Dans le Lot, il n’existe plus qu’une maternité. Conséquence : des femmes se retrouvent à une heure ou plus d’une maternité. Les accouchements sur les routes constituent une réalité. Même si les autorités la jugent surestimée.
Les maternités de Figeac et Saint-Céré dans le nord et l’est du Lot ont fermé respectivement en 1997 et 2009. Depuis, il n’existe plus qu’une maternité dans le département. À Cahors. Les parturientes peuvent faire une heure de route, voire plus pour accoucher. Des bébés naissent ainsi sur la route entre le domicile et le centre hospitalier. Cliquez ici pour visionner le reportage de France 3 Occitanie.
On est parti sauf qu’on n’avait pas fait un kilomètre, que je savais que je n’arriverai pas au bout. Alors on a appelé les pompiers. Ils nous ont dit arrêtez-vous, on vous envoie le SAMU et les pompiers et une fois garée sur la droite, je me suis aperçue que je ne pouvais pas m’asseoir parce que la petite était là“, ainsi commence le récit de Jessica Campdoras, une mère de famille de Mayrinhac-Lentour dans le Lot.
Elle est avec son compagnon ce 2 septembre 2019 au bord de la D807 au Bastit, entre Gramat et Labastide-Murat. Il est deux heures et demi du matin, le couple déjà parent d’une petite fille, est seul sur ce parking au beau milieu de la nuit. L’accouchement commence sur le siège avant de la voiture à la lumière du plafonnier et du téléphone portable.
Je n’ai pas réfléchi, se souvient Jessica. J’ai commencé à pousser tout doucement tout doucement. C’était assez bizarre comme sensation”. Jessica décrit ce moment avec beaucoup d’intensité. Elle était comme dans une bulle, focalisée sur les avancées de son bébé, sur ses besoins. 
Le papa aide à dégager ses épaules et Laura apparaît. “Après il y a un sentiment de fierté, de sérénité. Bon, la petite allait bien. Elle était un peu violette et en plus elle avait le cordon autour du cou donc elle n’a pas crié tout de suite. Mais ça ne m’a pas paniqué. J’ai vu qu’elle avait le cordon, je lui ai enlevé et elle s’est mise à crier”. C’était exceptionnel, émouvant, renchérit le papa Christophe Mathieu. Mais toujours avec ce “il faut que ça se passe bien…”. Les parents attendent avec leur bébé pendant dix minutes l’arrivée des pompiers et du SAMU. 
Ils connaissent un moment de grâce difficile à décrire. Mais reconnaissent de concert : “la situation peut vite dégénérer mais nous sur le moment on y a pas pensé. On y a pensé quinze jours après quand on a entendu qu’il y avait eu des accouchements comme le nôtre, arrivés inopinément mais qui se sont moins bien passés…”.
Après la fermeture des maternités de Saint-Céré et Figeac, des femmes du nord et de l’est du département doivent faire une heure de trajet, voire plus, pour accoucher en Corrèze, dans le Cantal ou dans l’Aveyron.
“Dans le Lot, il y a un peu plus de 20 ans, il y avait 6 maternités, affirme Marc Brun, membre de l’Union locale CGT de Figeac. En 2003, il y en avait 2. Aujourd’hui, il y en a une. Vous voyez comment est fait le département du Lot ? Le fait de savoir qu’il y a une maternité pour tout le département qui est dans le sud et rien dans le nord… il n’y a pas besoin d’être diplômé pour se rendre compte qu’il manque quelque chose”.
Le plus choquant, c’est le manque de respect par rapport à la vie, poursuit Marc Brun. La naissance c’est la vie, c’est l’avenir”.
Le fait qu’on accorde si peu d’importance à la façon dont un enfant peut naître, à une femme qui peut mettre au monde un enfant, je trouve ça scandaleux.
Marc Brun, membre de la CGT à Figeac
“Ils ont fermé la maternité de Figeac pour environ 500.000 € d’économie. Ils ont dit ne vous inquiétez pas, vous pourrez aller accoucher à la maternité de Decazeville. Quelques années après, la maternité de Decazeville a fermé. Du coup, tout le monde s’est rappatrié sur Villefranche mais à ma connaissance, le service de la maternité de Villefranche n’a pas eu d’augmentation ni de lits, ni d’effectifs”. 
Au niveau du bassin figeacois, il y a de grosses entreprises fait remarquer le syndicaliste : Ratier-Figeac, Figeac-Aero, l’institut Camille Miret, Andros… Des entreprises porteuses en terme d’emploi “mais il n’y a pas cette réponse. Or ça fait partie aussi de l’attractivité du territoire”.
Sollicitée, l’ARS, l’Agence Régionale de Santé, n’a pas accepté de nous rencontrer mais elle indique dans un communiqué, que les accouchements inopinés sont rares : 0,2% en 2020 dans le département du Lot. Un chiffre que confirme le SDIS 46 qui mentionne une fourchette entre 2 et 6 en fonction des années. L’ARS estime qu’aucun évènement grave n’a été répertorié et que les fermetures de maternité demeurent légitimes. 
L’ARS est mobilisée sur cette question, en lien avec le Réseau Périnatalité Occitanie pour en réduire autant que possible la fréquence et en analyser les causes, qui ne sont pas en lien de façon évidente avec le maillage territorial en maternité, mentionne le communiqué. Des actions sont menées afin de réduire encore le risque pour les parturientes. Le Réseau Périnatal d’Occitanie suit les données et forme régulièrement les urgentistes et le SMUR aux accouchements pour savoir réagir devant ces cas exceptionnels”.
Sur le secteur de Figeac, la direction du Centre hospitalier estime le nombre d’accouchements potentiels à 200-250 maximum par an. Or, le seuil pour le maintien d’une maternité est de 300.
On a nous un problème de sécurité sur les petites maternités, argumente Raphaël Lagarde, directeur du Centre hospitalier de Figeac. On est sur des petites équipes qui vont devoir réaliser un très, très petit nombre d’accouchements”.
Les professionnels peuvent risquer de ne plus avoir les compétences suffisantes pour un accouchement en sécurité.
Raphaël Lagarde, directeur de l’hôpital de Figeac
De manière très simple, pour faire fonctionner une maternité, il faut par exemple des sages-femmes, poursuit-il. Pour avoir à l’hôpital une sage-femme 24h/24 toute l’année, c’est 10 sages-femmes. S’il y a 200 accouchements par an, chaque sage-femme fera 20 accouchements par an. Et elle perdra logiquement en compétence”.
“De l’autre côté, nous devons avoir d’autres compétences comme des pédiatres, ajoute encore le directeur de l’hôpital. Nous aurons des difficultés de recrutement, nous prendrons donc nécessairement, à un moment ou un autre, des intérimaires qui s’impliqueront plus ou moins bien dans l’activité et là on prendrait des risques avec la vie de la maman et de l’enfant. Ce n’est pas notre souhait”. 
“Nous avons une solution sécuritaire aujourd’hui avec les maternités environnantes, notamment avec celle de Villefranche-de-Rouergue avec lesquelles nous avons de forts liens qui fonctionnent très très bien”.
Le département s’adapte aux circonstances. Les sapeurs pompiers du Lot ont été les premiers en France à intégrer des sages-femmes dans leurs rangs. Elles interviennent et dispensent des formations. Véronique Rougerie exerce à Saint-Céré. Elle a été une pionnière.
Moi j’ai vécu la fermeture de la maternité de Saint-Céré. Il y a eu un accouchement inopiné, deux accouchements inopinés, trois accouchements inopinés…se souvient-elle. Là j’ai proposé aux urgences de Saint-Céré de venir quand ils en avaient un”.
Véronique Rougerie rencontre des pompiers lors des interventions. Ils la voient à l’oeuvre et lui proposent de les rejoindre. Déterminés, ils établissent même une passerelle pour qu’elle puisse obtenir un statut dans leur organisation. Celui d’infirmière-pompier. Aujourd’hui elles sont quatre sages-femmes sapeur-pompiers volontaires dans le Lot. Elles assurent des permanences téléphoniques pour guider les pompiers et les mamans 24h/24 et participent aux interventions quand leur emploi du temps le leur permet.
Elles nous apportent la technicité et une fois qu’elles sont sur place, c’est elles qui mènent l’opération, expose le colonel Yves Marcoux, directeur-adjoint du SDIS 46. Quand elles ne peuvent pas être là pour s’engager, le simple contact téléphonique avec l’équipe qui intervient et avec la future maman, c’est quelque chose aussi qui est irremplaçable”.
Il y a les bons mots. Il y a les bonnes techniques, il y a la connaissance de ce qui va se passer. La plupart des pompiers qui interviennent sur un accouchement n’en ont jamais vu.
Colonel Yves Marcoux, directeur-adjoint du SDIS 46
Les pompiers formés par Véronique Rougerie en témoignent : “on sait les premiers gestes, comment agir même si on sait qu’on a la sage-femme au téléphone. Il faut qu’on soit nous-mêmes rassurés pour rassurer la mère”, confie Aurélie Fabre, sapeur-pompier volontaire à Lacapelle-Marival qui dit avoir appris énormément au cours de cette session. Idem pour Jérémy Chartendrault, volontaire à Gourdon : “c’est important, notamment pour la santé du bébé sur les gestes qu’on aurait à faire et pas à faire pour éviter les complications”.
Depuis la fermeture de la maternité de Saint-Céré en 1997, Véronique Rougerie voit défiler dans son cabinet des femmes qui ne sont pas sereines : “la première question quand elles viennent dans mon cabinet en prépa à l’accouchement, c’est : quand est-ce qu’il faut partir ? À quel moment on part pour ne pas y aller pour rien non plus et arriver sans encombre et si il se passe quelque chose, qu’est-ce qu’il faut faire ?”.
Véronique Rougerie prépare de manière très concrète les futures parturientes. Elle leur explique les différentes sortes de contractions, les étapes, leur apprend à être à l’écoute de leur bébé et de leurs ressentis. L’une des jeunes femmes qui suit ces cours, Laure Truel estime que “ça reste quand même un facteur de stress“.
“Quand ça se passe bien  il n’y a pas de problème mais s’il y a un tout petit risque qu’il y ait une complication, une petite hémorragie, ce n’est pas pareil si vous êtes déjà dans la chambre à la maternité ou si vous êtes dans la voiture en pleine nuit avec juste le papa”, affirme-t-elle.
Par ailleurs, malgré l’existence du Centre périnatal de proximité créé lors de la fermeture de la maternité pour accueillir les femmes enceintes et assurer un suivi de leur grossesse, Laure a dû faire des kilomètres. “Moi j’ai été malade pendant une bonne partie de ma grossesse, ça veut dire prendre un rendez-vous en urgence, avoir quelqu’un qui peut m’amener et me ramener. Il y a une heure de route aller, une heure de route retour. Ce n’est pas pareil quand on est à 10 minutes. Donc nécessairement, sur le suivi, ça peut avoir des impacts”.
Interrogé sur le sujet, Serge Rigal, le président du Conseil départemental ne peut que constater. Le domaine n’est pas de la compétence des collectivités territoriales mais il connaît son importance. “C’est problématique, on a ce déséquilibre qui existe. Une réouverture n’est pas dans les débats d’aujourd’hui. Nous, dans notre démarche d’attractivité, on ne pourra pas faire venir de nouvelles populations dans ce département sans corriger ce manque de service”.
Signe des temps, Serge Rigal avoue que ce n’est pas la revendication première du département sur le plan médical. Le renouvellement des médecins, généralistes et surtout spécialistes, sur le Lot prime sur toutes les autres péoccupations.

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