L’un des établissements privés les plus connus de Cahors est dans le viseur de la justice. Le rectorat de Toulouse a porté plainte pour détournement de fonds publics. Une ancienne dirigeante du lycée catholique Saint-Etienne aurait touché plus de 100.000 euros de salaire en tant qu’enseignante sans avoir donné une seule heure de cours en 10 ans.
C’est une plainte qui risque de faire du bruit dans le milieu de l’enseignement privé. Le 3 novembre 2021, le rectorat de Toulouse a déposé une plainte au tribunal de Cahors contre une dirigeante du lycée catholique Saint-Etienne de la ville pour détournement de fonds publics.

Plainte du rectorat pour détournement de fonds
J’ai été saisi le 3 novembre 2021 au sujet d’une plainte pour détournement de fonds de la part de la direction juridique du rectorat de Toulouse. Il est question de rémunérations indues de la part d’une enseignante du lycée Saint-Etienne de Cahors. Les faits se seraient déroulés sur une dizaine d’années.

Cette dirigeante du lycée, mais aussi enseignante, se serait fait payer des heures de cours (9h par semaine) sans jamais les effectuer et ce, pendant plus de 10 ans. Le préjudice pour l’Éducation nationale pourrait s’élever à plus de 100.000 euros.
Une dirigeante payée comme enseignante sans jamais faire cours
L’Éducation nationale octroie en effet administrativement des prérogatives à l’enseignement catholique comme la gestion autonome des bâtiments, du personnel éducatif (CPE, surveillance, maître d’internat…), du personnel de restauration (cuisine, service, ménage…) et du personnel administratif (accueil, secrétaire, comptable, direction…) mais pour la pédagogie, les enseignants du privé sont payés par l’État français comme dans le public. 
Au lycée Saint-Etienne de Cahors, l’une des cadres dirigeantes était employée à mi-temps par la direction de l’établissement privé, l’autre moitié de ses revenus provenait de l’Éducation nationale pour sa mission d’enseignante. Problème : en 10 ans, elle n’a pas donné une seule heure de cours.
Un autre enseignant lanceur d’alerte
C’est un de ses collègues appartenant à l’équipe encadrante, Patrice Portemann, qui a donné l’alerte. Aujourd’hui il tire la sonnette d’alarme “face à une pratique commune qui serait loin d’être isolée dans l’enseignement privé”, selon lui.
Patrice Portemann, enseignant en maths sciences, a intégré la section professionnelle du lycée catholique Saint-Etienne en 2011. Mais c’est en 2015 que l’établissement lui propose de devenir adjoint de la direction. 
Il gère alors les inscriptions, les examens, des conseils de discipline, l’orientation, les stages mais aussi la gestion des emplois du temps d’une centaine d’enseignants de cet établissement catholique. 
En 2016, je faisais les emplois du temps des enseignants du collège et du lycée. C’est là que je me suis rendu compte que l’une de mes collègues dirigeantes avait 9h de cours par semaine qu’elle n’effectuait jamais. J’ai alerté la direction car je trouvais ça inacceptable. C’étaient des heures fictives, payées par l’Éducation nationale, pour financer ses fonctions de cadre.

Cet enseignant pugnace a décidé de réunir des preuves qu’il a diffusées publiquement dans un blog la semaine dernière. Avant, il a d’abord informé le diocèse du Lot-Aveyron en charge de cet établissement. “Il y a 4 ans j’ai jeté un pavé dans la mare face à l’omerta. J’ai informé le diocèse du Lot et de l’Aveyron. J’ai écrit à la FNOGEC (la Fédération nationale des organismes de gestion de l’enseignement catholique), j’ai même alerté le syndicat national des d’établissements libres.”, précise Patrice Portemann.
Une fraude plus large ?
En décembre 2019 face à la poursuite de cette fraude que Patrice Portemann pense plus large, il contacte le rectorat de Toulouse et leur transmet ses preuves. Le rectorat ouvre alors une enquête qui remonte sur 10 ans de pratiques frauduleuses et dépose plainte contre l’enseignante concernée devant le tribunal de Cahors pour que la justice mène son enquête.  
Madame C. a été suspendue par le rectorat en août 2021 et ne fait plus partie de l’équipe dirigeante du lycée Saint-Etienne. Elle reste présumée innocente. 
J’ai moi aussi démissionné de toutes mes fonctions au sein de la direction en juin 2020. Je ne fais plus que de l’enseignement au lycée Saint-Etienne de Cahors. Mais depuis que j’ai brisé le silence, je suis isolé. Je ne souhaite pas entacher la réputation de mon établissement qui est très bonne. Ce que je souhaite c’est un éclaircissement des pratiques dans les établissements scolaires privés. De vérifier que les cadres de direction effectuent bien les heures de cours s’ils en déclarent pour éviter d’éventuelles fraudes.

Du côté du lycée catholique Saint-Etienne, une nouvelle chef d’établissement a pris ses fonction en septembre 2021. Elle a accepté de nous répondre par téléphone. 
Ces faits se sont déroulés avant ma venue. Cette enseignante a été suspendue par le rectorat. Il faut que la justice effectue son travail. Ce qui m’importe de mon côté c’est la qualité de l’enseignement donné au sein de notre établissement. Mais je peux vous garantir qu’aujourd’hui toutes les heures déclarées par les enseignants sont effectuées devant des élèves.

A Cahors, une procédure judiciaire est donc en cours. “L’enseignante a été entendue par la justice. Nous procédons à des vérifications, nous sommes dans le cadre d’une enquête préliminaire. Il est impossible de dire pour le moment s’il y aura des poursuites ou pas, si je vais ouvrir une information judiciaire. C’est trop tôt”, nous précise Alexandre Rossi, procureur de la République de Cahors.
Vérifier que cette fraude n’est pas répandue
Pour l’enseignant lanceur d’alerte, lui aussi, tout ceci n’est qu’un début. Patrice Portemann a demandé des explications et des excuses à la congrégation de Gramat, puisque l’établissement Saint-Etienne de Cahors est sous sa tutelle, mais elles ne sont jamais venues. 
“Aujourd’hui je souhaite que l’opinion publique soit informée. Vérifier que cette fraude n’est pas d’usage dans certains établissements catholiques car, si tel est le cas, les responsables diocésains des établissements privés doivent prendre leurs responsabilités. Ce système doit cesser car en ponctionnant des heures de dotation, on lèse aussi les élèves”, conclut Patrice Portemann. 
Nous avons demandé à plusieurs reprises une réaction des responsables du rectorat de Toulouse pour obtenir des éclaircissements sur la gestion des enseignants dans les établissements privés sous contrat avec l’Etat. Pour l’instant, ils n’ont pas répondu à nos sollicitations. 

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