent que de trois accès publics… Comporta s’applique à rester fidèle à elle-même, protégée par son eau à 16 °C et ses redoutables moustiques qui éloignent les peaux trop sensibles mais attirent les footballeurs, si l’on en croit Eric Cantona et Cristiano Ronaldo.
 Je suis parti il y a plus de dix ans, tonne-t-il. C’était pour avoir la paix, et voilà que je retrouve tout Paris !
On n’y trouve que cinq restaurants et un hôtel, le Sublime Comporta, 14 chambres, 22 villas perdues dans une pinède. Et une table gastronomique où l’on s’initie aux joies du potager – moyennant 145 euros, tout de même. Chez O Dinis, ouvert par un ancien pêcheur, on déguste le meilleur bar de la côte, généreusement sculpté par les eaux glacées. Mais le soir, pas question de trouver un dancefloor… Des petites astuces grâce auxquelles les happy few de Comporta espèrent encore repousser l’espèce honnie entre toutes : le touriste. Renate Graf, ex-femme de l’artiste allemand Anselm Kiefer, a le visage qui s’illumine quand elle évoque ses baignades, été comme hiver, ou lorsqu’elle décrit ses cultures de salades. Puis son visage s’assombrit comme un ciel d’été sous l’effet de l’orage : « Quand arrive le mois d’août, on fuit à Los Angeles ! » Grâce au traducteur téléchargé sur son Smartphone, elle échange en toute simplicité avec ses employés de maison. « La langue est si compliquée… », soupire-t-elle.
Le QG de ces aficionados, c’est l’avenue du 18-Décembre, l’artère principale, avec son marchand de journaux et son Crédit agricole. Ce matin, une seule Rolls noire y est garée, celle de Christophe Sauvat, le cofondateur de la marque Antik Batik qui habille la famille Espirito Santo. Il vient d’ouvrir un magasin éphémère, dédié à la mode « gypsy chic ». « Je suis parti il y a plus de dix ans, tonne-t-il. C’était pour avoir la paix, et voilà que je retrouve tout Paris ! » Certains garent leur Land Rover sur le bas-côté, puis viennent siroter une orange pressée chez Tulipa avant de passer au Stork Club, le magasin que Jacques Grange a ouvert avec son compagnon, le galeriste Pierre Passebon. Florence Grinda, ex-épouse de tennisman, est en train de le dévaliser : « Des pots pour mes cactus », explique-t-elle. Son jardin est signé du paysagiste des Tuileries, Louis Benech. A côté, Alexandre, un jeune Français, dessine des lampes et des meubles que des artisans locaux fabriquent : « Jacques m’a encouragé », précise-t-il. « Si je suis encore là, c’est grâce à lui », ajoute, ému, José Antonio, l’antiquaire. Décidément, Jacques Grange est bien le phénix des hôtes de Comporta.
Indice du succès, les prix de l’immobilier : en trois ans, ils ont triplé. « Comptez désormais 1,5 million d’euros pour une maison de 4 chambres »
Les nouveaux venus ne sont pas des ingrats. Envers ceux qui leur ont ouvert les portes de ce paradis, ils se montrent généreux… La maison de la jeunesse, à l’entrée du village ? Ils se sont tous cotisés. Comme pour le camion flambant neuf des pompiers. Mais qu’on ne croie pas que M. le maire se montre plus accommodant pour autant… Christian Louboutin a beau être le chausseur des stars, trois routes menaçaient les environs de sa maison. Fâché, il a mis les voiles vers Melides.
Ce soir, c’est sur les dunes vallonnées de Brejos que ça se passe. Un condominium ultrasécurisé, avec barrières verrouillées. « Des touristes faisaient le tour des villas, importunant les habitants », explique un résident. Comme à Saint-Trop’ ? « Plutôt Neuilly ! » précise-t-il. Albina du Boisrouvray, comtesse et créatrice de la fondation humanitaire FXB, se vante d’avoir la cabane la plus modeste du paysage, « rafistolée » par ses soins. Les mondanités ? Très peu pour elle. Son côté ermite n’englobe pas sa filleule Charlotte Casiraghi, ses frères et le prince Albert. Couverte d’une tunique en voile azur, elle explique : « Ici, je me libère du corset des obligations », quitte à vexer les voisins. Pour elle, pas de plus beau spectacle que le coucher de soleil, accompagné du coassement des grenouilles ; pas de dîners plus élégants que ses pique-niques improvisés jusque tard sur la plage. Cet été, elle est en rogne et le fait savoir, dans un « e-mail à tous » : « Je suis venue ici il y a vingt-deux ans pour me reconnecter à la solitude et au silence. Si personne ne se mobilise, cet esprit va se perdre. »
Le « prince jardinier » Louis Albert de Broglie, à l’origine du Conservatoire national de la tomate, en Touraine, planche depuis deux ans sur un plan de sauvegarde : Comporta Utopia.
C’est que les projets ne manquent pas : un Club Med pourrait s’installer à Troia. Mais pas seulement : il y a aussi La Réserve, du groupe français Lançou. On parle d’un afflux de 500 touristes ! Sans oublier les cabanes de Miguel Cancio Martins, l’architecte du Buddha Bar parisien. « Trois étages, c’est indécent ! » fulmine l’entrepreneur Nuno Carvalho. Indice du succès, les prix de l’immobilier : en trois ans, ils ont triplé. « Comptez désormais 1,5 million d’euros pour une maison de 4 chambres », détaille Tracy Francelet, chargée des relations publiques du Pavillon des arts et du design. Et si le refuge se changeait en un nouvel Algarve ? Pour les habitués, c’est le mot qui fait peur. L’élégant Carloto Beirao da Veiga (Espirito Santo par sa mère), administrateur de la Herdade, se veut rassurant : « Les trois réserves naturelles sont classées ; les constructions, interdites à moins de 1 000 mètres de la plage. Les projets n’excèdent pas 0,5 % des 12 500 hectares. »
Le « prince jardinier » Louis Albert de Broglie, à l’origine du Conservatoire national de la tomate, en Touraine, planche depuis deux ans sur un plan de sauvegarde : Comporta Utopia. « Rien d’utopique, pourtant », affirme-t-il. Il a déjà imaginé des écoquartiers innovants, à Versailles et en Chine. Ici, sur 750 000 mètres carrés, il rêve de développer une nouvelle économie autour de la nature, de l’art et de l’éducation, avec sept centres, dont un musée, une école, des centres de médecine, de conférences…
Pour Patrick Perrin, la Herdade da Comporta appartient à ceux qui se lèvent tôt. Comme à son habitude, il s’est réveillé à 6 heures tapantes. Sa sublime villa, La Quinta dos Pinheiros, domine des rizières verdoyantes peuplées de cigognes, de hérons et d’ibis noirs. Ce pourrait être la Chine ou bien Bali, c’est le Portugal. Bravant les vents contraires, il enfourche son vélo – électrique –, pédale jusqu’à Carrasqueira, un des sept villages de pêcheurs. Après deux heures de route, il commande un poulet grillé-frites au Gloria, un restaurant où tout est d’esprit cantine. La simplicité, toujours. 
« Comporta Bliss », de Carlos Souza et Charlene Shorto de Ganay, éd. Assouline.

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