Associations, collectifs et personnalités toulousaines saluent la première action de groupe lancée en France ce mercredi contre l'Etat par des ONG, qui mettent en demeure le gouvernement de faire cesser les contrôles d'identité discriminatoires sous peine de saisir la justice.
“Aujourd’hui quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (..) On est identifié comme un facteur de problème et c’est insoutenable”. Ces propos n’émanent pas d’un citoyen lambda, mais du président de la République en personne. Emmanuel Macron les a tenus sur le média en ligne, Brut, au début du mois de décembre. Ils intervenaient après une succession d’affaires mêlant violences policières et accusations de racisme dans la police, dont le tabassage fin novembre du producteur de musique noir, Michel Zecler.
Ce mercredi, cinq jours avant le lancement du “Beauvau de la sécurité”, cette grande concertation nationale sur la police annoncée par Emmanuel Macron après l’agression, le gouvernement est mis au pied du mur par six ONG (*), dont Amnesty International France et Human Rights Watch.
Conformément à la procédure prévue par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, votée en 2016, le Premier ministre Jean Castex, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ainsi que le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti ont été mis en demeure ce mercredi matin, de faire cesser les contrôles d’identité discriminatoires, “pratique systémique stigmatisante, humiliante et dégradante pour toutes les personnes qui en sont victimes en France», précisent les requérants. Faute de quoi, passé un délai de quatre mois, les six organisations saisiront la justice si le gouvernement n’apporte pas des «réponses satisfaisantes». 
Au mois de janvier 2017, un rapport du Défenseur des droits avait conclu qu’un “jeune homme perçu comme noir ou arabe (…) a une probabilité 20 fois plus élevée” d’être contrôlé que l’ensemble du reste de la population. Une étude menée à Paris par Open Society Justice Initiative et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) montrait qu’en France, les personnes perçues comme “noires” et “arabes” sont contrôlées respectivement six et huit fois plus que celles perçues comme “blanches”.
 A Toulouse, associations, collectifs et personnalités confrontés au problème applaudissent donc des deux mains la mise en demeure de l’Etat français par les ONG.
Ce qui est nouveau, c’est que cette démarche s’adresse à l’Etat”, analyse Salah Amokrane, coordinateur de l’association Takticollectif.  “On va au-delà de la simple incrimination des policiers. C’est vraiment intéressant, parce que la pratique du contrôle au faciès est une pratique de système. En France, contrairement à d’autres pays, on peut contrôler en dehors de toute raison objective, d’un événement ou d’une enquête. C’est un vrai souci. Et à partir du moment où la gestion du maintien de l’ordre ou de la tranquilité publique se fait par le biais du contrôle d’identité, on voit le résultat. Dans les quartiers, la police contrôle en permanence, lorsqu’ils sont à l’extérieur, les jeunes, et, particulièrement ceux, comme on dit, des “minorités visibles. La démarche des ONG met l’Etat en situation de prendre ses responsabilités vis-à-vis de la doctrine policière “.
Les contrôles au faciès, ça suffit comme ça !”, s’exclame Michèle Quimbert, militante d”Egalité trahie 31. Son collectif, créé à l’initiative de la Ligue des Droits de l’Homme, du Syndicat des Avocats de France et d’éducateurs intervient depuis des années dans les quartiers populaires de Toulouse sur la question des contrôles de police discriminatoires. Les nombreux témoignages accumulés ont en partie nourri le dossier constitué par l’ONG Open Society, l’une des six organisations engagées dans l’action de groupe contre l’Etat. Des témoignages qui se ressemblent.
Selon “Egalité trahie 31″, les personnes systématiquement contrôlées ont très majoritairement le même profil : “des hommes jeunes, noirs ou d’origine maghrébine, portant souvent un jogging ou un capuchon”. “Ils sont le plus souvent contrôlés sans raison”, assure  Michèle Quimbert. “Cette action des ONG était nécessaire. Il était temps. Parce que ça dégénère de plus en plus. Les gens en souffrent et on n’en imagine pas les conséquences”, soupire-t-elle.”
Tout le monde ne se rend pas bien compte des dégâts psychologiques que produisent ces contrôles.
Mouss, chanteur de Zebda
Ces contrôles au faciès dans les quartiers populaires des enfants de l’immigration post-coloniale africaine, algérienne ou autre ont produit des dégâts considérables depuis des décennies, génération après génération“, estime Mouss, l’un des chanteurs du groupe Zebda, qui s’est largement inspiré de la thématique dans son répertoire. “L’équation jeune au faciès du sud multiplie la possibilité d’être contrôlé, c’est sûr”, témoigne-t-il. “Etre contrôlé, ça ne veut pas dire forcément être agressé, mais la répétition de ces contrôles te transforme en suspect”, ajoute Mouss.
Dans ma jeunesse, ajoute le chanteur des Zebda, j’ai ressenti plusieurs fois le sentiment d’une honte profonde vis-à-vis des gens qui regardaient le contrôle”, se souvient-il. D’où sa totale approbation de l’initiative de l’action de groupe. “J’applaudis d’autant plus à un moment où on parle de séparatisme et de sentiment d’exclusion. Car je ne suis pas sûr que tout le monde se rende bien compte des dégâts psychologiques que produisent ces contrôles sur une partie de la population”.
Les ONG requérantes réclament notamment une modification du code de procédure pénale pour “interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d’identité”, la “création d’un mécanisme de plainte efficace et indépendant” ou encore “la mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de contrôle“, sur le modèle du récépissé.
Si, à l’issue de la mise en demeure, les associations estiment ne pas avoir obtenu satisfaction, elles ont annoncé qu’elle saisiront la justice pour que le gouvernement prenne des mesures pratiques pour que cesse la discrimination au faciès.
Il ne s’agit pas d’accuser les policiers d’être racistes mais un système qui génère par lui-même une pratique discriminatoire“, a expliqué l’avocat des ONG, Me Antoine Lyon-Caen, lors d’une visioconférence organisée mercredi matin.
Au mois de novembre 2016, la Cour de cassation avait déjà définitivement condamné l’État pour des contrôles d’identité “au faciès”. Mais depuis, ces types de contrôles n’ont pas, loin s’en faut, cessé.
Les syndicats de policiers avaient pour leur part appelés à cesser les contrôles, rejetant les accusations de racisme, après les déclarations d’Emmanuel Macron à Brut, “La police ne choisit pas sa délinquance” et “les policiers font des contrôles d’identité en fonction des lieux et des heures et dans le cadre légal“, réagit aujourd’hui Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie-Officiers.
Le syndicat Alternative Police dénonce lui dans un communiqué “une manoeuvre politique et dogmatique de ces organisations, bien connues pour leurs positions anti-flic”, concédant des “comportements individuels inacceptables”, mais uniquement “à la marge et de façon très minoritaire”.
 “Le gouvernement n’arrive pas, face aux syndicats de police, à mettre ce sujet sur la table”, se désole Me Lyon-Caen. “Mais, s’il y est obligé, les choses peuvent changer“, espère l’avocat.
(*) Amnesty International France, Human Rights Watch, Open Society Justice Initiative, la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS), Pazapas et Réseau – Égalité, Antidiscrimination, Justice – interdisciplinaire (REAJI).

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